Burundi
16.11.18
Interventions urgentes

Détention arbitraire continue et poursuite du harcèlement judiciaire à l’encontre de Germain Rukuki

APPEL URGENT - L'OBSERVATOIRE

Nouvellesinformations

BUR 001 / 0717 / OBS 081.9

Détention arbitraire /

Harcèlement judiciaire

Burundi

16 novembre 2018

L’Observatoire pour la protection desdéfenseurs des droits de l’Homme, un partenariat de l’Organisation mondialecontre la torture (OMCT) et de la FIDH, a reçu de nouvelles informations etvous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante au Burundi.

Nouvelles informations :

L’Observatoire a été informé de sourcesfiables de la détention arbitraire continue et de la poursuite du harcèlementjudiciaire à l’encontre du défenseur des droits humains Germain Rukuki, employéde l’Association des juristes catholiques du Burundi (AJCB), président de «Njabutsa Tujane »[1], et ancien employé de l’Action deschrétiens pour l'abolition de la torture Burundi (ACAT-Burundi).

Selon les informations reçues, le 22 novembre2018 la Cour d’Appel de Bujumbura, en déplacement à Ngozi pour l’occasionexaminera en appel le dossier de Germain Rukuki, condamné le 26 avril 2018 à 32ans d’emprisonnement par le Tribunal de Grande Instance de Bujumbura pour «mouvement insurrectionnel », « atteinte à la sûreté intérieure de l’État »[2]et « rébellion »[3](voir rappel des faits ci-dessous).

L’Observatoire déplore le harcèlementjudiciaire dont fait l'objet M. Rukuki, et rappelle qu'il est détenuarbitrairement depuis juillet 2017 pour avoir collaboré avec l’ACAT-Burundi, organisationqui documente les actes de torture et autres crimes commis dans le pays,principalement par le régime du président Pierre Nkurunziza.

L’Observatoire condamnefermement les violations flagrantes des garanties prévues par le Code deprocédure pénale burundais dans le dossier de M. Germain Rukuki en premierinstance, et appelle les autorités à mettre terme à toute forme de harcèlement,y compris au niveau judiciaire, à son encontre. Les autorités burundaisesdevraient le libérer de manière immédiate et inconditionnelle, sa détentionarbitraire ne visant qu’à sanctionner ses activités pacifiques et légitimes dedéfense des droits humains.

Rappel des faits :

Le 13 juillet 2017 vers 6 heures du matin,des membres de la police municipale de Bujumbura se sont rendus audomicile de M. Germain Rukuki et ont procédé à une perquisition avant deréquisitionner l’ordinateur de son épouse et de l’arrêter sans mandat. Escortépar quatre pick-ups de la police, il a ensuite été conduit à l’AJCB pourréquisitionner son ordinateur et des documents. L’opération a été conduite parl’officier de police judiciaire M. Jean Pierre Nitunga, en coopérationavec le Service National de Renseignement (SNR), qui l’a commandée.

Le jour même, le SNR a confirmé l’arrestationde M. Rukuki auprès de la Commission nationale indépendante des droits del’Homme (CNIDH) burundaise.

Au cours de sa détention au sein des locauxdu SNR, M. Rukuki n’a pu recevoir aucune visite de ses proches, ni être encontact avec son avocat et a été interrogé de nombreuses fois, en l’absence deson avocat.

Après 14 jours de détention, le 26 juillet2017, M. Rukuki a été transféré à la prison de Ngozi[4], sans avoir été auditionné auparavantpar le magistrat du parquet qui l’a placé sous mandat d’arrêt[5].

La première audition de M. Rukuki par unmagistrat représentant le Ministère public depuis son arrestation n’a eu lieuque le 1er août 2017. Il a été entendu par le substitut duprocureur général de la République, M. Adolphe Manirakiza, qui représente leMinistère public dans les dossiers relatifs au putsch manqué du 13 mai 2015[6].

Durant cette audition, M. Rukuki a été accuséformellement d'« atteinte à la sûreté intérieure de l’État » et de« rébellion » pour avoir collaboré avec l’ACAT-Burundi, organisationde défense des droits humains radiée en octobre 2016[7]. Selon les autorités, l’ACAT-Burundiaurait organisé des manifestations en avril 2015 pour contester la troisièmecandidature de Pierre Nkurunziza à la présidence de la République, et participéau coup d’État de 2015 ainsi qu’à la production de rapports qui iraient àl’encontre des institutions burundaises. De plus, elle aurait désavoué ladécision du ministère de l’Intérieur de l’avoir radiée.

Le 14 août 2017, la Chambre de conseil atenu une audience à la prison de Ngozi, afin de statuer sur la régularitédu placement en détention préventive de M. Rukuki. Durant l’audience, leMinistère public a notamment accusé M. Germain Rukuki de représenter l’ACAT auBurundi, mais sans fournir d’« indices sérieux de culpabilité »[8].La défense a ainsi demandé la libération de M. Rukuki, alors que le Ministèrepublic a requis son maintien en détention en attendant la conclusion del’enquête dans cette affaire.

Le 17 août 2017, la Chambre de conseil duTribunal de grande instance de Ntahangwa a rendu publique sa décision deconfirmer le placement en détention préventive de M. Germain Rukuki.

Le 25 août 2017, le greffe du Tribunalde grande instance de Ntahangwa a notifié à M. Germain Rukuki l’ordonnancede maintien en détention, prise par la Chambre de conseil le 17 août2017. Le même jour, l’équipe de défense de M. Rukuki a interjeté appelcontre cette ordonnance devant la Cour d’appel de Bujumbura.

Le 27 octobre 2017, la Cour d’appel deBujumbura a entendu les parties durant une audience à la prison de Ngozi, avantde mettre l’affaire en délibéré.

Durant l’audience, la parole a été accordée àM. Rukuki et ses avocats, qui ont expliqué que l’appel était fondé sur l’absenced’indices sérieux de culpabilité, puisque l’échange d'e-mails sur lequel sebase l’accusation du Ministère public date de la période où l'ACAT-Burundiexerçait légalement ses activités au Burundi. Ils ont ainsi demandé la mise enliberté de M. Rukuki. Les avocats de la défense ont également souligné queplusieurs violations flagrantes des règles de procédure pénale avaient étécommises depuis l’arrestation arbitraire de M. Rukuki, incluant l’absence deprésentation d’un mandat d’amener lors de son arrestation, son interrogatoiredans les locaux du SNR en l’absence de ses avocats et la mise sous mandatd’arrêt sans instruction préalable, ni présence de ses avocats.

Le Ministère public s’est quant à lui opposéà la libération de M. Germain Rukuki en arguant qu’il « risquait derejoindre les autres personnes exilées à l’étranger qui seraient impliquéesdans ce dossier ».

Le 31 octobre 2017, la Cour d’appel deBujumbura a confirmé le maintien en détention de M. Germain Rukuki.

Le 13 février 2018, leTribunal de grande instance de Ntahangwa a prononcé de nouvelles charges àl’encontre de M. Rukuki, à savoir « assassinat de militaires, policiers etcivils », « dégradation des édifices publics et privés », et «volonté de changer le régime élu démocratiquement ».
Lors de l’audience publique du 13 février 2018, la défense a argué qu’ilexistait encore des irrégularités de procédure dans le dossier de M. Rukuki, eta demandé au tribunal de statuer en premier lieu sur ces irrégularités avant destatuer au fond. En effet, jusqu’alors, la défense de M. Rukuki n’a eu accèsqu’à trois pièces de son dossier, qui en contient 174. De plus, M. Rukuki a étéassigné à comparaître à l’audience le jour-même où il a comparu, en violationdu délai de huit jours imposé par la loi, entre la date d’assignation et cellede comparution. Enfin, l’introduction des trois nouveaux chefs d’accusationsn’a pas été précédée d’une période d’instruction. La défense a donc ainsi faitvaloir que l’assignation de M. Rukuki à cette audience était irrégulière.

Le tribunal n’a donc passtatué au fond, a autorisé la défense à se procurer une copie du dossierrépressif complet et a renvoyé le dossier au 27 février 2018. Les audiencesprévues les 27 février et 27 mars 2018 ont été reportées.

Le 26 avril 2018, leTribunal de grande instance de Ntahangwa a condamné M. Rukuki à 32 ansd’emprisonnement pour « mouvement insurrectionnel », « atteinte à la sûretéintérieure de l’État » et « rébellion ». Ni M. Germain Rukuki ni ses avocatsn’étaient présents à la lecture de la sentence.

Le 11 juin 2018, M. Germain Rukuki a étéopéré à l’hôpital de Ngozi après s’être fracturé une cheville et blessé à uneépaule en prison le 7 juin 2018. Le 18 juin 2018, M. Germain Rukuki a denouveau été transféré à la prison de Ngozi, alors que son état de santé étaitencore critique et malgré le fait qu’il ait demandé à rester à l’hôpital pourcontinuer de recevoir des soins de santé.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloirécrire aux autorités burundaises en leur demandant de :

i. Procéder à lalibération immédiate et inconditionnelle de M. Germain Rukuki et del’ensemble des défenseurs des droits humains arbitrairement détenus auBurundi ;

ii. Mettre un termeà toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontrede M. Germain Rukuki ainsi que de l’ensemble des défenseurs desdroits humains au Burundi ;

iii. Garantir entoutes circonstances l’intégrité physique et psychologiquede M. Germain Rukuki et de l’ensemble des défenseurs des droitshumains au Burundi ;

iv. S'assurer quel'ensemble des procédures engagées à l’encontre de M. GermainRukuki soient conduites dans le respect du droit à un procès équitable ;

v. Se conformeraux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme,adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998, et plusparticulièrement à ses articles 1, 5(b) et 12.2 ;

vi. Plusgénéralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle desdroits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs auxdroits de humains ratifiés par le Burundi.

Adresses :

· S.E. PierreNkurunziza, Président de la République du Burundi. Fax : +257 22 22 74 90

· M. EmmanuelNTAHOMVUKIYE, Ministre de la Défense nationale et des anciens combattants,Fax : +257 22253215 / 22253218, Email : mdnac@yahoo.fr

· M. AlainGuillaume BUNYONI, Ministre de la sécurité publique, Burundi. Fax : + 25722 24 53 51, Email : mininter@yahoo.fr

· S.E M. RénovatTabu, Ambassadeur, Mission permanente de la République du Burundi auprèsdes Nations unies à Genève, Suisse. Fax : +41 22 732 77 34.Email : mission.burundi217@gmail.com

· Ambassade duBurundi à Bruxelles, Belgique. Fax : +32 2 230 78 83,Email : ambassade.burundi@gmail.com

Prière d’écrire également aux représentationsdiplomatiques du Burundi dans vos pays respectifs.

***

Genève-Paris, le 16 novembre 2018

Merci de bien vouloir informer lObservatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, partenariat de l’OMCTetde la FIDH, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimesde violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. La FIDHet l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Unioneuropéenne pour les défenseurs des droits de l’Homme mis en œuvre par lasociété civile internationale.

Pour contacter lObservatoire, appeler La Ligne dUrgence :

· E-mail : Appeals@fidh-omct.org

· Tel et fax OMCT : + 41 22 809 49 39 /