Burundi
04.02.20

Lettre ouverte sur l’irrégularité du procès contre les défenseurs des droits de l’homme burundais

Bujumbura, Genève, le 04 février 2020

Groupe d’Intervention Judiciaire SOS-Torture Afrique

Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)

A

Monsieur le Président de la Cour suprême du Burundi

Objet : Lettre ouverte sur l’irrégularité du procès contre les défenseurs des droits de l’homme burundais

Monsieur le Président,

Nous, membres du collectif d’avocats du groupe d’intervention judiciaire SOS-Torture en Afrique, sommes préoccupés par l’ouverture en ce jour le 04 février 2020, du procès devant la Cour suprême du Burundi et en son absence, de l’un de nos membres, Maître Armel Niyongere.

Notre confrère qui est Président de l'ACAT-Burundi et Coordinateur de SOS Torture Burundi, est un brillant défenseur des droits de l’homme depuis plusieurs décennies. Il est arbitrairement poursuivi devant votre juridiction dans le dossier du Rôle Pénal Spécial (RPS 100) où il est accusé :

  • D’avoir à Bujumbura en date du 13 - 14 mai 2015, directement pris part à l’exécution et/ou coopéré directement à l’exécution de l’attentat dont le but était de changer le régime constitutionnel et d’inciter les citoyens à s’armer contre l’autorité de l’Etat ;
  • D’avoir dans les mêmes circonstances de temps et de lieu assassine des militaires, policiers et civils ;
  • D’avoir dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, méchamment détruit et dégradé plusieurs édifices.

Cette procédure vise une dizaine d’autres défenseurs des droits de l’homme dont :

  • Maître Vital Nshimirimana : Délégué Général de FORSC (Forum pour le Renforcement de la Société Civile)
  • Maître Dieudonné Bashirahishize : Président du CAVIB (Collectif des Avocats pour la Défense des Victimes des Crimes de Droit International commis au Burundi)
  • Pacifique Nininahazwe: Président de FOCODE (Forum pour la Conscience et le Développement)
  • Innocent Muhozi: Président de l'Observatoire de la Presse au Burundi et Directeur de la Télévision "Renaissance"
  • Marguerite Barankitse : Présidente et Fondatrice de la Maison Shalom
  • Patrick Nduwimana: Journaliste à la Radio Voix d'Amérique et ancien Directeur de la Radio Bonesha FM
  • Bob Rugurika: Directeur de la Radio Publique Africaine
  • Patrick Mitabaro : Journaliste de la Radio Inzamba Agateka kawe et Ancien Rédacteur en Chef de la Radio Isanganiro
  • Gilbert Niyonkuru : Journaliste de la Radio Publique Africaine
  • Arcade Havyarimana: Jounaliste de la Radio Umurisho et ancien journaliste de la Radio Isanganiro
  • Anne Niyuhire : Journaliste de la Radio Inzamba et ancienne Directrice de la Radio Isanganiro

Dans le cadre de ses activités de défenseurs de droitsde l’homme, Maître Armel Niyongere n’a cessé de dénoncer en compagnie d’autres acteurs de la société civile des graves violations de droits de l’homme contre la population civile au Burundi. Il est inacceptable que ces activités reconnues et protégées par les instruments régionaux et internationaux de protection de droits de l'homme ratifiés par le Burundi soient assimilées à des activités criminelles et lui valent un procès.

Notre collectif exprime son inquiétude au sujet de la régularité de cette procédure et de l’indépendance de votre juridiction. En réalité, Maitre Armel Niyongereet les autres coaccusés étant refugiés hors du Burundi depuis 2015 sont dans l’impossibilité de comparaitre physiquement devant votre juridiction. En leur absence et ceux de leurs conseils, nous avons des doutes que ce procès garantisse les droits de la défense. Étant donné que la loi Burundaise recommande de mettre ce dossier au rôle général en attendant le retour au Burundi des personnes accusées, nous vous saurons gré, de prendre des mesures conservatoires pour suspendre ces poursuites contre notre confrère et ses coaccusés.

Notre collectif craint que votre juridiction statuera sur cette affaire sans un procès-verbal d'audition, car aucune des personnes accusées n'a été auditionnées par le procureur. Pour une affaire aussi grave il aurait peut-être été judicieux que la Cour suprême du Burundi demande un complément d'enquête prenant en compte la version des présumés auteurs sur les faits qui leurs sont reprochés. Considérant que notre confrère et certains de ses coaccusés sont actuellement, sous la protection d’un État-tiers en raison des craintes avérées qu’ils courent s’ils retournent au Burundi, votre Cour pourrait si elle tient à poursuivre cette affaire, désigner une commission rogatoire qui viendrait les auditionner pour avoir la version de toutes les parties.

De même en raison de risques de sécurité avérés et clairement décrits dans le rapport final de la Commission internationale d'enquête concernant le Burundi, aucun avocat Burundais n’a accepté d’assurer la défense de notre confrère au regard du contexte prévalant actuellement dans le pays, augmentant ainsi nos doutes sur la crédibilité d’une telle procédure.

Monsieur le Président,

Au regard de ces faits, nous espérons que notre requête trouvera un écho favorable auprès de votre haute bienveillance et que vous y accorderez une suite favorable. Veuillez trouver ici, l’expression de notre haute considération.

Le groupe d’intervention judiciaire SOS-Torture en Afrique, est un groupe d’avocats du réseau SOS-Torture de l’OMCT, qui vise à contribuer à renforcer la prévention, la responsabilisation et la réparation des cas de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est constitué de 16 avocats africains et est sous le parrainage de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) et le Collectif des Cssociations Contre l’Impunité́ au Togo (CACIT).

Les avocats ci-dessous sont signataires de cette lettre :

  • Maitre AMAZOHOUN Ferdinand, Collectif des associations contre l’impunité́ au Togo (CACIT)/Togo
  • Maitre DONOU Thérèse, Collectif des associations contre l’impunité́ au Togo (CACIT)/Togo
  • Maitre AMEGAN Claude, Collectif des associations contre l’impunité́ au Togo (CACIT)/Togo
  • Maitre DOUMBIA Yacouba, Mouvement Ivoirien des Droits de l’Homme (MIDH)/ Cote d’Ivoire
  • Maitre TRAORE Drissa, Organisation des Femmes actives de Côte d'Ivoire (OFACI)/ Cote d’Ivoire
  • Maitre SOUILAH Mohsen, Centres SANAD/ Tunisie
  • Maitre RAHMOUNE Aissa, Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADH)/ Algérie
  • Maitre IBOUANGA Éric, Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT-Congo) / République du Congo
  • Maître NKONGHO Felix, Center for Human Rights and Democracy in Africa (CHRDA)/ Cameroun
  • Maitre WEMBOLUA Henri, Alliance pour l’Universalité des Droits Fondamentaux (AUDF)/ RDC
  • Maitre Annie Masengo, Réseau des Défenseurs des Droits de l’Homme (RDDH)/ RDC
  • Maitre NODJITOLOUM Salomon, Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT/TCHAD)
  • Maitre Moudeina Jacqueline Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme (ATPDH)/ TCHAD
  • Maitre NIYONGERE Armel, SOS-Torture Burundi/ Burundi
  • Maitre NTIRANYUHURA Divine, Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT-Burundi)
  • Maitre Zaninyana Jeanne d’Arc, Collectif des Avocats pour la Défense des Victimes de Crimes de Droit International commis au Burundi (CAVIB)/ Burundi


Pour plus d’information, bien vouloir contacter :

Justin Abalo Kitimbo BADJALIWA

Coordonnateur du Groupe d’Intervention Judiciaire/SOS-Torture en Afrique
Collectif des associations contre l’impunité́ au Togo (CACIT)/Togo

Tel : (+228) 90752937 / 98718761. Email : abalobadjaliwa@gmail.com