Azerbaijan : Répression sans précédent en Azerbaïdjan depuis janvier 2024
Mr Alain Berset
Secrétaire général du Conseil de l’Europe
Palais de l’Europe
Strasbourg
18 Septembre 2024,
Re.: Répression sans précédent en Azerbaïdjan depuis janvier 2024
Votre Excellence,
Nous souhaitons vous saluer chaleureusement en tant que secrétaire général du Conseil de l’Europe. Nous nous réjouissons de coopérer avec vous et votre bureau.
Alors que vous prenez vos fonctions, nous pensons que la crise des droits humains en Azerbaïdjan devrait être une priorité de votre bureau. En effet, depuis la décision de l’Assemblée parlementaire de ne pas ratifier les accréditations de la délégation de la République d’Azerbaïdjan1, et à l’approche de la 29e Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques qui se tiendra à Bakou, le pays connaît une intensification notable de la répression, survenue au lendemain de l’élection présidentielle du 7 février 2024 et de l’élection législative du 1er septembre 2024, conduisant à une répression sans précédent.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, presque aucun acteur indépendant de la société civile n’est encore libre dans le pays. Les médias indépendants ont vu leurs dirigeants arrêtés et les autorités ont accru la pression sur la profession juridique, ainsi que sur les universitaires et les chercheurs. La répression se concentre de plus en plus sur les jeunes.
Le 29 avril 2024, l’éminent défenseur des droits humains azerbaïdjanais Anar Mammadli, lauréat du prix Vaclav Havel 2014 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, a de nouveau été arrêté. Depuis lors, il est placé en détention provisoire sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces. Sa détention est emblématique de l’augmentation de la répression observée en 2024. Anar Mammadli est à la tête de la seule organisation indépendante de surveillance des élections dans le pays et cofondateur de Climate Justice Initiative, une coalition d’organisations indépendantes de défense de l’environnement et des droits humains visant à unir leurs forces en vue de la COP29. Son arrestation a eu lieu après que son organisation a publié ses conclusions préliminaires sur le déroulement des dernières élections présidentielles et peu après l’annonce de la création de Climate Justice Initiative.
Toutefois, Anar Mammadli n’est pas le seul prisonnier politique en Azerbaïdjan. Selon la société civile azerbaïdjanaise, il y a plus de 300 prisonniers politiques dans le pays, et les personnes suivantes sont particulièrement emblématiques du renforcement de la répression :
• Famil Khalilov est un militant civique qui compte de nombreux followers sur les réseaux sociaux. Il est détenu dans des conditions qui ne répondent pas à ses besoins en tant que personne en situation de handicap. Ces inquiétudes sont encore aggravées par la « situation déplorable » des lieux de détention, comme l’a récemment souligné le Comité pour la prévention de la torture ;
• Bahruz Samadov est chercheur et activiste spécialisé dans l’autoritarisme. Ses écrits proposent une analyse critique de la politique régionale et étrangère de l’Azerbaïdjan. Les poursuites engagées contre Bahruz Samadov, associées au ciblage d’autres universitaires, révèlent une nouvelle tendance, à savoir la volonté de réduire au silence les jeunes universitaires et écrivains qui, par leurs recherches, critiquent la politique régionale et étrangère de l’Azerbaïdjan ;
• Gubad Ibadoghlu est un éminent universitaire et expert en matière de lutte contre la corruption qui enseigne et mène des recherches sur la gestion des finances publiques et la bonne gouvernance en Azerbaïdjan et à l’étranger, plus récemment à la London School of Economics. Il vit en exil depuis 2014. En juillet 2023, il est retourné en Azerbaïdjan pour rendre visite à sa famille, mais il a été rapidement et violemment arrêté. Après neuf mois de détention provisoire, il a été assigné à résidence. Il est toujours dans cette situation en attendant son procès. S’il est reconnu coupable, il risque jusqu’à 17 ans de prison ;
• Le militant syndical, Afiaddin Mammadov, est en détention provisoire depuis août 2023 et fait actuellement l’objet de poursuites pénales qui pourraient aboutir à une peine de 11 ans d’emprisonnement ;
• Dans le même temps, les autorités azerbaïdjanaises ont pris des mesures sévères à l’encontre des médias indépendants, en procédant à des descentes et à la fermeture des médias Abzas Media, Toplum TV et Kanal 13. En juin 2024, huit journalistes arrêtés lors des raids étaient en détention provisoire pour diverses accusations criminelles, dont le directeur d’Abzas Media, le défenseur des droits humains et journaliste Ulvi Hasanli, la défenseuse des droits humains, journaliste et rédactrice en chef Sevinj Abbasova, directrice de l’Institut pour les initiatives démocratiques, le défenseur Akif Gurbanov, le fondateur de Toplum TV Alaskar Mammadli et Aziz Orujev, directeur de Kanal 13, défenseuses des droits humains et journalistes Elnara Gasimova, Nargiz Absalamova et le journaliste multimédia indépendant Ali Zeynal ;
• Les activistes politiques Tofig Yagublu et Ruslan Izzatli, le défenseur des droits humains et journaliste d’investigation Hafiz Babali figurent également parmi les personnes toujours détenues.
En outre, le groupe d’affaires Mammadli porté devant le Comité des ministres du Conseil de l’Europe continue d’être traité de manière impartiale. Les affaires en question concernent d’éminents défenseurs des droits humains, des leaders de la société civile et un journaliste qui ont tous fait l’objet d’arrestations et de détentions entre 2013 et 2016. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que ces actions constituaient un usage abusif du droit pénal, qui visait à punir et à réduire au silence ces personnes en raison de leurs activités journalistiques et de défense des droits humains. Comme l’a récemment observé un groupe d’éminentes ONG juridiques et de défense des droits humains, la Cour a également « établi que ces affaires reflétaient un schéma troublant d’arrestations et de détentions arbitraires de détracteurs du gouvernement, de militants de la société civile et de défenseurs des droits humains par le biais de poursuites judiciaires de représailles et d’une utilisation abusive du droit pénal au mépris de l’état de droit, et que les actions de l’État donnaient lieu à un risque de nouvelles requêtes répétitives (Aliyev c. Azerbaïdjan, § 223).
Dans ce contexte répressif visant à réduire totalement au silence la société civile indépendante, ciblant en particulier les défenseuses et défenseurs des droits humains et les avocats, les journalistes et les professionnels des médias, les universitaires et les chercheurs indépendants, ainsi que les militants politiques et environnementaux, nous en appelons par votre intermédiaire au Conseil de l’Europe à :
• Avant et à l’occasion de la prochaine cérémonie de remise du prix Vaclav Havel, demander la libération d’Anar Mammadli et d’autres défenseuses et défenseurs des droits humains, des activistes civils et environnementaux, et des journalistes dont l’arrestation est motivée par des considérations politiques ; et utiliser tous les moyens pour ce faire, notamment en exerçant une pression accrue sur le gouvernement azerbaïdjanais pour qu’il applique les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme rendus dans le groupe d’affaires Mammadli ;
• Appeler à une révision totale, en conformité avec les conclusions de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, de la législation conçue pour cibler les défenseur⸱ses des droits humains et la société civile et criminaliser leurs activités ; affirmer clairement qu’aucune de ces législations ne devrait être utilisée pour arrêter et poursuivre ces personnes avant le réexamen par l’APCE des pouvoirs de la délégation de l’Azerbaïdjan ;
• À l’occasion de votre participation à la COP29, veiller à éviter de contribuer à l’autosatisfaction de l’Azerbaïdjan par le biais d’un soutien politique de haut niveau aux leaders politiques du pays hôte de la COP29 ; et condamner la mise sur liste noire par l’Azerbaïdjan de personnes critiques à l’égard du gouvernement afin d’empêcher leur présence en Azerbaïdjan pendant la COP29, y compris les défenseuses et défenseurs des droits humains et les avocats, les journalistes et les professionnels des médias, les universitaires et les chercheurs indépendants, les militants politiques et environnementaux, ainsi que des membres de parlements, y compris les membres de l’APCE.
Nos organisations sont convaincues que l’engagement du nouveau secrétaire général du Conseil de l’Europe auprès de l’Azerbaïdjan sera crucial pour créer de nouvelles opportunités afin d’amener l’Azerbaïdjan à un niveau de mise en œuvre des obligations découlant de la Convention européenne des droits de l’homme et des engagements pris par l’Azerbaïdjan lors de son adhésion à l’institution.
Vous souhaitant le plein succès pour votre prise de fonction, soyez assuré, votre Excellence, de notre plus haute estime,
Signataires :
Anar Mammadli Campaign to end repression in Azerbaijan
Centre for Civil Liberties, Ukraine
Civil Network Opora, Ukraine
European Exchange
European Human Rights Advocacy Centre
European Platform for Democratic Elections
Federazione Italiana Diritti Umani (FIDU)
Front Line Defenders
Helsinki Foundation for Human Rights, Pologne
Human Rights Centre, Géorgie
Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), dans le cadre de l'Observatoire pour la protection
des défenseurs des droits humains
International Partnership for Human Rights (IPHR)
Netherlands Helsinki Committee
Norwegian Helsinki Committee
Political Accountability Foundation, Pologne
Resource Center for Democracy and Human Rights, Moldavie
Organisation mondiale contre la torture (OMCT dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des
défenseurs des droits humains
ZMINA Human Rights Center, Ukraine
Personne de contact, au nom des signataires:
Florian Irminger
Email : fi@progress-change-actionlab.org
Mob. : +41 79 751 80 42
La Campagne Anar Mammadli est gérée par Progress & Change Action Lab, à la demande d'avocats azerbaïdjanais, de défenseuses et défenseurs des droits humains et de leurs organisations. Les défenseuses et défenseurs et les ONG azerbaïdjanaises soutiennent la campagne, qui bénéficie de leur soutien inestimable, grâce à leurs contributions bénévole.