“La pandémie a causé une hausse importante des taux de suicide des prisonniers”
Pourquoi est-il si important de préserver les liens familiaux en prison ?
Dans de nombreux pays, la famille est pour les prisonnier·e·s le seul et unique soutien leur permettant de survivre. Les proches des détenus leur apportent non seulement à manger, mais aussi des vêtements, des médicaments, des livres ou même de l’argent de poche afin d’effectuer des appels téléphoniques importants. Les visites familiales régulières sont une bouffée d’air pour ceux.celles qui vivent dans les conditions suffocantes d’une cellule. Durant la pandémie, l’absence de contacts ou de nouvelles, la crainte qu’un parent ou un autre membre de la famille soit infecté peut générer de l’angoisse et de l’incertitude. Cette situation retarde également les procédures judiciaires.
On peut se sentir seul·e, même au milieu d'une foule. Le Covid-19 provoque de la solitude, et la solitude est à son tour un facteur de désespoir, d’autodestruction, et favorise les pensées suicidaires chez les prisonnier·e·s. Au cours de la pandémie, les données ont montré une augmentation considérable des taux de suicide parmi les détenu·e·s.
Les pensées et les rumeurs alarmantes génèrent de la détresse. L’absence de nouvelles est généralement interprétée comme une mauvaise nouvelle et engendre un sentiment d’impuissance chez les prisonnier·e·s.
Cette situation est exacerbée par l’opacité des centres fermés où les mécanismes de supervision et de protection ne fonctionnent pas et où les mauvais traitements et la torture restent parfois impunis, ce qui provoque de l’angoisse et un sentiment d’impuissance encore plus grand.
Comment les enfants en détention sont-ils affectés par le fait de ne pas voir leur famille ?
Les enfants placés dans des centres fermés finissent par avoir des sentiments ambivalents vis-à-vis de leur famille. Le lien familial leur fournit l’affection qu’ils recherchent et dont ils ont besoin, mais l’absence génère aussi de la colère, un sentiment d’être rejeté·e ou abandonné·e. Pendant la pandémie, cet équilibre délicat est perturbé et l’enfant se sent abandonné et seul ; il perçoit sa famille comme un espace de rejet et d’abandon. Les liens sont brisés et un sentiment négatif se développe, parfois difficile à dépasser.
Comment les familles sont-elles touchées par le fait de ne pas voir leurs proches ?
Les familles se sentent désemparées en apprenant à travers les médias l’augmentation du nombre de décès dû au Covid-19 en prison, sans savoir comment vont leurs proches. Le virus est une menace invisible, qui implique de coexister avec la mort au quotidien et qui réveille les craintes les plus profondes en chaque être humain. Le monde est un lieu menaçant face auquel ces familles sentent qu’elles ne peuvent pas protéger leur proche emprisonné. Cette situation génère des sentiments de remords et de culpabilité au sein de nombreuses familles, surtout si le.la détenu·e est jeune ou vulnérable. La pandémie a poussé la société au sens large à réévaluer ses relations humaines et a renforcé le besoin d’être proche des êtres qui nous sont chers. Bon nombre de personnes ont considérablement revu leurs priorités. Chez les victimes de la torture et leurs familles, elle a provoqué la réaction contraire : une plus grande prise de conscience de l’impossibilité d’être proche et de contribuer au réseau de soutien indispensable à la survie des détenus.
Pau Pérez-Sales est psychiatre, expert de renommée internationale en matière de documentation médico-légale et de réhabilitation des victimes de torture et autres mauvais traitements. Il dirige le SiR[a] en Espagne.