Angola
15.01.04
Interventions urgentes

Tunisie : Recrudescence du harcèlement contre les défenseurs des droits de l’Homme

COMMUNIQUE DE PRESSE

TUNISIE
Recrudescence du harcèlement
contre les défenseurs des droits de l’Homme

Paris - Genève, 8 janvier 2004 - L' Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'homme, un programme conjoint de la FIDH et de l'OMCT, exprime sa plus vive préoccupation au regard de nouveaux actes de harcèlement survenus contre les défenseurs des droits de l’Homme en ce début d’année 2004.

L'Observatoire a notamment été saisi des faits suivants:

1- Agression contre Sihem Ben Sedrine

Membre du Conseil national des libertés en Tunisie (CNLT), dont elle a été le porte-parole de 2001 à 2003, Mme Sihem Ben Sedrine, écrivain, journaliste et militante des droits humains a été agressée le 5 janvier 2003 en pleine rue alors qu'elle rentrait à son domicile, qui est aussi siège du CNLT, rue Abou Dhabi, à Tunis, à 15h00.
Mise à terre par un inconnu qui l'a molestée, en présence de deux acolytes, Sihem Ben Sedrine, frappée à coups de poings à plusieurs reprises, a eu la lèvre fendue et de nombreux ecchymoses et hématomes.
Tout porte à croire que cette agression a été commanditée par les services de sécurité tunisiens. L’immeuble du CNLT est en effet l’objet d’une surveillance accrue depuis début janvier (plus de cinq policiers en civil surveillent chaque jour l’entrée de l’immeuble). Cet événement s’inscrit dans un contexte où les actes de violence policière visant les défenseurs des droits de l’Homme sont perpétrés de façon récurrente.


2- Nouvelle mesure d'assignation à résidence administrative visant M. Hammad Ali Bedoui,

Le 3 janvier, des policiers sont venus signifier à M. Hammad Ali Bedoui, membre du CNLT, frère du Docteur Moncef Marzouki, ancien président de la LTDH et ancien porte parole du CNLT qu’il était assigné à résidence, alors même qu’il est en possession d'un passeport en cours de validité et d'un visa Schengen délivré par le Consulat de France en Tunisie.
A l’instar de nombreux militants des droits de l’Homme, Mr. Bedoui fait l’objet, depuis des années, d’un harcèlement systématique et à d’actes de persécution qui lui ont valu d'être réduit au chômage et de ne pouvoir quitter la Tunisie.

3- L'interdiction de la tenue de l' Assemblée Générale de l'AISPP

Le 3 janvier 2004, l'Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP) s'est vue interdire la tenue de son assemblée générale par un impressionnant déploiement policier.
Cette interdiction est révélatrice des très nombreuses entraves posées à la liberté de réunion en Tunisie. Elle illustre également la situation de plus d’une dizaine d'associations indépendantes, qui sont soit reconnues, mais entravées dans leurs activités, comme la LTDH, soit non reconnues, comme le CNLT. A signaler que les autorités contrôlent directement près de 7000 associations qui opèrent en relais du pouvoir et du parti du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), qui lui est lié.

4- Entrave à la participation de militants tunisiens à une conférence internationale

De fortes pressions ont été exercées pour empêcher M. Mokhtar Trifi, secrétaire général de la LTDH, Mme. Khedija Cherif, vice présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) et Me Alya Cherif Chammari, membre du bureau du collectif 95 Maghreb Egalité et du Centre tunisien pour l'indépendance de la justice, d'assister à la conférence régionale organisée à Sanaa (Yémen) sur « La démocratie, les droits de l'Homme et le rôle de la Cour Pénale Internationale ». Cette conférence régionale se tient du 10 au 12 janvier 2004 à l'initiative des autorités de la République du Yémen et de l'association internationale « No Peace Without Justice », et est précédée par un atelier organisé par la FIDH en partenariat avec l'association yéménite « SAF » (Sisters Arab Forum for Human Rights) et la « CICC » (Coalition for the International Criminal Court) avec le soutien financier de la Commission européenne.
A la suite de l'opposition des autorités tunisiennes à la participation des trois invités tunisiens représentants de la société civile, ceux-ci se sont vus signifier que leur présence, à ce titre, n'était pas souhaitée. A la suite de multiples interventions en vue de l’obtention des visas pour Mmes Cherif et Cherif Chammari (M. Trifi ayant annulé son départ par principe), le Consul du Yémen en Tunisie a reconnu que les autorités tunisiennes avaient fait pression pour que les visas ne leur soient pas accordés.

Les quatre faits qui viennent d'être invoqués confirment, s'il en était besoin, les difficultés auxquelles sont confrontés les défenseurs des droits de l'Homme. L’Observatoire rappelle que ces faits interviennent près d’un mois seulement après la fin de grève de la faim de Me Radhia Nasraoui qui entendait protester contre ces mêmes actes de harcèlement. Dans le même temps, la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) continue à faire face au bras de fer qui lui est imposé par le gouvernement concernant les subventions obtenues de l'Union Européenne que les autorités ont arbitrairement gelées. Enfin, ces faits interviennent au moment où se déroule le procès en appel de Mme Neziba Rejiba Jellati, alias « Om Zied », journaliste et membre fondatrice du CNLT. Celle-ci a en effet été condamnée en novembre 2003 à un an de prison avec sursis pour « détention illégale de devises étrangères », dans le cadre d’une affaire de droit commun dont le caractère politique apparaît clairement. L'audience a été reportée au mois de février 2004 et l'Observatoire, qui avait dépêché à deux reprises des observateurs pour assister aux audiences précédentes, suit avec vigilance l'évolution de cette affaire.

L’Observatoire saisit la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, les procédures thématiques des Nations unies concernées et les instances européennes de ces cas.

L’Observatoire demande aux autorités tunisiennes de :

i. Mettre un terme immédiat à toute forme de violence et de harcèlement (surveillance, filatures, pressions sur la clientèle, …) visant les défenseurs des droits de l’Homme tunisiens ;
ii. Ordonner une enquête impartiale et indépendante concernant l’agression de Mme Sihem Ben Sedrine, afin que les auteurs de cet acte soient identifiés et dûment jugés et sanctionnés ;
iii. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l'Homme, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, notamment à son article 1 selon lequel " chacun a le droit, individuellement ou en association avec d'autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l'Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international " et son article 6.b selon lequel " chacun a le droit, individuellement ou en association avec d'autres, de publier, communiquer à autrui ou diffuser librement des idées, informations et connaissances sur tous les droits de l'Homme et toutes les libertés fondamentales ";
iv. Se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, notamment à son article 19, et des principaux instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l'Homme liant la Tunisie.

Contact presse :
FIDH : 00 33 1 43 55 25 18 / OMCT : 00 41 22 809 49 39