Harcèlement judiciaire de six journalistes au Niger : une violation flagrante de la liberté de la presse
Paris-Genève, 12 novembre 2025 – Le 2 novembre dernier, la police judiciaire de Niamey a arrêté six journalistes, en violation flagrante du droit à la liberté de la presse. Trois d’entre eux ont été placés en détention arbitraire. L’Observatoire pour la protection des défenseur·es des droits humains (un programme conjoint de la FIDH et de l’OMCT) condamne fermement le harcèlement judiciaire à leur encontre, et appelle les autorités nigériennes à les libérer immédiatement et inconditionnellement.
Le 2 novembre 2025, la police judiciaire de Niamey a arrêté MM. Moussa Kaka, ancien correspondant de Radio France internationale (RFI) au Niger et actuel directeur de Radio-télévision Saraounia (RTS), Abdoul Aziz Idé, journaliste au service Zarma de RTS, Ibro Chaibou, animateur du « club de la presse » et secrétaire de rédaction de la RTS, Youssouf Seriba, directeur de publication du site « Échos du Niger », Oumarou Kané, fondateur de l’hebdomadaire satirique « Le Hérisson » et Souleymane Brah, directeur de publication de « La voix du peuple ». Ils ont tous été inculpés de « complicité dans la diffusion d'informations susceptibles de troubler l'ordre public » en vertu de l’article 31 de la loi sur la cybercriminalité (Loi n°2019-33 du 3 juillet 2019), tel que modifié par l’ordonnance 2024-28 du 7 juin 2024, et encourent une peine de deux à cinq ans de prison.
Le 3 novembre 2025, le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance hors-classe de Niamey a placé trois d’entre eux, à savoir MM. Ibro Chaibou, Youssouf Seriba et Oumarou Kané, sous mandat de dépôt à la prison de haute sécurité de Kollo, située à une cinquantaine de kilomètres au sud de Niamey, la capitale. En revanche, après avoir été entendus pendant plusieurs heures par la Police judiciaire de Niamey, Moussa Kaka, Abdoul Aziz Idé et Souleymane Brah ont été libérés sous caution, mais les charges susmentionnées restent pendantes à leur encontre, à date de publication de cette déclaration.
L’arrestation et inculpation de ces six journalistes fait suite à la publication sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, d’une invitation adressée à Radio-télévision Saraounia pour la couverture du point de presse organisé par le « Fonds de solidarité pour la sauvegarde de la patrie » (FSSP) - structure mise en place par le régime militaire nigérien afin de procéder à des prélèvements obligatoires de fonds auprès des salarié·es, des populations et des ONG pour « soutenir l’armée dans sa lutte contre les groupes radicaux » - et au débat intitulé « le club de la presse » organisé le samedi 31 octobre 2025 à 10h par la RTS.
L’Observatoire constate que la publication ou un débat autour d’une lettre d’invitation ne saurait constituer une violation de la législation, et ne constitue à fortiori pas un « trouble à l’ordre public ». L’Observatoire considère que ces poursuites ne visent qu’à intimider les journalistes susmentionnés, et plus largement à museler la presse nigérienne, en violation flagrante de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.
L’Observatoire rappelle que ce n’est pas la première fois que les autorités nigériennes engagent des poursuites contre M. Moussa Kaka. Le 23 septembre 2007, Sous le régime de M. Issouf Mahamadou, il avait été inculpé de « complicité d’atteinte à l’autorité de l’État » pour avoir été en contact avec le Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ) dans le cadre de son travail de journaliste, avant d’être libéré en octobre 2008. La FIDH avait vivement dénoncé cette poursuite qu’elle considérait comme arbitraire. Par ailleurs, RFI, radio pour laquelle travaillait Moussa Kaka a été fermée par les autorités au Niger en août 2023.
L’Observatoire rappelle que ces poursuites interviennent dans un contexte caractérisé depuis le coup d’État du 27 juillet 2023 par le rétrécissement de l’espace civique et des atteintes répétées aux droits fondamentaux de toutes voix dissidentes. À maintes reprises, les droits à la liberté d’expression, d’opinion, d’association, de réunion et de manifestation ont été violés, notamment à travers des arrestations et détentions arbitraires de défenseur·es des droits humains, dont M. Moussa Tchangari, détenu arbitrairement depuis près de 11 mois. Les actes de harcèlement judiciaire à l’encontre de journalistes ne sont pas isolés. A titre d’exemple, les 7 et 8 mai 2025, MM. Hamid Mahmoud, Mahaman Sani et Mme Massaouda Jaharou trois journalistes de la radio Sahara FM, basée à Agadez, avaient été interpellé.es par les forces de l’ordre pour avoir relayé une information publiée par le site d’information LSI Africa, évoquant une supposée rupture de coopération en matière de renseignements entre le Niger et ses partenaires, la Russie et la Turquie. Après leur libération ordonnée par le juge d’instruction le 9 mai 2025 en l’absence de charge, ils et elles ont été de nouveau interpellé.es et placé.es en garde à vue avant d’être transféré.es le 14 mai 2025 à la prison civile de Niamey. Le 13 juin 2025, le tribunal militaire de Niamey les a inculpé.es d’« atteinte à la défense nationale » (article 66 et suivants du Code pénal) et « complot contre l’autorité de l’État » (article 62 et suivants du Code pénal) et a décidé de la mise en liberté provisoire de Mme Massaouda Jaharou, et du placement d’Hamid Mahmoud et Mahaman Sani en détention préventive à la prison de Kollo. MM. Hamid Mahmoud et Mahaman Sani sont toujours arbitrairement détenus à la date de publication de cette déclaration.
L’Observatoire appelle les autorités nigériennes à libérer sans conditions MM. Ibro Chaibou, Youssouf Seriba, Oumarou Kané, Hamid Mahmoud et Mahaman Sani, toujours arbitrairement détenus au moment de la publication de cette déclaration, et à abandonner toutes les charges à leur encontre ainsi que contre MM. Moussa Kaka, Abdoul Aziz Idé et Souleymane Brah et Mme Massaouda Jaharou. L’Observatoire encourage également les autorités à prendre des mesures pour réviser la loi sur la cybercriminalité et veiller à ce qu'elle soit pleinement conforme au droit international des droits humains, en particulier à l'article 19 du PIDCP et à l’article 9 de la Charte africaine, qui garantissent les droits à la liberté d'opinion et d'expression.
Le 7 juin 2024, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), organe militaire dirigeant du Niger, a en effet pris une ordonnance - l’ordonnance 2024-28 du 7 juin 2024- modifiant la loi portant sur la répression de la cybercriminalité adoptée en 2019, pour rétablir les peines de prison pour des infractions dont les injures, la diffamation par un moyen de communication électronique, ou la diffusion de données de nature à troubler l'ordre public. La FIDH craignait à l’époque que certaines de ces infractions ne soient fallacieusement interprétées pour, notamment, réprimer les défenseur·es des droits humains, y compris les journalistes.
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