Arménie
28.03.03
Interventions urgentes

Arménie : Lettre ouverte au Président de la République M. Robert Kotcharian

Lettre ouverte au Président de la République d'Arménie, M. Robert
Kotcharian

Paris, Genève le 28 mars 2003

Monsieur le Président,

La FIDH et l'OMCT dans le cadre de leur programme conjoint,
l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de
l'Homme, sont préoccupés par les récentes atteintes à la liberté
d'action des défenseurs des droits de l'Homme qui se sont manifestées
par des entraves à la liberté d'association et de manifestation qui
s'inscrivent dans un contexte politique pré- et post-électoral
particulièrement tendu.

Ainsi, le 14 mars 2003, la vitre du portail d'entrée de
l'organisation Helsinki Citizens' Assembly (HCA) dans la ville de
Vanadzor, a été brisée et une bombe incendiaire a été jetée à
l'intérieur des bureaux. Le feu a été rapidement circonscrit.

Cette attaque serait liée à l'annonce faite le 13 mars par M. Arthur
Sakunts, coordinateur local du Helsinki Citizens' Assembly et éditeur
du journal Civil Initiative de son intention d'organiser une réunion
publique d'information sur le déroulement des élections
présidentielles. Cette réunion a d'ailleurs été interdite par décret
du maire qui a invoqué des raisons de sécurité. Cette invocation pour
légitime qu'elle soit, visait en l'espèce à entraver la liberté
d'expression et de diffusion d'information. La Cour d'appel a
d'ailleurs, à plusieurs reprises, invalidé ce type de décret pour ce
motif.

M. Arthur Sakunts a été arrêté par les autorités locales 15 mars 2003
au titre des articles 180 et 182 du code administratif de la
République d'Arménie. Il a finalement été condamné à 10 jours
d'emprisonnement sur le fondement de l'article 182 (outrepasser les
ordres des autorités policières), le juge n'a pas retenu l'article
180 (participation à toutes manifestation, rassemblement ou marche
publiques non autorisés).

L'Observatoire souligne l'incohérence de cette décision puisque cette
réunion n'ayant pas eu lieu, M. Sakunts ne peut avoir outrepassé
l'ordre des autorités.

L'Observatoire rappelle que le code administratif, hérité de l'Union
soviétique, sanctionne la violation des articles 180 et 182 d'amendes
pécuniaires démarrant à 500 Drams jusqu'à une période de détention
administrative allant jusque 15 jours. En l'espèce, la comparution
immédiate sans la présence d'un avocat est contraire aux normes
applicables en la matière.

L'Observatoire note que c'est le même code administratif qui a été
utilisé ces quatre dernières semaines pour arrêter environ deux cents
personnes ayant participé à des manifestations de protestation, pour
la plupart pacifiques, organisées par l'opposition politique à la
suite du scrutin contesté des élections présidentielles (1er tour le
19 février, 2eme tour le 5 mars 2003). Même si la plupart des
personnes ont été rapidement relâchées moyennant le paiement d'une
amende, d'autres, environ une cinquantaine, ont été condamnées à des
peines de détention administrative.

M. Sakunts a été libéré le 25 mars au terme de sa peine. Il a déclaré
avoir été traité en conformité avec les règles applicables en la
matière. M. Sakunts est le premier défenseur des droits de l'Homme à
être condamné depuis 1998, date de votre premier mandat. M Sakunts a
interjeté appel de ce jugement.

L'Observatoire demande que le droit à un procès équitable lui soit
garanti en l'espèce, que la cour d'appel reconnaisse l'illégalité de
la décision et lui accorde réparation.

L'Observatoire considère que l'attentat survenu dans les bureaux du
HCA, l'interdiction d'organiser une réunion publique sur le processus
électoral et l'arrestation et la condamnation du président de cette
organisation, sont une violation grave des principaux instruments
internationaux et régionaux de protection des droits de l'Homme qui
garantissent la liberté d'association tel le Pacte sur les droits
civils et politique et le Document de la réunion Copenhague de l'OSCE
ainsi que la Déclaration sur les défenseurs des droits de l'Homme
adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre
1998. Cette Déclaration dispose que chacun a le droit de communiquer
à autrui ou diffuser librement des idées, informations et
connaissance sur tous les droits de l'Homme (art 6.b), d'étudier,
discuter, apprécier et évaluer le respect tant en droit qu'en
pratique , de tous les droits de l'Homme (art 6.c) et de se réunir et
des se rassembler pacifiquement (art 5). En outre, il appartient à
l'Etat de protéger les défenseurs des droits de l'Homme (art 12).

L'Observatoire appelle les autorités arméniennes à veiller à ce que
toutes les personnes arrêtées alors qu'elles manifestaient
pacifiquement soient libérées au plus vite et que soit appliqué en
toute circonstance le droit à un procès équitable, et notamment la
présence d'un avocat, en accord notamment avec l'article 6 de la
Convention Européenne des Droits de l'Homme.

L'Observatoire appelle également les autorités arméniennes à
diligenter une enquête indépendante afin que les auteurs de
l'incendie perpétré contre le
local du HCA de Vanadzor soient identifiés et dûment sanctionnés.De
façon
générale, l'Observatoire appelle les autorités à se mettre en
conformité avec
leurs engagements souscrits au niveau international et régional.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre plus
haute considération.

Sidiki Kaba Eric Sottas
President of the FIDH Director of the OMCT