Côte d'Ivoire
01.09.20
Interventions urgentes

Détention arbitraire de Mme Pulchérie Gbalet et de MM. Gédéon Junior Gbaou, Cyrille Djehi Bi et Aimé César Kouakou N’Goran

CIV 001 / 0920 / OBS 100

Enlèvement /

Mauvais traitements /

Détention arbitraire /

Harcèlement judiciaire

Côte d’Ivoire

1er septembre 2020

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un partenariat de la FIDH et de lOrganisation mondiale contre la torture (OMCT), vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante en Côte d’Ivoire.

Description de la situation :

L’Observatoire a été informé de sources fiables de la détention arbitraire et du harcèlement judiciaire à l’encontre de Mme Pulchérie Gbalet, présidente de l’organisation Alternative citoyenne ivoirienne (ACI)[1] et secrétaire générale du Syndicat libre des travailleurs du Bureau national d’étude technique et de développement (SLT-BNETD), et de MM. Gédéon Junior Gbaou et Cyrille Djehi Bi, membres d’ACI, ainsi que M. Aimé César Kouakou N’Goran, secrétaire général adjoint du SLT-BNETD et un proche de Mme Gbalet, qui ont tous été arrêtés en marge des manifestations contre le troisième mandat projeté du président Alassane Ouattara. Mme Gbalet, une figure du mouvement de contestation contre la candidature d’Alassane Ouattara à un troisième mandat consécutif, avait appelé, lors d’une conférence de presse le 7 août 2020[2], à manifester pacifiquement contre cet éventuel troisième mandat.

Selon les informations reçues, le 13 août 2020, M. Aimé César Kouakou N’Goran a été enlevé par des hommes en arme non identifiés sur son lieu de travail, victime de violences en vue de le contraindre à révéler la localisation de Mme Pulchérie Gbalet, puis de séquestration. L’état et le lieu de détention de M. Kouakou N’Goran sont restés inconnus jusqu’au 16 août 2020, date à laquelle il a été remis au préfet de police d’Abidjan, qui l’a placé en garde-à-vue.

Dans la nuit du 15 au 16 août 2020, Mme Pulchérie Gbalet et MM. Gédéon Junior Gbaou et Cyrille Djehi Bi, qui rendaient une visite privée à Mme Gbalet, ont été arrêtés lors d’une supposée « opération de maintien de l’ordre » par des hommes non identifiés, cagoulés et armés, alors qu’ils se trouvaient dans un hôtel de Yopougon, à Abidjan. Ils ont été menés à l’ancien Hôtel Sébroko, ancienne base de la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), dans la commune d’Attécoubé, qui est aujourd’hui occupée par les forces de défense et de sécurité nationales, avant d’être transférés dans les locaux de la préfecture de police, où ils ont été placés en garde-à-vue.

Les 17 et 18 août, Mme Pulchérie Gbalet a été interrogée par le procureur de la République et le préfet de police d’Abdijan, en présence de son avocat, en lien avec son appel à manifester.

Le 19 août 2020, Mme Pulchérie Gbalet, MM. Gédéon Junior Gbaou, Cyrille Djehi Bi et Aimé César Kouakou N’Goran ont été déférés devant la 8ème chambre d’instruction du parquet du Tribunal de première instance (TPI) d’Abidjan-Plateau. Le ministère public a ouvert une information judiciaire pour des faits d’« atteinte à l’ordre public », de « participation à un mouvement insurrectionnel », d’« atteinte à l’autorité de l’Etat », de « destruction volontaire de biens publics » et de « provocation à un attroupement », supposément survenus le 13 août 2020 lors d’une manifestation à Abidjan, à laquelle Mme Gbalet n’a pas participé. En fin de journée, après leur audience, ils ont été placés sous mandat de dépôt et incarcérés à la maison d’arrêt et de correction de Maca, à Abidjan, où ils restent détenus à ce jour. Ils ont accès à leurs avocats.

Alors que l’information judiciaire est pourtant censée être couverte par le secret de l’instruction, le parquet du TPI d’Abdijan-Plateau a tenu, le 21 août 2020, une conférence de presse portant sur les poursuites à l’égard de Mme Pulchérie Gbalet, MM. Gédéon Junior Gbaou, Cyrille Djehi Bi et Aimé César Kouakou N’Goran.

Mme Pulchérie Gbalet et M. Aimé César Kouakou N’Goran font, en sus, tous deux l’objet d’une procédure de licenciement par le SLT-BNETD, pour avoir appelé à manifester contre un troisième mandat du Président Ouattara. La procédure amorcée par le SLT-BNETD vise à leur faire perdre leurs emplois respectifs.

L’Observatoire rappelle que le Président de la République, Alassane Ouattara, a annoncé lors de son discours à la Nation du 6 août 2020 son intention de candidater à sa propre succession lors des élections présidentielles du 31 octobre 2020. Cette annonce a suscité de nombreux débats sur son éventuelle inconstitutionnalité, et des manifestations dans tout le pays, parfois sévèrement réprimées par le régime.

L’Observatoire condamne fermement la détention arbitraire et le harcèlement judiciaire de Mme Pulchérie Gbalet et de MM. Gédéon Junior Gbaou, Cyrille Djehi Bi et Aimé César Kouakou N’Goran, qui ne semblent viser qu’à sanctionner leur exercice légitime de leur liberté de réunion pacifique et d’association. L’Observatoire appelle les autorités ivoiriennes à procéder à la libération immédiate et inconditionnelle de Mme. Pulchérie Gbalet et de MM. Gédéon Junior Gbaou, Cyrille Djehi Bi et Aimé César Kouakou N’Goran et à mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à leur encontre et celle de l’ensemble des défenseurs des droits humains dans le pays. L’Observatoire appelle également les autorités ivoiriennes à respecter en toutes circonstances la liberté de réunion pacifique et d’association dans le pays.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités ivoiriennes en leur demandant de :

i. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique de Mme Pulchérie Gbalet, MM. Gédéon Junior Gbaou, Cyrille Djehi Bi et Aimé César Kouakou N’Goran, et de l’ensemble des défenseurs des droits humains en Côte d’Ivoire ;

ii. Procéder à la libération immédiate et inconditionnelle de Mme Pulchérie Gbalet et de MM. Gédéon Junior Gbaou, Cyrille Djehi Bi et Aimé César Kouakou N’Goran ;

iii. Procéder à une enquête prompte, exhaustive, impartiale et transparente afin d’identifier tous les responsables de l’enlèvement et des mauvais traitements infligés à M. Aimé César Kouakou N’Goran, et de les sanctionner conformément à la loi ;

iv. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontre de Mme Pulchérie Gbalet, MM. Gédéon Junior Gbaou, Cyrille Djehi Bi et Aimé César Kouakou N’Goran, et de l’ensemble des défenseurs des droits humains en Côte d’Ivoire ;

v. Respecter en toutes circonstances la Loi No. 2014-388 du 20 juin 2014 relative à la promotion et à la protection des défenseurs des droits de l’Homme, et son décret d’application No. 2017-121[3] ;

vi. Respecter en toutes circonstances les libertés de réunion pacifique et d’association, telles que reconnues par l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) et l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ;

vii. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement aux articles 1 et 12.2 ;

viii. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la DUDH et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la Côte d’Ivoire.

Adresses :

· S.E. Alassane Ouattar, Président de la République, Twitter : @Aouattara_PRCI

· M. Hamed Bakayoko, Premier Ministre, Ministre de la Défense, Twitter : @Gouvci / @HamedBakayoko1

· M. Ally Coulibaly, Ministre des affaires étrangères, Email : diplomatie@gouv.ci

· M. Sansan Kambile, Garde des sceaux, Ministre de la Justice et des droits de l’Homme, Twitter : @KambileSansan / @minjustice_dh

· Mme Aimée Zebeyoux, Secrétaire d’État auprès du Garde des sceaux, Ministre de la Justice et des droits de l’Homme, chargée des droits de l’Homme, Email : info@droitdelhomme.gouv.ci / support@cicg.gouv.ci ; Twitter : @sedhci

· Mme Namizata Sangare, Présidente du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), Twitter : @NamizataSangare

· S.E. Adjoumani Kouadio, Ambassadeur, Représentant de la Côte d’Ivoire auprès des Nations unies à Genève, Suisse, Email : info.suisse@diplomatie.gouv.ci

· S.E. Abou Dosso, Ambassadeur, Représentant de la Côte d’Ivoire auprès de l’Union européenne à Bruxelles, Belgique, Email : mailbox@ambacibnl.be

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la Côte d’Ivoire dans vos pays respectifs.

***

Paris-Genève, le 1er septembre 2020

Merci de bien vouloir informer lObservatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, partenariat de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseurs des droits de l’Homme mis en œuvre par la société civile internationale.

[1] L'ONG ACI est une plateforme qui regroupe plusieurs associations de défense des droits humains légalement constituées en Côte d’Ivoire. ACI milite ainsi au sein de la société civile ivoirienne pour la défense et la promotion des droits humains, des libertés civiques, la contribution à la cohésion sociale et à la paix ainsi que pour le respect des règles démocratiques.

[2] Voir https://youtu.be/9bQz0WOcyf0

[3] Voir Communiqué conjoint de l’Observatoire, de la LIDH et du MIDH, publié le 5 mai 2017 : https://www.fidh.org/fr/themes/defenseurs-des-droits-humains/cote-d-ivoire-la-loi-sur-les-defenseurs-des-droits-de-l-homme-enfin