Tunisie
28.05.25
Interventions urgentes

Tunisie : Arrestation arbitraire et torture de Mohamed Ali Rtimi, membre de l’association DAMJ

APPEL URGENT - L'OBSERVATOIRE

TUN 003 / 0525 / OBS 32
Détention arbitraire /
Harcèlement judiciaire /
Torture /
Tunisie
28 mai 2025

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, un partenariat de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), vous prie d’intervenir de toute urgence concernant la situation suivante en Tunisie.

Description de la situation :

L’Observatoire a été informée de l’arrestation, des actes de torture et de la détention arbitraire de M. Mohamed Ali Rtimi,défenseur des droits humains et membre de l’Association tunisienne pour la justice et l’égalité (DAMJ) qui promeut la justice, l'égalité et l'inclusion pour la communauté LGBTQIA+ en Tunisie.

Dans la soirée du 23 mai 2025, Mohamed Ali Rtimi a été violemment arrêté par des agents de police à l’issue d’une manifestation pacifique organisée par le mouvement « Stop pollution » et différentes composantes de la société civile locale et citoyenne de la région de Gabès, au sud de la Tunisie, pour revendiquer le démantèlement des unités polluantes appartenant au complexe chimique géré par le Groupe chimique tunisien appartenant à l’État (GCT) et l’arrêt du projet d’installation d’une station pilote de production d’hydrogène vert faisant l’objet d’un partenariat UE-Tunisie dans la région de Gabès.

L’arrestation de M. Rtimi est survenue aux alentours de 19h15 alors qu’il tentait de porter secours et de demander l’arrêt des attaques contre un manifestant victime de violences policières sur la voie publique, après la dispersion du rassemblement.

Mohamed Ali Rtimi a été embarqué dans un véhicule de police, avec deux autres manifestants, avant d’être violemment agressé par les agents qui lui ont porté des coups durant son transfert dans les locaux du district de la Sûreté nationale de Bab Bhar à Gabès.

À son arrivée au poste à 20h, Mohamed Ali Rtimi a refusé de se soumettre à un interrogatoire en l’absence de son avocat, conformément à ses droits garantis par l’article 13 bis (nouveau) de la loi n°5-2016 relative à la garde à vue. Il a exigé, par ailleurs un examen médical pour faire constater les blessures qu’il affirme avoir subies, dans l’objectif de poursuivre les agents présumés responsables de ces actes de torture.

À la suite de cette demande, M. Rtimi aurait de nouveau été victime d’agressions physiques et verbales de la part des agents de police présents. Ce n’est qu’aux alentours de 20h30 qu’il a été autorisé à passer un appel téléphonique pour informer l’association DAMJ de son arrestation arbitraire. A 21h, le premier substitut du Procureur a ordonné son placement en garde à vue pour 48 heures, prolongé de 24 heures le 25 mai.

Le soir même, lorsque son avocat s’est présenté au district, ce dernier a constaté plusieurs traces visibles de violences sur le corps de son client, notamment des ecchymoses au visage, des contusions au niveau du sourcil et de l’œil, des marques de coups de bâton dans le dos, ainsi que des plaies au genou et à la jambe. Ces blessures ont également été médicalement constatées par la médecin de garde du service des urgences de l’hôpital régional de Gabès à 23h30 et consignées dans le procès-verbal de l’enquête suite à la demande insistante de l’avocat. À ces atteintes physiques s’ajoutent de lourds préjudices psychologiques liés aux humiliations subies et aux atteintes portées à sa dignité.

Les déclarations des agents de police consignées dans le procès-verbal d’enquête indiquent que deux bouteilles incendiaires artisanales (type Molotov) ainsi que des pierres ont été saisies à proximité des lieux où Mohamed Ali Rtimi et les deux autres personnes arrêtées ont été interpellées. L’intervention policière aurait été motivée par la présence d’individus cagoulés, vêtus de noir, soupçonnés de vouloir perturber le rassemblement autorisé. Selon ces mêmes déclarations, les deux autres individus arrêtés sont accusés d’avoir participé à des actes de vandalisme, en particulier en lançant des pierres et en renvoyant des bombes lacrymogènes en direction des forces de l’ordre. Les agents ont également précisé que M. Rtimi n’est intervenu qu’après avoir été interpellé par un manifestant refusant de monter dans un véhicule de police. L’un des agents allègue ensuite avoir été frappé par M. Rtimi, qui serait intervenu pour assister le manifestant, ce que M. Rtimi conteste. Cette version des faits est contradictoire avec la qualification retenue par la police judiciaire dans le texte de renvoi contre les trois personnes arrêtées, à savoir l’« entente établie dans le but de préparer ou de commettre un attentat contre les personnes ou les biens et agression contre un agent public pendant l'exercice de ses fonction », en vertu des articles 131 à 135 du Code pénal tunisien.

Cette incohérence met en exergue que M. Rtimi se voit imputer des éléments à charge, en représailles à son intervention pour porter secours à un manifestant et dans le but de le dissuader de poursuivre les auteurs des actes de torture.

Le 26 mai 2025, M. Rtimi a été auditionné par le Procureur de la République qui a émis un mandat de dépôt à son encontre pour « attroupement de nature à troubler la paix publique » et « violence exercée contre un agent public ou assimilé », conformément aux articles 79 et 127 du Code pénal tunisien, respectivement. Le Procureur a assigné la première audience devant la Chambre correctionnelle du Tribunal de première instance à Gabès le mercredi 28 mai 2025.

Plusieurs irrégularités ont été relevées par l’avocat de M. Rtimi dans le cadre du dossier présenté au Procureur lors de l’audition. En effet, seul le certificat médical fourni par le policier prétendument agressé a été versé au dossier, tandis que celui de M. Rtimi n’a pas été pris en compte. Les huissiers notaires de la région ont par ailleurs refusé d’enregistrer les témoignages des citoyen·nes présent·es lors de l’agression qui étaient à charge contre les agents impliqués.

Le même jour, la mère de Mohamed Ali Rtimi participait à une manifestation pacifique devant le tribunal de Gabès avec un groupe d’activistes et d’avocat·es en soutien à son fils. Alors qu’elle rentrait chez elle après la manifestation, elle a été abordée par des policiers en voiture qui lui ont demandé si elle connaissait les manifestant·es présent·es devant le tribunal. Les agents ont tenté de l’intimider en affirmant qu’il s’agissait de membres des associations Shams et DAMJ et que leur présence allait par conséquent nuire à l’affaire de son fils.

Dans la nuit, au retour de Gabès, trois activistes de l’association DAMJ, Sayf Ayadi, Chaker Baccouch et Ali Kniss, ont été arrêtés lors d’un contrôle routier sur l’autoroute près de Sousse. Après avoir fouillé leur voiture et découvert les pancartes préparées pour la manifestation, les agents les ont conduits au district de la sûreté nationale de Msaken, où ils ont été interrogés pendant trois heures par le service de renseignements. Ils n’avaient pas connaissance du motif de leur arrestation durant leur interrogatoire et jusqu’à ce qu’un procès-verbal de renseignement préliminaire portant sur les pancartes saisies soit dressé. Les trois activistes ont finalement été relâchés après que deux avocats se sont rendus au district pour les assister.

L’Observatoire rappelle que ces actes s’inscrivent dans une tendance générale de rétrécissement de l’espace civique, de criminalisation croissante de l’activisme, de recours abusif à la détention provisoire, ainsi qu’à la répression des mouvements sociaux en Tunisie. Dans ce contexte, l’association DAMJ et ses membres ont été particulièrement visés par les autorités à plusieurs reprises ces dernières années, au moyen d’actes d’intimidation, de diffamation et d’attaques.

L’Observatoire exprime sa vive inquiétude face à l’arrestation et à la détention arbitraires ainsi qu’aux actes de torture et de mauvais traitements commis à l’encontre de Mohamed Ali Rtimi, qui ne semblent viser qu’à le sanctionner pour l’exercice de ses activités légitimes de défense des droits humains lors d’une manifestation pacifique.

L’Observatoire appelle les autorités tunisiennes à libérer immédiatement et sans conditions Mohamed Ali Rtimi, et à mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à son encontre ainsi qu’à celle de tou·tes les défenseur·es des droits humains dans le pays.

L’Observatoire rappelle également aux autorités tunisiennes leurs obligations au titre de la Convention contre la torture, notamment en vertu des articles 12 et 16, qui imposent l’ouverture d’une enquête prompte, efficace et impartiale chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture ou de mauvais traitement a été commis.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités tunisiennes en leur demandant de :

Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique de Mohamed Ali Rtimi, et ordonner sans délai l’ouverture d’une enquête pour faits de torture, conformément aux dispositions des articles 101 et 101 bis du Code pénal ;

  • Libérer immédiatement et sans condition Mohamed Ali Rtimi et tou·tes les défenseur·es des droits humains arbitrairement détenu·es en Tunisie ;
  • Mener une enquête indépendante, rigoureuse, impartiale et transparente sur les actes de torture et mauvais traitement à l’encontre de Mohamed Ali Rtimi, afin d’identifier les responsables et de les traduire devant un tribunal indépendant, compétent et impartial conformément aux instruments internationaux et régionaux de protection des droits humains ;
  • Mettre fin à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontre de Mohamed Ali Rtimi, et garantir son droit à un procès équitable ;
  • Mettre fin à toutes les formes d’intimidation visant la famille de Mohamed Ali Rtimi, ainsi que les membres de l’association DAMJ ;
  • Garantir en toutes circonstances les droits au rassemblement pacifique, tel que consacré par le droit international des droits humains, et en particulier à l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Adresses :

  • M. Kaïs Saïed, Président de la République, Email : contact@carthage.tn; compte X : @TnPresidency
  • Mme Sarra Zaafrani Zanzri , Cheffe de gouvernement, Email : boc@pm.gov.tn; Twitter: @TunisiaPM
  • Mme Leila Jaffel, Ministre de la Justice, Email : info@e-justice.tn
  • M. Khaled Nouri , Ministre de l’Intérieur, Email : boc@interieur.gov.tn
  • M. Sabri Bachtobji, Ambassadeur, Représentant permanent de la Tunisie auprès des Nations unies à Genève, Suisse, Email : at.geneve@diplomatie.gov.tn
  • M. Sahbi Khalfallah, Ambassadeur, Ambassade de la Tunisie à Bruxelles, Belgique, Email : at.belgique@diplomatie.gov.tn

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la Tunisie dans vos pays respectifs.

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Paris-Genève, le 28 mai 2025

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toute action entreprise en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire partenariat de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits humains victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseurs des droits humains mis en œuvre par la société civile internationale.

Pour contacter l’Observatoire, appeler la ligne d’urgence :

  • E-mail : alert@observatoryfordefenders.org
  • Tel FIDH : +33 1 43 55 25 18
  • Tel OMCT : + 41 79 539 41 06