Tunisie : Sonia Dahmani menacée de dix nouvelles années de détention arbitraire

APPEL URGENT - L'OBSERVATOIRE
TUN 003 / 0425 / OBS 21
Détention arbitraire /
Harcèlement judiciaire/
Actes de mauvais traitements et de torture en détention
Tunisie
29 Avril 2025
L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, un partenariat de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), vous prie d’intervenir de toute urgence concernant la situation suivante en Tunisie.
Description de la situation :
L’Observatoire a été informée de la persistance du harcèlement judiciaire et de la détention arbitraire visant Maître Sonia Dahmani — chroniqueuse, avocate et défenseure des droits humains — qui encourt également une peine pouvant aller jusqu’à dix ans de prison. Sonia Dahmani, est connue notamment pour son engagement contre le racisme à l’égard des personnes migrantes originaires d’Afrique subsaharienne.
Le 10 avril 2025, la chambre d'accusation près de la Cour d'appel de Tunis a décidé de renvoyer l'avocate Sonia Dahmani devant la chambre criminelle du tribunal de première instance de Tunis dans l'affaire initiée contre elle par le Comité Général des Prisons et de la Rééducation (CGPR) en novembre 2023. Dans cette affaire, Sonia Dahmani est accusée d'avoir « utilisé sciemment des systèmes d'information et de communication pour diffuser de fausses informations portant atteinte à la sécurité publique, diffamer autrui et inciter contre une personne exerçant une fonction publique », sur la base de l'article 24 du décret-loi n°54 de 2022 relatif à la lutte contre la cybercriminalité, pour avoir dénoncé, dans des déclarations médiatiques, les conditions de détention dans les prisons tunisiennes. En vertu de cette décision, elle risque une peine pouvant aller jusqu'à dix ans de prison.
Cette décision de la chambre de mise en accusation intervient après que, le 3 février 2025, la Cour de cassation de Tunis a annulé un premier arrêt de la Cour d'appel qui ordonnait également son renvoi devant la chambre criminelle, estimant que le décret-loi n°54 s'appliquait uniquement aux infractions commises par des moyens électroniques et ne pouvait être étendu aux opinions exprimées par voie de presse écrite, audiovisuelle ou radiophonique. Dans son arrêt, la Cour de cassation avait par ailleurs relevé que la plainte du CGPR violait les articles 18 et 19 du Code pénal tunisien, relatifs au champ d’application de la loi pénale, ainsi que l'article 46 du décret-loi n°79 de 2011 traitant des garanties procédurales dans le cas de poursuites pénales contre un avocat.
L’Observatoire rappelle que Me Dahmani avait été violemment arrêtée le 11 mai 2024 par des agents de sécurité masqués à la Maison de l’avocat de Tunis. Depuis lors en détention arbitraire, elle continue d’être harcelée judiciairement en étant poursuivie dans quatre autres affaires sur la base du même décret-loi 54 en raison de certaines de ses déclarations publiques. La dernière décision en date a été rendue par la Cour d’appel de Tunis le 24 janvier 2025 qui l’a condamnée à 18 mois de prison ferme pour avoir dénoncé le racisme subi par les personnes migrantes subsahariennes sur le territoire tunisien à la radio IFM.
L’Observatoire souligne que Me Dahmani a également été victime d’actes de torture et de mauvais traitements en détention, au sens de la Convention des Nations unies contre la torture ratifiée par la Tunisie. Le 20 août 2024 au matin, jour de l’audience en appel dans l’affaire des déclarations critiquant la politique migratoire tunisienne, Sonia Dahmani a subi une fouille corporelle humiliante et dégradante et un attouchement sexuel par un agent pénitentiaire en la présence de la directrice de la prison. Par la suite, Sonia Dahmani a été informée par la directrice de la prison qu’elle allait devoir porter à son audience un « sefseri », voile traditionnel réservé par usage dans les tribunaux aux prisonnières jugées pour des affaires de « mœurs ». Après plusieurs tentatives de contestation de cette décision, Sonia Dahmani a fini par accepter de porter le « sefseri » qu’on lui a donné. Vers 11h30, alors qu’elle était sur le point de sortir, la directrice de la prison a ordonné de la renvoyer dans sa cellule en prétextant qu’il n’y avait plus de voiture pour la conduire au tribunal et qu’il était trop tard, alors que son audience n’a commencé qu’à 12h30. Malgré la plainte du comité de défense de Me Dahmani pour torture et violences sexuelles déposée le 29 août 2024 auprès du bureau du procureur de la république auprès du tribunal de première instance de Tunis, aucune enquête diligente et impartiale n’a été ouverte à ce jour.
L’Observatoire s’inquiète également des entraves à l’exercice des droits fondamentaux de Me Dahmani en détention. Le 31 mars 2025, jour de l’Aïd el-Fitr, Me Dahmani a entamé une grève de la faim en réaction à l’annulation de son parloir prévu ce jour-là. Elle a finalement mis fin à sa grève le 3 avril 2025 après avoir obtenu l’autorisation de recevoir la visite de son père.
L’Observatoire exprime sa vive inquiétude face à la persistance des poursuites judiciaires arbitraires ainsi que la poursuite de sa détention arbitraire, qui ne semblent viser qu’à la sanctionner pour l’exercice de ses activités légitimes de liberté d’expression et de défense des droits humains.
L’Observatoire exprime également son inquiétude face à la tendance générale de restrictions à la liberté d’opinion et d’expression depuis l’adoption du décret-loi 54 en septembre 2022. Largement contesté sur le plan national et international, un groupe de rapporteurs spéciaux des Nations unies a exprimé en janvier 2023 ses profondes préoccupations quant à la compatibilité de ce décret-loi avec les normes et standards relatifs aux droits à la liberté de d’expression, de la presse, de l’indépendance des avocats, d’association et à la vie privée.
L’Observatoire appelle les autorités tunisiennes à libérer immédiatement et sans conditions Sonia Dahmani, et à mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à son encontre ainsi qu’à celle de tou·tes les défenseur·es des droits humains dans le pays.
Actions requises :
L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités tunisiennes en leur demandant de :
- Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique de Sonia Dahmani ;
- Libérer immédiatement et sans condition Sonia Dahmani et tou·tes les défenseur·es des droits humains arbitrairement détenu·es en Tunisie ;
- Mener une enquête indépendante, rigoureuse, impartiale et transparente sur les actes de torture et mauvais traitement à l’encontre de Sonia Dahmani, afin d’identifier les responsables et de les traduire devant un tribunal indépendant, compétent et impartial conformément aux instruments internationaux et régionaux de protection des droits humains ;
- Garantir en toutes circonstances les droits à la liberté d’expression dans le pays, tels que consacrés par le droit international des droits humains, et en particulier par les articles 19 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques respectivement, et abroger toutes les dispositions légales permettant une restriction arbitraire de ce droit, en particulier l’article 24 du décret-loi 54.
Adresses :
- M. Kaïs Saïed, Président de la République, Email : contact@carthage.tn; « X » : @TnPresidency
- Mme Sarra Zaafrani Zanzri , Cheffe de gouvernement, Email : boc@pm.gov.tn; Twitter: @TunisiaPM
- Mme Leila Jaffel, Ministre de la Justice, Email : info@e-justice.tn
- M. Khaled Nouri , Ministre de l’Intérieur, Email : boc@interieur.gov.tn
- M. Sabri Bachtobji, Ambassadeur, Représentant permanent de la Tunisie auprès des Nations unies à Genève, Suisse, Email : at.geneve@diplomatie.gov.tn
- M. Sahbi Khalfallah, Ambassadeur, Ambassade de la Tunisie à Bruxelles, Belgique, Email : at.belgique@diplomatie.gov.tn
Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la Tunisie dans vos pays respectifs.
***
Paris-Genève, le 29 avril 2025
Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toute action entreprise en indiquant le code de cet appel.
L’Observatoire partenariat de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits humains victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseurs des droits humains mis en œuvre par la société civile internationale.
Pour contacter l’Observatoire, appeler la ligne d’urgence :
- E-mail : alert@observatoryfordefenders.org
- Tel FIDH : +33 1 43 55 25 18
- Tel OMCT : + 41 79 539 41 06
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