Tunisie : Libérez Ayachi Hammami, Nejib Chebbi et Chaïma Issa
Tunis - Genève - Paris, le 19 décembre 2025. L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) ont appris avec une vive inquiétude l’arrestation arbitraire de la journaliste Mme Chaïma Issa et de l’avocat M. Ayachi Hammami en Tunisie, intervenue respectivement les 29 novembre et 2 décembre 2025 . Ces arrestations s’inscrivent dans le cadre de l’affaire dite du « complot contre la sûreté de l’État », dans laquelle les deux défenseur·es faisaient l’objet d’un jugement en appel et interviennent dans un contexte de répression accrue de la dissidence pacifique et d’instrumentalisation du système judiciaire à des fins politiques. L’OMCT et la FIDH exigent la libération immédiate d’Ayachi Hammami et de Chaïma Issa ainsi que l’abandon de l’ensemble des charges qui pèsent sur eux et contre tou⋅tes les défenseur⋅es dans le pays.
L’acharnement judiciaire des défenseur⋅es des droits humains et opposant⋅es politiques
M. Ayachi Hammami est un avocat connu pour son engagement militant de longue date en faveur des droits humains et des libertés publiques, ainsi que pour son rôle actif dans la défense de militant⋅es politiques, de syndicalistes et de victimes de violations des droits humains. Dans ce contexte, il intervenait comme avocat dans l’affaire dite du « complot contre la sûreté de l'État » avant de se retrouver lui-même accusé et poursuivi dans le cadre de la même procédure à compter de mai 2023.
Mme Chaïma Issa, est journaliste et militante politique membre du Front de salut national et cofondatrice du collectif Citoyens contre le coup d’État. Elle est connue pour son opposition au président Kaïs Saïed et ses critiques à l'égard de sa politique.
M. Ahmed Nejib Chebbi, avocat et homme politique, est une figure emblématique de l’opposition tunisienne et un militant de longue date en faveur des libertés publiques, des droits humains et du pluralisme politique, engagé depuis les années 1970 contre l’autoritarisme et pour l’État de droit.
Le 29 novembre 2025, Chaïma Issa a été violemment arrêtée par des policiers en civil alors qu’elle participait à une manifestation à Tunis dénonçant la répression des voix dissidentes pacifiques dans le pays.
Trois jours plus tard, M. Ayachi Hammami a été interpellé à son domicile à Tunis par des agents de police.
Le 4 décembre, M. Ahmed Nejib a également été interpellé à son domicile.
Le 27 novembre 2025, dans l'affaire dite « du complot », la Cour d'appel a prononcé des peines allant de 10 à 45 ans de prison à l’encontre des accusés déjà en détention et de 5 à 35 ans pour celles et ceux laissés en liberté. Cette affaire impliquant des personnalités politiques, des avocat⋅es défenseur⋅es des droits humains, d'ancien⋅nes fonctionnaires et des agent⋅es de sécurité a débuté en février 2023 et constitue un exemple emblématique de la criminalisation de l’opposition politique et de la défense des droits humains en Tunisie.
Dans ce cadre, M. Ayachi Hammami a été condamné à cinq ans de prison et deux ans de surveillance administrative, M. Ahmed Nejib Chebbi à 12 ans de prison, tandis que Mme Chaïma Issa a vu sa peine portée à vingt ans de prison.
Depuis leur arrestation, M. Ayachi Hammami et Mme Chaïma Issa ont entamé une grève de la faim. Alors que Mme Chaïma Issa y a mis fin vendredi dernier, M. Ayachi Hammami la poursuit à ce jour. Selon les informations communiquées par sa famille à l’issue d’une visite effectuée le 16 décembre, son état de santé se serait sensiblement dégradé.
Ces décisions relèvent d’un acharnement judiciaire systématique contre les voix dissidentes tunisiennes. Ayachi Hammami a en effet déjà comparu devant le juge d’instruction du Tribunal de première instance de Tunis le 10 janvier 2023 suite à la plainte déposée à son encontre par la ministre de la Justice, en vertu du décret-loi n° 54-2022. L’avocat défenseur des droits humains est accusé par la ministre de la Justice de « diffusion de fausses rumeurs dans le but de porter atteinte aux droits d'autrui et de porter préjudice à la sûreté publique » et « d'attribution de données infondées visant à diffamer les autres » sur le fondement de l'article 24 du décret-loi N°54-2022 (« décret 54 »). Chaïma Issa avait également déjà été arrêtée en février 2023 et placée en détention provisoire, puis remise en liberté en juillet 2023. Le frère de M. Ahmed Nejib Chebbi est quant à lui en détention dans la même affaire et a été condamné à 18 ans de prison. Cofondatrices du collectif Citoyens contre le coup d'État. Ces trois figures se sont opposées à la prise de contrôle des institutions étatiques tunisiennes par le président Saïed depuis le 25 juillet 2021.
Un contexte de répression généralisée et de détérioration de l’État de droit
Dans un avis rendu dans la même affaire en août 2024, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a conclu que la détention de Chaïma Issa ainsi que des sept autres personnes poursuivies dans le cadre de l’affaire dite « du complot » était arbitraire. Il a notamment retenu la « catégorie II », estimant que ces arrestations et poursuites constituaient des mesures de représailles liées à l’exercice légitime de leurs droits civils et politiques.
L’OMCT et la FIDH constatent que ces arrestations illustrent la dégradation alarmante de l’État de droit et de l’espace de la société civile en Tunisie, ainsi que l’instrumentalisation croissante du système judiciaire à des fins politiques. Elles s’inscrivent dans un climat de répression généralisée, marqué par des poursuites judiciaires contre des militant·es et défenseur·es des droits, des suspensions arbitraires des activités d’organisations de défense des droits humains, des campagnes de dénigrement orchestrées dans les médias, et des pressions croissantes sur les syndicats et les journalistes.
Comme l’a documenté la FIDH dans son rapport « Du coup d’État à l’étouffement des droits : le mode opératoire de la répression en Tunisie (2021-2025) », cette utilisation abusive des textes juridiques constitue l’un des piliers du régime actuel. Le droit, conçu pour protéger les libertés, est détourné pour les restreindre : lois antiterroristes, dispositions pénales d’un autre âge, décret-loi n° 54 sur la cybercriminalité ou encore décret-loi n°2011-88 sur les associations. Tous servent aujourd’hui à criminaliser la dissidence et neutraliser les contre-pouvoirs.
Des violations flagrantes des engagements internationaux de la Tunisie
L’OMCT et la FIDH rappellent que la Tunisie est État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, qui garantissent notamment la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique, le droit à un procès équitable et la protection contre l’arrestation et la détention arbitraires.
Or, l’arrestation et la détention de M. Ayachi Hammami et de Mme Chaïma Issa constituent des violations flagrantes de ces engagements internationaux en ce qu’elles ne semblent viser qu’à entraver l’exercice légitime des activités en faveur des droits humains des deux défenseur⋅es.
L’OMCT et la FIDH appellent les autorités tunisiennes à garantir en toutes circonstances que tous les défenseur·es des droits humains en Tunisie puissent exercer librement et pleinement leurs activités légitimes, sans crainte de représailles.
Enfin, l’OMCT et la FIDH appellent instamment les autorités tunisiennes à procéder à la libération immédiate et inconditionnelle de M. Ayachi Hammami et de Mme Chaïma Issa, à mettre fin sans délai à tout harcèlement, y compris judiciaire, à leur encontre, ainsi qu’à celle de l’ensemble des personnes arbitrairement détenues en raison de leurs activités pacifiques et légitimes en faveur des droits humains.