Togo
05.08.25
Déclarations

Togo : Un groupe d’avocats africains annonce des actions judiciaires contre les responsables de la torture lors des manifestations de juin 2025


Déclaration du Groupe d’Intervention Judiciaire SOS-Torture en Afrique

Lomé – Genève, 05 août 2025

Un mois après la violente répression des manifestations pacifiques des 5, 6, 26, 27 et 28 juin 2025, un collectif d’avocats africains, membres du Groupe d’Intervention Judiciaire SOS-Torture en Afrique (GIJ) , une initiative conjointe du CACIT et de l’OMCT, annonce l’ouverture de poursuites judiciaires aux niveaux national et international contre les auteurs présumés d’actes de torture, de traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que d’arrestations arbitraires survenues au Togo. Le Togo ne saurait aspirer à jouer un rôle central de médiateur sur le continent tout en fermant les yeux sur la torture perpétrée sur son territoire. En Juin 2025, l’Index Mondial de la Torture de l'OMCT a classé le Togo parmi les pays présentant un risque considérable de torture et de mauvais traitements.

Une répression militarisée et illégale

Les manifestations, globalement pacifiques, ont été réprimées avec une violence disproportionnée. Des unités spéciales dont la Brigade antigang, la Brigade Anti-Criminalité (BAC), l’Unité Spéciale d’Intervention de la Gendarmerie (USIG) ou encore le Groupe d’Intervention de la Police Nationale (GIPN) et des militaires parfois cagoulés ont été mobilisées dans des quartiers ciblés (Bè, Adakpamé, carrefour 2 lions, Bè-kpota, Akodessewa, Atikpodji), entre autres, de milices armées non identifiées tolérés par les agents des forces de l’ordre et de sécurité.

Le GIJ dénonce le recours illégal à l’armée, déployée sans décret de réquisition formel, en violation de la Loi n°2019-009 relative à la sécurité intérieure. Ces actes, menés en l’absence de toute menace grave à l’ordre public, relèvent d’un usage illégal de la force d’État.

Arrestations arbitraires et disparitions forcées

Selon les informations recueillies, au moins cent cinq (105) arrestations ont été recensées dans le contexte des manifestations, dont une grande majorité qualifiée d’arbitraire. Parmi les personnes interpellées figuraient des mineurs, des femmes, des journalistes ainsi que des professionnels de la santé.

Des individus ont été arrêtés sans mandat, souvent de nuit, par des agents cagoulés, sans que les familles soient informées quant aux lieux de leur détention, ce qui constitue des disparitions forcées de courte durée.

Les conditions de détention signalées étaient inhumaines : absence d’avocat, refus de soins, promiscuité, humiliation publique. Certains détenus ont été contraints de signer des documents sans en connaître leur teneur, voire à renoncer à leur droit de manifester sous la menace de poursuites.

A ce jour, quatre-vingt-treize (93) personnes ont été libérées et douze (12) autres condamnées.

Sur les morts dans la lagune de Bè et dans le 4e lac

Les 26 et 27 juin 2025 à Bè, trois jeunes qui n'étaient pas armés, ne représentaient aucun danger immédiat, poursuivis par les forces de sécurité ont sauté dans la lagune de Bè. Selon les témoignages des riverains, l’un d’eux aurait été visé par des tirs des forces de sécurité et retrouvé mort le lendemain ; les deux autres qui feraient parties des jeunes, restés immergés par crainte des agents armés postés sur la berge, ont également été retrouvés dans la lagune sans vie. Ces faits soulèvent de sérieuses préoccupations quant à de possibles violations du droit à la vie à cause d’une mise en danger délibérée, liée à l’intimidation exercée par les agents.

En outre, la découverte, le 27 juin 2025, des corps sans vie de deux frères repêchés dans le 4e lac, en pleine période de manifestations, renforce les inquiétudes quant aux dérives sécuritaires dans la gestion des événements.

Torture et traitements inhumains systématiques

Les Avocats membres du GIJ ont documenté au moins vingt-et-un (21) cas de torture avérés. Les victimes ont subi :

  • Violences physiques graves : coups, flagellations, usage de cordelettes trempées, ramassage de braise de feu à mains nues sur les voies ;
  • Atteintes à la dignité : mise à nu, empêchement d’aller aux toilettes, détention mixte sans séparation ;
  • Violences psychologiques : menaces d’exécution, isolement, chantage à la libération ;
  • Souffrances intentionnelles : intensification des douleurs par humidification des corps, ciblage articulaire avec des gaz lacrymogènes.

Certains de ces actes ont été perpétrés dans les locaux de la brigade antigang de Djidjolé. Des certificats médicaux ont confirmé les lésions graves, y compris des traumatismes crâniens, oculaires et psychiques.

Des Actions judiciaires pour faire cesser l’impunité

Face à la gravité des violations commises lors de ces manifestations, le GIJ rappelle aux autorités togolaises que la torture se nourrit de l’impunité et appelle les autorités togolaises à identifier sans délai les auteurs présumés et à engager les procédures judiciaires appropriées à leur encontre.

Après avoir effectué de nombreux constats médicaux et psychologiques, recueilli un large éventail de témoignages et vérifié plusieurs sources secondaires fiables, les avocats du GIJ se tiennent à la disposition du procureur de la République afin de contribuer à l’ouverture rapide d’enquêtes judiciaires, y compris devant le tribunal militaire, conformément aux mécanismes prévus par le droit togolais. Entre 2021 et 2025, la République togolaise a été condamnée à six reprises par la Cour de justice de la CEDEAO pour des actes de torture et autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants perpétrés par ses agents, à l’encontre de vingt-neuf (29) victimes au total. De même, le Comité contre la torture des Nations Unies, a exhorté les autorités de l’État togolais à plusieurs reprises à ouvrir automatiquement des enquêtes lorsque les allégations de torture sont mises à leur disposition par des organisations de défense de droits de l’Homme.

Des plaintes seront de nouveau déposées devant ces instances si rien n’est fait afin d’établir les responsabilités individuelles, y compris celles des chefs d’unité, des commandants opérationnels et des décideurs politiques ayant autorisé, toléré ou couvert ces actes de torture et de répression illégale. Le lancement de ces actions judiciaires marquerait alors un tournant décisif : il est temps que la justice prenne le relais là où l’impunité a trop longtemps prévalu.

Recommandations aux autorités togolaises

Les Avocats africains appellent les autorités togolaises à :

  1. Mettre fin à l’impunité et à garantir l’ouverture d’enquêtes judiciaires indépendantes sur les faits de torture, de répression illégale, de disparition forcée et des décès recensés dans la lagune de Bè ;
  1. Cesser tout recours à l’armée et aux milices dans la gestion des manifestations, en conformité avec la loi ;
  1. Libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement à la suite de ces manifestations ;
  1. Garantir un accès réel à la justice pour les victimes, y compris le droit à la vérité, à la réparation et à la réhabilitation ;
  1. Respecter le droit de manifestation pacifique, garanti par la Constitution togolaise et les traités internationaux ;
  1. Prendre des mesures urgentes pour une prise en charge des citoyens blessés lors de ces manifestations dans un esprit d’apaisement national

Les signataires :

Les avocats ci-dessous sont signataires de cette lettre :

  • Maitre Djerandi Laguerre Dionro, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Tchad
  • Maitre AMAZOHOUN Ferdinand, Collectif des associations contre l’impunité au Togo (CACIT)/Togo
  • Maitre AMEGAN Claude, Collectif des associations contre l’impunité au Togo (CACIT)/Togo
  • Maitre DOUMBIA Yacouba, Mouvement Ivoirien des Droits de l’Homme (MIDH)/ Cote d’Ivoire
  • Maitre RAHMOUNE Aissa, Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADH)/ Algérie
  • Christian LOUBASSOU, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-Congo) / République du Congo
  • Maître NKONGHO Felix, Center for Human Rights and Democracy in Africa (CHRDA)/ Cameroun
  • Maitre WEMBOLUA Henri, Alliance pour l’Universalité des Droits Fondamentaux (AUDF)/ RDC
  • Maitre Annie MASENGO, Réseau des Défenseurs des Droits de l’Homme (RDDH)/ RDC
  • Maitre NODJITOLOUM Salomon, Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT/TCHAD)
  • Maitre NIYONGERE Armel, SOS-Torture Burundi/ Burundi
  • Maitre ZANINYANA Jeanne d’Arc Collectif des Avocats pour la Défense des Victimes de Crimes de Droit International commis au Burundi (CAVIB)/ Burundi
  • Maitre KADIDIATOU Hamadou, Association pour la Défense et la Protection et l’Enfant et de la Femme (ADEPE-F/ESPOIR) / Niger
  • Maitre Chantal LENGA, Association des Femmes Juristes du Burkina Faso / Burkina Faso
  • Maitre NKONGME Dorcas Mirette, Center For Human Rights and Democracy in Africa (CHRDA)
  • Maitre SOUILAH Mohsen, Centres SANAD/ Tunisie
  • Maitre KWAMBA TSIHINGEJ Frédéric, AFIA MAMA / RDC
  • Alexandrine TCHEKESSI, Directrice exécutive, Changement Social Bénin

Le groupe d’intervention judiciaire SOS-Torture en Afrique est un groupe d’avocats du réseau SOS-Torture de l’OMCT qui vise à contribuer à renforcer la prévention, la responsabilisation et la réparation des cas de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est constitué de 16 avocats africains et se trouve sous le parrainage de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) et du Collectif des Associations Contre l’Impunité au Togo (CACIT).

Pour plus d’informations, veuillez contacter : Guy Valère BADANARO, Coordonnateur du Groupe d’intervention judiciaire/SOS-Torture en Afrique ; Collectif des associations contre l’impunité au Togo (CACIT) / Tel :(+228) 91 34 14 77. Email : guyvalre1@gmail.com