Togo: Au moins 81 arrestations arbitraires et actes de torture contre les manifestant.es du 5 et 6 juin

TGO 001 / 0625 / OBS 33
Arrestations arbitraires /
Détentions arbitraires /
Torture et mauvais traitements /
Restrictions au droit à la liberté de réunion pacifique
Togo
13 juin 2025
L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, un partenariat de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), vous prie d’intervenir de toute urgence concernant la situation suivante au Togo.
Description de la situation :
L’Observatoire a été informé des arrestations et détentions arbitraires d’au moins 81 manifestant.es pacifiques et de la comparution immédiate de 6 d’entre eux et elles, dont 3 ont été inculpés. Au moins 7 manifestant.es ont affirmé avoir fait l’objet d’actes de torture et de mauvais traitements pendant leur garde à vue et les manifestations publiques du 5 et 6 juin 2025 visant à dénoncer la réforme constitutionnelle, les conditions de vie difficiles dans le pays, ainsi que les détentions arbitraires des défenseur·es des droits humains tel·les que l’artiste engagé Aamron.
Entre le 5 et 6 juin 2025 à Lomé, au moins 81 manifestant·es - dont certain·es défenseur·es des droits humains et un mineur - ont été arbitrairement arrêté·es et transféré·es au Commissariat central, à la Gendarmerie nationale, dont le Service Central de Recherches et d’Investigations Criminelles (SCRIC), et à la brigade Antigang de Djidjolé, afin d’être placé·es en garde à vue. Les manifestant·es qui avaient été arrêté·es ont ensuite été libéré·es dans les jours suivants leur arrestation, tandis que les six autres manifestant·es ont comparu devant un juge le 10 juin sans avoir connaissance des charges qui pesaient contre elles et eux. Trois ont été inculpés pour « troubles aggravés à l’ordre public ».
Les manifestations du 5 et 6 juin ont été marquées par un usage excessif et disproportionné de la force de la part des gendarmes, de la brigade Antigang et des militaires, qui ont battu des manifestant·es à coups de poing, de pied et de matraques durant les rassemblements, et des Officiers de police judiciaire (OPJ) qui ont aspergé d’eau, frappé avec des cordelettes et giflé les manifestant·es placé·es en garde à vue.
Plusieurs vices de procédure ont été relevés par les avocats des manifestant·es au stade de la garde à vue et de l’enquête : les manifestant·es n’ont pas été autorisé·es à communiquer avec leur famille, n’ont pas eu accès à un médecin (contrairement à ce que prescrit l’article 53 du Code de procédure pénal), l’un des avocats s’est vu refuser l’accès à ses clients par les OPJ, malgré l’autorisation du Procureur de la République (allant à l’encontre de l’article 16 de la Constitution) et les hommes, les femmes, et le mineur n’ont pas été strictement séparé·es pendant leur garde à vue.
Le 6 juin 2025, une journaliste de TV5 Monde qui couvrait les manifestations, Mme Flore Monteau, a été intimidée par des gendarmes qui l’ont emmenée au Commissariat de Djidjolé et l’ont obligée à supprimer les images des manifestations de son appareil photo.
Les arrestations arbitraires et actes de torture et de mauvais traitements envers les manifestant·es pacifiques et les intimidations des journalistes s’inscrivent dans un contexte plus large de restrictions de longue date portées au droit à la liberté d’expression, d’opinion, de réunion et manifestation pacifiques au Togo. La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples avait déjà condamné, le 14 avril 2024, l’interdiction des manifestations pour protester contre la révision constitutionnelle alors en cours, qu’elle avait qualifié de « recul ».
Au sein de cet espace civique réprimé, les défenseur·es des droits humains font régulièrement l’objet de disparitions forcées, d’arrestations arbitraires et autres formes d’intimidations dans le but de museler leurs critiques du gouvernement.
A la date de publication de cet appel urgent, le rappeur engagé et cyber-activiste M. Narcisse Tchalla dit Aamron, est toujours détenu arbitrairement dans un centre psychiatrique depuis le 26 mai 2025, pour avoir dénoncé la corruption et les injustices sociales au Togo. Il est détenu sans l’accord de sa famille et sans jamais avoir été présenté à un juge. Des marques de sévices corporels visibles attestent qu’il subit des actes de torture et mauvais traitements en détention.
L’Observatoire rappelle que le poète et cyber-activiste Honoré Sitsopé Sokpor dit Affectio, ayant demandé aux citoyen·nes togolais·es de s’ « indigner », est détenu de manière prolongée depuis cinq mois, malgré que la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les défenseur·es des droits humains ait réclamé sa libération. La Rapporteuse a également demandé à plusieurs reprises la libération du défenseur Aziz Goma qui a été torturé et condamné à 10 ans de prison en lien avec des manifestations pacifiques. En 2019, l’Observatoire avait déjà alerté sur la condamnation à une peine de prison du responsable du mouvement « En aucun cas » M. Folly Satchivi et du Président de la section Togo du « Regroupement des jeunes africains pour la démocratie et le développement », M. Johnson Assiba, en représailles de leurs activités légitimes de défense des droits humains. La disparition forcée puis condamnation de Messieurs Messenth Kokodoko et Joseph Eza,membres du mouvement « Nubueke » suite à leur participation aux manifestations de 2017, avaient également soulevé l’inquiétude du Comité des Nations unies contre la torture. Les journalistes indépendant·es sont eux et elles aussi ciblé·es par l’État togolais, à l’instar de Joël Vignon Egah et Mensah Ayité, ayant été détenus arbitrairement en 2021.
L’Observatoire condamne fermement ces actes de harcèlement à l’encontre des manifestant·es, défenseur·es des droits humains et journalistes dans le pays.
L’Observatoire demande à l’État togolais de libérer les trois manifestants des 5 et 6 juin toujours détenus ainsi que toutes les personnes qui demeurent détenues pour avoir défendu une opinion ou manifesté pacifiquement, et de garantir une indemnisation à tou·tes les manifestant·es qui ont été victimes de détentions arbitraires, conformément aux recommandations du Comité des Nations unies contre la torture, faites à l’État togolais en 2019.
L'Observatoire appelle les autorités togolaises à garantir en toutes circonstances, et en particulier lors des manifestations prévues entre les 26, 27 et 28 juin 2025, le droit à la liberté d'expression et à la liberté de réunion pacifique, consacrés aux articles 25 et 30 de la Constitution togolaise, aux articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ainsi qu’aux articles 9 et 11 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP). Par ailleurs, la loi de 2011, modifiée en 2019, fixant les conditions d’exercice de la liberté de réunion et de manifestation pacifiques publiques au Togo introduit des restrictions injustifiées et disproportionnées à l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique et doit, selon les recommandations du Comité des droits de l’Homme des Nations unies de 2021, être révisée afin que ses dispositions soient conformes à l’article 21 du PIDCP.
L’Observatoire rappelle également aux autorités togolaises leurs obligations au titre de l’article 198 du Code pénal togolais et 1er et 4 du Code de procédure pénale, des articles 10, 11 et 21 de la Constitution togolaise et des articles 12 et 16 de la Convention contre la torture, qui imposent l’ouverture d’une enquête prompte, efficace et impartiale chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture ou de mauvais traitement a été commis.
Actions requises :
L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités togolaises en leur demandant de :
- Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique des trois manifestants du 5 et 6 juin toujours détenus ;
- Libérer immédiatement et sans condition les trois manifestants détenus arbitrairement, les défenseur·es des droits humains Aamron et Affectio, ainsi que l’ensemble des manifestant·es et défenseur·es des droits et manifestant·es détenu·es arbitrairement dans le pays ;
- Mener une enquête approfondie et impartiale sur les actes de torture et de mauvais traitements, ainsi que sur les arrestations arbitraires à l’encontre des manifestant·es du 5 et 6 juin, afin d’identifier les responsables et de les traduire devant un tribunal indépendant, compétent et impartial conformément aux instruments nationaux, internationaux et régionaux de protection des droits humains et aux recommandations des organes de traités des Nations unies ;
- Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, de l’ensemble des manifestant·es, défenseur·es des droits humains et journalistes dans le pays et tout mettre en œuvre pour qu’ils et elles puissent pleinement exercer leur liberté d’expression, d’opinion et de réunion et rassemblement pacifiques, conformément aux instruments nationaux, internationaux et régionaux de protection des droits humains et aux recommandations des organes de traités des Nations unies ;
- Réviser la loi no 2019-010 du 12 août 2019 modifiant la loi no 2011-010 du 16 mai 2011 fixant les conditions d’exercice de la liberté de réunion et de manifestation pacifiques publiques afin que ses dispositions soient alignées avec les standards internationaux en matière de droits humains.
Adresses :
- S.E.M. Jean-Lucien Savi de Tové, Président de la République du Togo, Email : dircomprtogo@gmail.com / secretariat.sg@presidence.gouv.tg
- M. Faure Essozimna Gnassingbé, Président du Conseil des ministres, X : @FEGnassingbe
- Mme Victoire Tomegah Dogbé, Première Ministre, X : @PrimatureTogo
- M. Kassi Kélégué, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Email : minjustice@gouv.tg / minjusticetogo@yahoo.fr, X : @MinJusticeTG
- M. Dodzi Komla Kokoroko, Ministre des droits de l’Homme, chargé des relations avec les institutions de la République, Email : mindhrir@gmail.com / secretariat.ministre@droitsdelhomme.gouv.tg, X : @MDHRIR_Togo
- S.E. Ambassadeur Essis Essofa, Mission permanente de la République du Togo auprès des Nations Unies à Genève, Suisse. Email : info@mission-togo.ch / missiondutogo.geneve@yahoo.fr
Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques du Togo dans vos pays respectifs.
***
Paris-Genève, le 13 juin 2025
Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toute action entreprise en indiquant le code de cet appel.
L’Observatoire partenariat de l’OMCT et de la FIDH, a vocation à protéger les défenseurs des droits humains victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseurs des droits humains mis en œuvre par la société civile internationale.
Pour contacter l’Observatoire, appeler la ligne d’urgence :
- E-mail : alert@observatoryfordefenders.org
- Tel FIDH : +33 1 43 55 25 18
- Tel OMCT : + 41 79 539 41 06
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