Kirghizistan
08.06.16
Rapports

A la croisée des chemins : resserrer ou desserrer l'étau autour des défenseurs des droits humains

Publicationd’un rapport de mission internationale

Bichkek-Genève-Paris,le 8 juin 2016 – Les autorités kirghizes doivent rejeter tous les projets delois qui pourraient entraver la défense des droits humains dans le pays etdevraient créer un environnement favorable et sans danger pour les défenseursdes droits humains, a déclaré aujourd’hui à Bichkek une délégation del’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (unpartenariat FIDH-OMCT) lors de la présentation de son dernier rapport sur leKirghizistan.

Lerapport est intitulé « Le Kirghizistan à la croisée des chemins :resserrer ou desserrer l'étau autour des défenseurs des droits humains ». Celuici résulte d’une mission internationale d'enquête effectuée en septembre 2015 sur lasituation des défenseurs des droits humains dans le pays. Il cite de nombreuxexemples de la pression croissante à laquelle ces derniers doivent faire facedepuis quelques années, de la part de responsables gouvernementaux ainsi que degroupes nationalistes. Les différents types de harcèlement peuvent prendre laforme de perquisitions illégales de leur bureau, de surveillance etd'intimidation de la part des services de renseignements, de menacesd’application abusive de la législation pénale en matière de lutte contrel’extrémisme, d'agressions physiques et de campagnes de diffamation dans lesmédias.

Lerapport analyse l’ambivalence qui règne en matière de défense des droitshumains au Kirghizistan. En effet, si plusieurs représentants du gouvernementrencontrés lors de la mission ont reconnu le rôle légitime, nécessaire etpositif que jouent les défenseurs des droits humains dans la société et ontclairement fait part de leur volonté d’améliorer la situation en matière dedroits humains dans le pays, des déclarations officielles et initiativesrécentes semblent indiquer le contraire.

Bienque l'Observatoire salue la décision récente du Parlement de rejeter un projetde loi prenant pour cible les ONG et s’inspirant de la loi russe tristementcélèbre sur les « agents étrangers », il déplore que cet épisode aitinstauré une atmosphère de méfiance et d’animosité à l’égard de la sociétécivile, en particulier envers les défenseurs des droits humains.

Parailleurs, le rapport dénonce entre autres le projet de loi interdisant «l’incitation à des relations sexuelles non traditionnelles », qui est encore endébat au Parlement kirghize. En cas d'adoption, cette loi prévoirait dessanctions allant jusqu’à un an de prison pour toute déclaration, toutrassemblement ou toute action publique en faveur de l’égalité et des droits desminorités sexuelles, ce qui limiterait considérablement les libertésd’association, d’expression et de rassemblement pacifique. La loi étant rédigéede manière vague, elle aurait un impact sur les personnes travaillant dans ledomaine de la santé sexuelle et des minorités sexuelles. Plusieurs lois actuellesont eu un effet restrictif sur le contexte dans lequel travaille la sociétécivile, à l'instar de la loi sur la lutte contre l’extrémisme et de la loi surles fausses accusations visant à criminaliser la diffamation.

L’Observatoires’inquiète également des déclarations faites à l’occasion de la Fête des Mèrespar le Président kirghize Almazbek Atambayev. Le 14 mai 2016, le Président amentionné le nom des dirigeantes des organisations de défense des droitshumains « Bir Duino Kyrgyzstan » et « Kylym Shamy », Tolekan Ismailova et Aziza Abdirasulova, en évoquant unprétendu soulèvement contre le gouvernement. Il les a accusées de porteratteinte à la stabilité de l’Etat avec l’aide de fonds étrangers.

« Actuellement,la société civile ne sait plus que faire. On ne sait pas ce qui va se passer àl’avenir. Il est temps que les autorités décident ce qu’elles veulent vraimentpour le pays : une véritable démocratie, fondée sur le respect des droitshumains, ou bien un retour aux années sombres du pays », adéclaré Aliaksandr Bialiatsky, vice-président de la FIDH et président du Centredes droits de l’Homme « Viasna », qui fait partie de la délégation del’Observatoire actuellement au Kirghizistan pour présenter les conclusions etles recommandations du rapport de mission.

L’Observatoiredemande instamment aux autorités kirghizes qu'elles garantissent aux défenseursde pouvoir exercer leurs activités légitimes en toutes circonstances sansentrave et sans crainte de représailles.

Lerapport souligne en particulier la situation du défenseur des droits humains Azimjan Askarov, directeur de l’ONG« Vosduh », qui avait décrit la violence policière et les conditionsde détention dans le sud du Kirghizistan avant d’être lui-même incarcéré lorsdes affrontements ethniques de 2010. Il a été injustement condamné à laréclusion à perpétuité lors d’un procès qui n’a pas respecté les normesinternationales, comme l’a confirmé le Comité des droits de l'Homme des Nationsunies (CCPR) en avril 2016. Lasituation d'Azimjan Askarov est particulièrement grave si on la compare à celledes autres défenseurs des droits humains dans le pays. Cependant, elle reflètebien la répression à laquelle font face celles et ceux qui s’attaquent à desquestions considérées comme trop sensibles. Au cours de sa mission,l’Observatoire s’est vu refuser le droit de rendre visite à Azimjan Askarov enprison.

« LeKirghizstan a l’obligation légale d’appliquer les décisions du Comité desdroits de l'Homme des Nations unies. Il doit libérer sur le champ le défenseurdes droits humains Azimjan Askarov et annuler sa condamnation. Le non respectde ses obligations internationales jetterait le discrédit sur le Kirghizistan »,a affirmé Souhayr Belhassen, Présidente d'honneur de la FIDH qui préside ladélégation de l’Observatoire.

Souscouvert de lutter contre «la haine ethnique» et «l’extrémisme», plusieursONG et leur personnel ont été l’objet de descentes de police et de poursuitesinjustifiées. Comme Azimjan Askarov, leur travail consistait à défendre lesdroits des minorités ethniques, dans le sud du Kirghizistan. La persécution desavocats qui défendent les droits des Ouzbeks au Kirghizistan n’est pas limitéeaux perquisitions et aux confiscations de documents. Dans certain cas, commereflété dans le rapport, les avocats ont été agressés dans l’enceinte d'untribunal, et même dans une salle d'audience.

LeKirghizistan a ratifié les principaux instruments des Nations unies en matière de droitshumains. Les autorités doivent désormais les appliquer et notamment garantir unenvironnement favorable et sûr à tous les défenseurs des droits humains.

Lerapport est disponible en anglaiset en russe

L’Observatoirepour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (l’Observatoire) a étécréé en 1997 par la FIDH et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT).Ce programme vise à prévenir la répression contre les défenseurs des droits del’Homme ou à y remédier.