Suisse
10.06.21
Déclarations

Suisse : De nouvelles mesures antiterroristes pourraient ouvrir la porte à des informations obtenues par la torture

Déclaration

Genève, le 10 juin 2021

Le dimanche 13 juin prochain, les Suisses voteront sur la Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme, qui, si elle est promulguée, permettra à la police de prendre des mesures préventives contre des « terroristes potentiels » sans aucun contrôle judiciaire significatif. La désignation de « terroriste potentiel » n'exige pas l'existence ou la perspective d'un crime, un fait qui pourrait avoir un impact négatif sur l'exercice d'activités légales et pacifiques par des groupes de la société civile.

L'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et les membres de son Groupe de travail international sur la torture et le terrorisme s'inquiètent du risque d'arbitraire inhérent à de telles réformes et des violations des droits humains que leur mise en œuvre pourrait entraîner, y compris des violations du droit à la liberté et à la sécurité de la personne. Une préoccupation négligée mais importante est que les mesures préventives seront probablement fondées sur des informations peu fiables, y compris dans de nombreux cas provenant de services de sécurité étrangers. Nous avons vu à maintes reprises que la torture est systématiquement utilisée par les agences de renseignement dans de nombreux pays qui sont les plus susceptibles de partager des informations sur des menaces possibles.

Nous craignons que la loi ne crée une zone juridique grise où la police peut s'appuyer sur des renseignements provenant de l’étranger, sans pouvoir garantir qu'ils n'ont pas été obtenus par la torture, donnant de facto un sceau d'approbation à des pratiques interdites sur le plan international. « L'une des leçons tirées de la « loi sur les ordonnances de contrôle » du Royaume-Uni, qui confère des pouvoirs similaires à ceux de la loi suisse, est que les services de sécurité se sont appuyés à plusieurs reprises sur des renseignements fournis par d'autres pays et qui avaient été obtenus par la torture », a déclaré le secrétaire général de l'OMCT, Gerald Staberock. « La pratique britannique a été de protéger ces renseignements entachés de torture sous le couvert du secret d'État et d'assurer l'impunité aux tortionnaires, quel qu'en soit le prix. La Suisse ne doit pas suivre le même chemin ».

Alors que les mesures légales sont primordiales pour protéger la société d'une menace terroriste réelle, les stratégies de lutte contre l'extrémisme violent et le terrorisme ne peuvent être efficaces que si elles associent sécurité et droits humains. C'est pourquoi, il y a deux ans, l'OMCT et son réseau mondial SOS-Torture ont lancé un Groupe de travail sur la torture et le terrorisme, composé d'experts de la société civile de pays qui font tous face à une réelle menace terroriste.

« Nous avons vu l'impact de lois similaires dans nos pays, une expérience que la Suisse devrait éviter », préviennent les membres du Groupe de travail. « Le type de définitions présentes dans le droit suisse a conduit chez nous à des excès. Le recours à des informations secrètes aux origines troubles a porté atteinte à l'État de droit, tandis que la coopération des pays occidentaux avec nos appareils de sécurité a légitimé les abus. La tendance a été de créer des « communautés suspectes », stigmatisant souvent des groupes déjà vulnérables, avec un risque très réel de créer de la sympathie pour les idéologies extrémistes. Loin d’apporter plus de sécurité, d'après notre expérience, ce type de loi a conduit à des violations des droits humains ».

Une large coalition d’ONG ainsi que des experts de l'ONU sont parmi ceux qui ont exprimé leur plus profonde préoccupation et leur opposition à la loi, car elle étend la définition du terrorisme à toute activité impliquant la «propagation de la peur». La nouvelle législation antiterroriste donne des pouvoirs étendus à la police fédérale pour évaluer la probabilité qu'un individu âgé de plus de 12 ans commette un crime à l'avenir et pour adopter ultérieurement des mesures pouvant entraîner une privation de liberté (assignation à résidence pour toute personne de plus de 15 ans) allant jusqu'à neuf mois, surveillance électronique, interdictions de voyager, avec un contrôle judiciaire très limité et en dehors du système de justice pénale.

« Nous avons besoin de services de renseignement solides et de bonnes réponses des forces de l'ordre. Mais créer une alternative à notre système de justice pénale basée sur des renseignements qui peuvent en plus être le fruit de la torture n'aidera pas », a déclaré Gerald Staberock. « Personne ne peut sérieusement prétendre que la désignation d'un enfant de 12 ans comme « terroriste potentiel » sera une bonne chose pour l'enfant ou pour qui que ce soit d'autre. Le vrai risque sera de pousser cet enfant et sa famille vers l'extrémisme. Ce qu'il faut, c'est ramener les gens au sein de la société, pas les en exclure, créant ainsi plus de menaces pour la sécurité de tous ».


Le Groupe de travail sur la torture et le terrorisme est une initiative dirigée par l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT), rassemblant 17 organisations de défense des droits humains de premier plan du monde entier, toutes travaillant dans des contextes sécuritaires tendus, y compris la violence terroriste et les lois et mesures antiterroristes. Le groupe cherche à renforcer la compréhension collective et à guider le plaidoyer contre la torture dans les environnements touchés par le terrorisme et l'extrémisme violent. Les organisations suivantes sont membres du groupe de travail Torture & Terrorisme : Quill Foundation (Inde), KontraS (Indonésie), International Commission of Jurists Kenya (ICJ Kenya), SUARAM (Malaisie), Cairo Institute for human rights studies (CIHRS) , Gulf Center for human rights (GC4HR), Action chrétienne pour l'abolition de la torture République Démocratique du Congo (ACAT RDC), Fondation CLEEN (Nigeria), Human Rights Association (IHD, Turquie), Association PROMO-Lex (Moldavie), ODHIKAR (Bangladesh), Commission des droits de l'homme du Pakistan (HRCP), Bureau des libertés civiles (Tadjikistan), Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH), Centre d'études juridiques et sociales (CELS, Argentine) et Comité russe contre la torture (CAT) .

Pour plus d’information, veuillez contacter :
Iolanda Jaquemet, Directrice de la communication
ij@omct.org

+41 79 539 41 06