France
28.08.17
Interventions urgentes

Condamnation et harcèlement continu de M. Cédric Herrou

FRA001 / 0817 / OBS 092

Harcèlementjudiciaire et policier /

Condamnation

France

28août 2017

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme,partenariat de la FIDH et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT),vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante en France.

Description de la situation :

L'Observatoire a été informé par des sources fiables de la condamnationet du harcèlement continu de M. CédricHerrou, militant engagé dans des actions d’aide et d’accueil des personnesmigrantes et réfugiées notamment dans la vallée de la Roya, région des AlpesMaritimes qui borde la frontière italienne, membre du conseil d’administrationde l’association « Roya citoyenne », association de défense desmigrants de la vallée franco-italienne de La Roya[1].M. Herrou dénonce particulièrement le refoulement illégal de migrants,notamment des mineurs, des Alpes Maritimes vers l’Italie.

Selon les informations reçues, le 8 août 2017, la Cour d’appeld’Aix-en-Provence a condamné M. Cédric Herrou à quatre mois de prison avecsursis et à verser 1 000€ de dommages et intérêt à la Société nationale deschemins de fer (SNCF) pour « aide à l’entrée, à la circulation et auséjour irréguliers d’un étranger en France » commis en octobre 2016(article L. 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et dudroit d'asile (Ceseda)) et « faits d’installation en réunion sur leterrain d’autrui [la SNCF], sans autorisation, en vue d’y habiter »(article 322-4-1 du Code pénal).

Pendant le procès, l’avocat général a invoqué qu’il y avait eu unecontrepartie à l’aide apportée par Cédric Herrou, car « lorsque l’aides’inscrit dans la contestation globale de la loi, elle sert une cause militanteet constitue à ce titre une contrepartie ».

Le 10 février 2017, le Tribunal correctionnel de Nice avait condamné enpremière instance M. Cédric Herrou à une amende de 3 000€ pour « aide àl’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier d’un étranger enFrance » (voir rappel des faits).

En première instance M. Cédric Herrou avait expliqué vouloir« apporter aux migrants un soutien sanitaire, alimentaire et moral »notamment aux personnes, principalement originaires du Soudan et de l’Érythréequi traversent à pied la frontière italienne par la vallée de la Roya.

Par ailleurs, une autre procédure pénale visant M. Herrou estactuellement en cours. Le 26 juillet 2017, le parquet de Grasse a mis M. CédricHerrou en examen pour « aide à l’entrée et à la circulation d’étrangers ensituation irrégulière ». M. Cédric Herrou avait été arrêté le 24 juillet2017 à la gare de Cannes dans un train dans lequel voyageaient 156 personnesmigrantes qui se rendaient à Marseille pour déposer une demande d’asile. M.Herrou était présent dans le train de Nice à Cannes afin de filmerd'éventuelles interpellations. Après avoir été maintenu en garde à vue pendantdeux jours, sa sixième depuis 2016, M. Cédric Herrou a été placé sous contrôlejudiciaire avec interdiction de quitter le territoire français et d’accéder auxgares et aux parvis de gare des Alpes Maritimes. Il doit en outre aller pointerà la Gendarmerie de Breil sur Roya toutes les deux semaines. Il risque jusqu’àcinq ans de prison et 30 000 € d’amende[2].

M. Herrou est également régulièrement convoqué par la police. Le 17août 2017, il a été convoqué à une audition libre car il est « soupçonnéd’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction d’injure publique envers unfonctionnaire dépositaire de l’autorité publique par un moyen de communicationpar voie électronique et ce les 12 et 13 juin 2017 ». Cette convocation,qui fait suite à une plainte déposée par le préfet est liée à un post Facebookdans lequel il critiquait la politique mise en place à l’encontre des migrantsdans la région. Par ailleurs, depuis 2016 il a fait l’objet de six gardes à vueet son domicile a été perquisitionné à quatre reprises.

En outre, plusieurs gendarmes sont postés dans la montagne autour dudomicile de M. Cédric Herrou et les bénévoles qui travaillent chez CédricHerrou en faveur des droits des migrants sont très souvent contrôlés par lapolice, au même titre que toute personne qui descend de chez lui. Des actesd’intimidation et des insultes de la part de membres des forces de l’ordrevisant M. Herrou, son avocat et des bénévoles qui travaillent avec lui auraientégalement été rapportés. M. Herrou reçoit également de nombreuses menaces etinsultes par courrier et sur les réseaux sociaux.

M. Herrou n’est pas le seul militant harcelé en France pour son soutienaux personnes migrantes et réfugiées. Plusieurs se sont plaints de lamultiplication des cas de convocations au commissariat, de gardes à vue et depoursuites pour aide au séjour irrégulier ou autres délits[3].

La vallée de la Roya dans les Alpes Maritimes, qui compte 5000habitants, est le théâtre d’une vaste opération policière visant à intimider lepassage et la présence de migrants. La vallée est en permanence surveillée parenviron quatre-cents policiers et/ou gendarmes, qui opèrent un contrôle strictdu déplacement de toute personne « d'apparence étrangère », selon lestémoignages des associations. Des dizaines de migrants se cachent et se mettenten danger pour échapper à la police. Ainsi, il y aurait eu officiellement 18décès de personnes migrantes constatés par les pompiers depuis l’été 2016. Enoutre, lorsque des personnes sont appréhendées par la police aux frontièresfrançaise, plusieurs témoignages font état de refoulement vers l'Italie, enviolation des procédures relatives au droit d’asile. En l’absence de processusd’accueil et d’accompagnements, des habitants se mobilisent pour apporter uneaide humanitaire ou un soutien juridiqueou social aux personnes migrantes présentes dans la région.

L’Observatoire s’indigne de la condamnation et du harcèlementjudiciaire dont M. Cédric Herrou fait l’objet en ce qu’ils ne visent qu’à lepunir pour ses activités légitimes et pacifiques de défense des droits humains,et particulièrement son action en faveur des personnes migrantes et réfugiéesdans la vallée de la Roya.

L’Observatoire appelle les autorités françaises à mettre un terme àtoute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire à l’encontre de M.Cédric Herrou et celle de l’ensemble des défenseurs des droits humains visésdans le cadre de leurs actions en faveur des personnes migrantes et réfugiéesen France.

Plus généralement, l’Observatoire appelle les autorités françaises àgarantir une protection efficace contre des poursuites visant des actions« humanitaires et désintéressées ». En effet, la formulation desdispositions de l'article L. 622-4 du Ceseda est si imprécise qu'elle peutdonner lieu à des interprétations jurisprudentielles contradictoires, enfonction de la nature des actes de solidarité incriminés[4].

Rappel desfaits :

Le 11 août 2016, M. Cédric Herrou a été interpellé à la sortie de sondomicile et placé en garde à vue par la police aux frontières de Menton, alorsqu’il conduisait un véhicule avec à son bord huit personnes migrantes d’origineérythréenne sans papiers d’identité.

Lors de son interrogatoire, M. Cédric Herrou revendiquait une actionhumanitaire ancienne auprès des migrants afin de leur permettre de se nourrir,de se laver et de se réchauffer avant de les conduire à la gare ferroviaire laplus proche sans percevoir aucune contrepartie.

L’affaire fut classée sans suite par la justice française au motif del’ « exemption humanitaire » prévue par la loi. En effet, leCode de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda)exonère de poursuites pénales « toute personne physique ou morale, lorsquel'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte etconsistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations derestauration, d'hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer desconditions de vie dignes et décentes à l'étranger, ou bien toute autre aidevisant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de celui-ci »(article L. 622-4 du Ceseda).

Le 20 octobre 2016, une patrouille de gendarmerie a évacué un immeubledésaffecté de la SNCF à Saint Dalmas de Tende, organisé en centre d’accueiltemporaire pour étrangers en situation irrégulière en provenance d’Érythrée etdu Soudan, dont 29 mineurs, par plusieurs associations dont Roya citoyenne,Médecins du monde, Amnesty International, Association démocratie Nice (ADN),Habitat & citoyenneté, Réseau éducation sans frontières (RESF), Cimade 06, MRAP 06, et la Ligue des droits de l’Homme (LDH).Sur place étaient également présents plusieurs représentants d’associationslocales, y compris la section de Cannes et de Grasse de la LDH et M. CédricHerrou. Trois bénévoles ont été arrêtés dont M. Herrou. Dans leurprocès-verbal, les gendarmes ont conclu à une occupation illicite du bienimmobilier appartenant à la SNCF « ne permettant pas d’accueillir dans desconditions sanitaires et sécuritaires les personnes affaiblies, malades etsouvent mineures ». M. Herrou a été gardé 48 heures en garde à vue et lesdeux autres bénévoles 24 heures. Le parquet de Nice a alors décidé d’engagerdes poursuites pénales contre M. Herrou à la suite de ce procès-verbal. Aucundes autres bénévoles ou associations présentes n’a été inquiété. M. Herrou aété placé sous contrôle judiciaire : il a été assigné à résidence,interdit de quitter le département des Alpes Maritimes et interdit de conduireun véhicule. Son mini van a de plus été saisi par la police.

A l’issue de l’enquête, M. Cédric Herrou a été renvoyé devant letribunal correctionnel et placé sous contrôle judiciaire dans l’attente d’unjugement.

Le 10 février 2017, le Tribunal correctionnel de Nice a reconnu quel’action de M. Cédric Herrou se faisait dans un cadre de solidarité évidentmais a cependant estimé que M. Herrou n’apportait pas la preuve d’une action desauvegarde individualisée pour chaque migrant dont il a facilité l’entrée surle territoire national alors qu’il ne peut pas indiquer leurs noms, lescirconstances de leur venue en Europe et fournir la preuve au cas par cas d’unfranchissement de la frontière qui aurait été réalisé dans des circonstancesmatérialisant un péril.

Par ailleurs, le tribunal a également estimé que les personnesmigrantes dont M. Cédric Herrou a facilité le séjour et la circulation setrouvait sur le territoire national du fait de sa propre action. Par conséquentle tribunal a reconnu M. Cédric Herrou coupable « d’aide à l’entrée, à lacirculation et au séjour irrégulier d’un étranger en France » et l’acondamné à une amende de 3 000€.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités françaises en leur demandant de :

i. Mettreun terme à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, àl’encontre de M. Cédric Herrou,ainsi que l’ensemble des défenseurs des droits humains et particulièrement desdroits des personnes migrantes et réfugiées en France ;

ii. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs desdroits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9décembre 1998, et plus particulièrement à ses articles 1 et 12.2 ;

iii. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclarationuniverselle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationauxrelatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la France.

Adresses :

· M. Emmanuel Macron,Président de la République, @EmmanuelMacron ; Tel : +33 1 42 92 81 00

· M. Edouard Philippe,Premier Ministre, @EPhilippePM ; Tel : +33 1 42 75 80 00

· M. Gérard Collomb, Ministrede l’intérieur, @gerardcollomb

· M. Jean Yves le Drian,Ministre des affaires étrangères, @JY_LeDrian ; Tel : +33 1 43 17 53 53

· Mme Nicole Belloubet,Ministre de la justice, @NBelloubet ; Tel : +33 1 44 77 60 60

· Mme ChristineLazerges, Président de la Commission nationale consultative des droits del’Homme (CNCDH), Fax : +33 1 42 75 77 14 ; email : cecile.riou@cndh.fr @CNCDH

· Mme Elisabeth Laurin, Représentante permanente de la Républiquefrançaise auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, Fax : +41 22 75891 37 ; email : mission.france@ties.itu.int ; @FranceONUGeneve

· M. Pierre Sellal, Représentant permanent de la République française auprèsde l’Union européenne à Bruxelles, Fax : +32 22 30 99 50 ; email : courrier.bruxelles-dfra@diplomatie.gouv.fr ; @RPFranceUE

Prière d’écrire également aux représentationsdiplomatiques de la France dans vos pays respectifs.

***

Paris-Genève, le 28 août 2017

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprisesen indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, partenariat de la FIDH et de l’OMCT, a vocation àprotéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leurapporter une aide aussi concrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membresde ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseursdes droits de l’Homme mis en œuvre par la société civile internationale.

[1] La « Roya citoyenne »porte secours aux réfugiés et migrants de passage dans la vallée de la Roya.L’association fait également l’objet d’une procédure d’assignation en référé àla suite d’une plainte déposée par M. Olivier Bettati, conseiller municipal deNice et conseiller régional de la région PACA. L’audience initialement prévuele 18 juillet 2017 a été reportée au 13 octobre 2017.

[2] Cf. Communiqué de la Ligue desdroits de l’Homme, 26 juillet 2017 : https://www.ldh-france.org/garde-vue-cedric-herrou-deni-justice/

[3] Cf. dossier web du Grouped'information et de soutien des immigrées (GISTI) sur la recrudescence du délitde solidarité : http://www.gisti.org/spip.php?article5179

[4] Cf. l’avis n°0131 du 4 juin 2017de la CNCDH, Avis : mettre fin au délit de solidarité, disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000034851164