Bahreïn
09.12.11
Interventions urgentes

Journée mondiale des droits de l'homme: Une occasion unique de mettre un terme à la torture au Moyen-Orient et en Afrique du Nord - Dix étapes dans la lutte contre la torture

DÉCLARATION CONJOINTE ÀL'OCCASION DE LA JOURNÉE DES DROITS DE L'HOMME DE L'ONU

Une occasion unique de mettre unterme à la torture au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Dix étapes dans la lutte contrela torture

Genève,le 10 décembre 2011.A l'occasion de la Journée des droits del'homme, l'Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) et quatorze organisationspartenaires de huit pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (voir ci-dessous) lancent un appel communà tous les gouvernements de la région pour que la prohibition absolue de latorture et des mauvais traitements devienne réalité. Pour ce faire, l'OMCT etses 13 organisations partenaires ont élaboré un agenda « en dixétapes », qui est présenté ci-dessous.

L'année 2011 a été marquée par l'appel à la liberté et à lajustice lancé au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La vague de protestations populaireset pacifiques visait à renverser des régimes répressifs, qui se caractérisaientpar la pratique répandue de la torture et de mauvais traitements infligés entoute impunité et profondément ancrés dans un système fondé sur des loisd'urgence et d'exception.

« Nous sommes à une croisée des chemins, qui offre uneoccasion historique de mettre enfin un terme aux pratiques endémiques etsystémiques de torture et de mauvais traitements dans la région », ontexpliqué l'OMCT et ses quatorze organisations partenaires. « Il est doncessentiel que la lutte contre la torture et l'impunité occupe une placecentrale dans l'agenda des réformes des pays qui s'engagent dans une véritabletransition. De même, nous ne devons pas lésiner sur les efforts pour mettre unterme au recours à la torture et pour que soient jugés les responsables de larépression violente des mouvements dissidents et d'opposition. »

Tandis que des pays, tels que la Tunisie, se sont engagésdans un processus de transition, de nouveaux faits de torture rendentnécessaires, aujourd'hui encore, des réformes durables à même de garantir despoursuites à l'encontre des auteurs et de prévenir les actes de torture àl'avenir. D'autres gouvernements de la région, notamment le Maroc, ont réagiaux protestations naissantes en lançant un certain nombre de réformes.Cependant, la poursuite de pratiques de torture et de mauvais traitements et lemanque d'engagement dans la lutte contre l'impunité demeurent une source depréoccupation majeure, comme l'a relevé le Comité des Nations Unies contre latorture la semaine dernière.

D'autres Etats, tels que l'Algérie, ont engagé des réformesqui si elles étaient adoptées renforceraient les restrictions actuelles auxlibertés fondamentales. La levée de l’état d’urgence n’a eu aucune conséquencepositive puisque les dispositions d'urgence ont été conservées dans le droitcommun et de nouvelles lois sont venues renforcer le dispositif permettant dene pas respecter les droits des personnes arrêtées et détenues, allant mêmejusqu’à inscrire dans la loi la détention dans des lieux secrets. Dans cecontexte, les violations des droits de l'homme, y compris la torture, lesdétentions arbitraires et les disparitions forcées sont commises de manièretrop fréquente par des forces de sécurité, qui jouissent d'une totale impunité.En outre, cette impunité est renforcée par le fait que les textes d’applicationde la Charte pour la paix et la réconciliation Nationale prescrivant uneimpunité totale des agents de l’Etat pour les crimes commis durant le conflitdes années 90, sont toujours en application.

Alors que la Tunisie et l'Egypte étaient les premiers paysde la région à organiser des élections libres (électionde l'Assemblée constituante dans le premier cas et élections parlementairesdans le second) et que de nouvelles opportunités se profilent,l'héritage du passé en matière de violations des droits de l'homme représenteun défi de taille. En Egypte, en particulier, on ne constate guère de réformessignificatives visant à mettre un terme à la pratique répandue de la torture, puisque le Conseil suprême des forces armées (CSFA)continue de se fonder sur des lois d'urgence et de recourir aux tribunauxmilitaires pour juger des civils, de réprimer dans la violence desmanifestations pacifiques et de viser des personnes considérées comme critiquesà l'égard de l'autorité en place. Les changements survenus en Libye ont nourride grandes attentes et l'espoir que les graves violations des droits de l'hommeperpétrées sous le régime de Kadhafi se terminent enfin. Cependant, lesrévélations selon lesquelles des actes de torture, des mauvais traitements etdes détentions arbitraires ont été perpétrés, y compris par les forces del'autorité de transition, montrent la nécessité de déployer des effortssoutenus pour prévenir la torture et pour garantir que les auteurs sontpoursuivis, ainsi que de poursuivre la coopération avec la Cour pénaleinternationale.

Dans d'autres pays, la situation demeure précaire. C'estnotamment le cas du Yémen et de Bahreïn. En Syrie en particulier, les forces desécurité continuent à réagir face aux protestations par le recours à la forceet à la torture. Dans son rapport publié le 28 novembre 2011, la commissiond'enquête internationale indépendante sur la Syrie a exprimé sa profondepréoccupation du fait des crimes contre l'humanité commis par l'armée et lesforces de sécurité depuis le début de la répression contre les manifestationsde protestation en mars 2011. Au vu de l'attitude arrogante adoptée jusqu'àprésent par la Syrie, une réponse plus forte et unanime de l'ONU, y compris duConseil de sécurité, doit dorénavant inclure un renvoi devant la Cour pénaleinternationale.

Les récentes manifestations au Moyen-Orient et en Afrique duNord annoncent peut-être l'avènement d'une ère nouvelle dans la région. Toutefois,le chemin à parcourir pour atteindre la liberté, la justice et la démocratieest encore long ; l’exemple du Liban, qui a lui aussi connu son« printemps » en 2005, montre combien la lutte contre la torture etl'impunité doit constituer une priorité. Malgré des progrès en matière delibertés individuelles, le pays est en effet loin d’avoir aboli la torture quireste une pratique extrêmement courante des services procédant à desarrestations.

A l'occasion de la Journée mondiale des droits de l'homme etpour poursuivre l'élan donné par le Printemps arabe, l'OMCT et ses quatorze organisationspartenaires dans la région ont élaboré un agenda en « dix étapes »contre la torture, et prient instamment les gouvernements de la région et lesautres acteurs impliqués de les adopter pleinement.

Les organisations signataires :

- Forum dignité pour les droits humains – Maroc

- Observatoire marocain des prisons(OMCT) – Maroc

- Association marocaine des droits humains (AMDH) – Maroc

- Organisationmarocaine des Droits de l'Homme (OMDH) - Maroc

- Collectif des Familles de Disparus en Algérie (CFDA) – Algérie

- Conseil National pour la Liberté en Tunisie (CNLT) – Tunisie

- Organisation Contre la Torture en Tunisie (OCTT)– Tunisie

- Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits del’Homme (LTDH) – Tunisie

- Human Rights Solidarity Libya – Libye

- Land Center for Human Rights (LCHR) – Egypte

- Egyptian Organisation for Human Rights (EOHR) – Egypte

- Centre Libanais des Droits de l’Homme (CLDH) – Liban

- Syrian Human Rights OrganizationSawassyah – Syrie

- Bahrain Center for Human Rights (BCHR) – Bahreïn

Dix étapes dans lalutte contre la torture

1) S'engager à mettre un terme à latorture et aux mauvais traitements

Alors que la région est en pleine mutation, lesgouvernements devraient exprimer publiquement leur engagement univoque à mettrefin aux pratiques impliquant la torture et les mauvais traitements, à œuvrerpour des réformes fondamentales favorisant les poursuites à l'encontre desauteurs d'actes de torture et à prévenir les actes de cette nature à l'avenir.Toutes les instances chargées de l'application de la loi doivent êtreclairement informées que les actes de torture et les mauvais traitements neseront plus tolérés à l'avenir. Etant donné le recours à la torture continu,systématique et répandu dans certains pays de la région, notamment en Syrie,les gouvernements, y compris ceux de la région, devraient user de leurinfluence au sein de la communauté internationale pour garantir que leursauteurs sont poursuivis (cf. point 10).

2) Enquêter sur les actes de torture, traduireles auteurs en justice

La torture étant un crime en vertu du droit international,les Etats ont l'obligation claire et sans équivoque de mener des enquêtesindépendantes et de traduire en justice les auteurs. Néanmoins, malgré lesrécentes réformes menées dans certains pays, rares sont les poursuitesréellement menées et documentées à l'encontre des auteurs. Nous rappelons qu'ily a obligation immédiate à enquêter sur les actes de torture et que ces actessont poursuivis d'office. Les enquêtes doivent également porter sur des abusperpétrés dans le passé, afin de garantir que les victimes de torturebénéficient de recours et de réparations et que le droit à la vérité estpleinement respecté.

3) Garantir aux victimes le droit auxrecours et aux réparations

Le recours à la torture dans un cadre politique a fait desvictimes, qui doivent être reconnues comme telles. Alors que certains payscommencent à admettre avoir eu recours à la torture dans le passé, il n'y a pasencore de reconnaissance suffisante du besoin de garantir des recours efficaceset des réparations en faveur des victimes de torture. Tout processus de réformecrédible doit se fonder sur la reconnaissance de celles et ceux qui ont survécuà la torture en tant que victimes d'une violation grave des droits humains, cequi leur donne pleinement droit à des recours et des réparations effectifs, ycompris une compensation et l'accès à la réhabilitation d'un point de vuejuridique, social et médical.

4) Démanteler l'appareil répressif

Une priorité importante doit être le démantèlement del'appareil répressif et la garantie que les instances chargées de faireappliquer la loi agissent dans le cadre de l'Etat de droit et non en dehors decelui-ci. Beaucoup de services de sécurité nationaux ont agi sur la base demandats peu transparents, sur des fondements juridiques et selon des voieshiérarchiques ambiguës, dans un contexte qui garantissait de droit ou de faitl'impunité pour les actes de torture. Un cadre juridique clair et transparent,une séparation entre les fonctions de renseignement et d'application de la loi,les arrestations et les détentions incombant à cette dernière, et unesurveillance efficace par la société civile et l'échelon judiciaire sont descritères essentiels.

5) Démilitariser le système judiciaire etinstaurer un système de protection

Les lois d'urgence et autres lois d'exception utilisées surle long terme ont créé un système judiciaire répressif avec des tribunauxmilitaires ou spéciaux ou des cours de sûreté de l'Etat, dont la juridictions'étend souvent aux civils et qui valident les renseignements obtenus sous latorture. Ces systèmes judiciaires d'exception doivent être remplacés par unsystème judiciaire civil ordinaire. De plus, tout processus de réforme crédibleet viable dans la région devrait se traduire par un renforcement del'indépendance de la justice, par l'instauration de voies de recours efficaces,et dans les pays où des réformes constitutionnelles sont en cours, comme c'estle cas en Tunisie, des recours constitutionnels en matière de droits de l'hommedevraient également être envisagés, par exemple des tribunaux constitutionnels.

6) Prévenir la torture et mettre fin à ladétention incommunicado

La torture et les mauvais traitements pendant les gardes àvue sont aujourd'hui encore une réalité dans les pays de la région, y comprisdans les affaires pénales « ordinaires ». Le renforcement desgaranties effectives, telles que l'accès immédiat à des avocats dès le momentde l'arrestation sans qu'une permission spéciale soit nécessaire, de même quel'accès à une expertise médicale indépendante et d'autres mesures de protectioncontre la torture, doivent devenir réalité. Une surveillance efficace dusystème judiciaire est également requise, afin de garantir que les standards existantssont respectés. Ces standards sont également essentiels dans le domaine de lasécurité nationale et du contre-terrorisme, afin d'éviter tout abus.

7) Etablir un suivi, un contrôle et unesurveillance indépendants

La transparence est la clé de la protection des droits del'homme pendant la détention. La ratification du Protocole facultatif à laConvention des Nations Unies contre la torture devrait représenter un premierpas important et être suivie par la mise en place de mécanismes de visitenationaux indépendants, auxquels est affecté un personnel adéquat, et quiaurait accès à tout lieu de détention. De plus, un élément important dans ladémarche de démocratisation est le fait que la société civile indépendante aitaccès aux lieux de détention et puisse les surveiller. Cet élément devrait êtreancré dans les réformes visant la démilitarisation du système pénitentiaire,afin de garantir le respect des standards internationaux et des principes deresponsabilité démocratique.

8) Créer un cadre favorable pour lesdéfenseurs des droits de l'homme et la société civile

Tout processus de réforme dans la région doit comprendre latransition d'un système de contrôle vers un système dans lequel lesorganisations de défense des droits de l'homme et les acteurs de la sociétécivile peuvent élaborer des rapports critiques sur la situation en matière dedroits de l'homme. Cela devrait permettre que les lois sur les associations etles rassemblements soient entièrement adaptées aux standards internationaux.Les autorités devraient également garantir que toute forme de menace ou deharcèlement visant les défenseurs des droits de l'homme est stoppée et que lesauteurs sont traduits en justice.

9) Utiliser la législation internationalecontre la torture comme principale référence

Des processus de transition en d'autres endroits nous ontenseigné que les standards internationaux en matière de droits de l'hommedevraient être repris directement dans la législation nationale et devenir uneréférence pour que le processus de transition puisse aboutir. Cela implique queles standards internationaux soient intégrés dans la législation nationale,qu'il existe des moyens de garantir que la loi nationale respecte ces standardset peut inclure le fait que des décisions rendues par un mécanisme universel ourégional d'examen des plaintes soient reprises dans la loi. S'ils ne l'ont pasencore fait, les Etats devraient adhérer à la Convention des Nations Uniescontre la torture, ainsi qu’au Protocole facultatif, et accepter la compétencedu Comité contre la torture et du Comité des droits de l'homme pour connaîtreles plaintes individuelles.

10) Renforcer la détermination de lacommunauté internationale

Etant donné le recours continu à la torture dans certainesparties de la région, il est essentiel que la communauté internationale donneune réponse claire dans le domaine de la torture et de l'impunité et s'assureque les auteurs sont poursuivis. Il importe, en particulier, de garantir quedans des cas comme celui de la Syrie, la compétence est transférée à la CPI.Nous appelons les pays de la région à devenir des acteurs du changement enprenant parti en faveur de la protection des droits de l'homme et en appliquantet améliorant le système universel des droits de l'homme et ses mécanismes.