Tunisie
25.02.08
Interventions urgentes

Suivi du cas TUN 171207_Confirmation de la peine de mort

Cas TUN 171207.2
Suivi des cas TUN 171207 et TUN 171207.1
Condamnations/ Peine de mort/ Absence de garanties d’une procédure régulière/ Allégations de torture

Genève, le 25 février 2008

Le Secrétariat international de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) a reçu de nouvelles informations concernant la situation suivante en Tunisie.

Nouvelles informations

Le Secrétariat international de l’OMCT a été informé par le Conseil National pour les Libertés en Tunisie (CNLT), organisation membre du réseau SOS-Torture de l’OMCT, de la confirmation, le 20 février 2008, de la peine de mort de M. Saber Rakoubi (24 ans) ainsi que les jugements en première instance prononcés contre les 29 autres accusés dans l’affaire dite de « Soliman », avec une réduction de peine peu significative pour certains (voir les détails en annexe) par la cour d’appel de Tunis, présidée par le juge Manoubi Ben Hmidan. La seconde condamnation à mort, soit celle de M. Imed Ben Amer (34 ans), a été commuée en peine de prison à perpétuité.

Selon les informations reçues, de nombreuses irrégularités ont été observées durant le procès. Ainsi, la cour a refusé d’examiner les requêtes préalables des avocats de la défense, comme la demande d’examen médical et le constat des traces de torture montrés par les accusés devant la cour. Les avocats de la défense auraient l’intention de se pourvoir en cassation.

Le Secrétariat international de l’OMCT exprime sa plus vive inquiétude quant à ce verdict, en particulier la confirmation de la peine capitale, et aux conséquences inhumaines induites. L’OMCT rappelle qu'elle est fermement opposée à la peine de mort en tant que forme extrême de traitement cruel, inhumain et dégradant ainsi que comme violation du droit à la vie tel que proclamé dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et par d'autres instruments internationaux de protection des droits de l'homme. L’OMCT est d’autant plus préoccupée suite aux allégations de torture en détention et les irrégularités dans la procédure[1]. L’OMCT rappelle que la Tunisie est partie à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) qui prohibent la torture et les mauvais traitements. En lien avec leurs obligations en vertu de ces traités, les autorités tunisiennes doivent veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction. Par ailleurs, l’article 15 de ladite Convention stipule que «tout Etat partie veille à ce que toute déclaration dont il est établi qu'elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n'est contre la personne accusée de torture pour établir qu'une déclaration a été faite». L’OMCT appelle également les autorités judiciaires à se conformer à tous les principes internationaux reconnus en matière de procès équitable et de garantir en toutes circonstances la liberté de leurs ressortissants, en se conformant à l’article 9.1 du PIDCP qui stipule que « nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraire ». L’OMCT, vivement préoccupée par les conditions de détention de ces individus, prie les autorités tunisiennes de garantir en toutes circonstances leur intégrité physique et psychologique, en se conformant à l’article 10.1 du PIDCP qui dit que « toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » et à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.

Rappels des faits

Le Secrétariat international de l’OMCT avait été informé des mauvais traitements subis par 30 prévenus au cours d’une audience par plusieurs agents de la Brigade d’intervention rapide à Tunis, le 15 décembre 2007.

Selon les informations reçues, le 15 décembre 2007, les 30 jeunes âgés entre 21 et 36 ans, comparaissant dans l’affaire N° 14502/4 en vertu de la loi anti terroriste, ont été battus avec des matraques par plusieurs agents de la Brigade d’intervention rapide qui ont fait irruption dans la salle au cours de l’audience présidée par le juge Mehrez Hammami.

Cette intervention se serait produite juste après que les avocats eussent demandé le rapport de l’affaire afin de permettre aux avocats, ayant été commis d’office par le Conseil de l’ordre, de prendre connaissance du dossier et de rendre visite à leurs clients. Le Bâtonnier aurait demandé le report en formulant plusieurs requêtes au nom de la défense et parmi elles, l’accès au dossier original de l’affaire, parce que les dates de l’arrestation auraient été effacées de la copie remise aux avocats qui avaient pu accéder au dossier. Toutefois, selon les mêmes informations, le président aurait rejeté en bloc les demandes de la défense et annoncé qu’il allait entamer l’interrogatoire des prévenus tout en procédant à la lecture de l’acte d’accusation suite à quoi la défense aurait protesté contre cette atteinte à ses droits avec l’appui des prévenus. Plusieurs agents de la Brigade d’intervention rapide auraient ensuite fait irruption dans la salle d’audience et se seraient jetés sur les prévenus en les frappant violemment de leurs matraques et en les évacuants de la salle sous les coups. Malgré les protestations des avocats, le président aurait poursuivi la lecture de l’acte d’accusation provoquant le retrait en bloc de la défense.

Par ailleurs, selon les informations, le père d’un prévenu, M. Moncef Al Jaziri, aurait été arrêté et détenu plusieurs heures dans le palais de justice, accusé d’avoir perturber l’audience.

Le 30 décembre 2007, la 4ème chambre du Tribunal de première instance de Tunis a condamné à la peine capitale, deux des 30 individus accusés de terrorisme, à savoir M. Imed Ben Amer et M. Saber Rakoubi. Huit individus ont été condamnés à la prison à perpétuité et le reste des prévenus à des peines allant de 30 à cinq ans de prison ferme.

Selon les informations, ces 30 individus ont été arrêtés entre la deuxième quinzaine de décembre 2006 et la première semaine de janvier 2007 dans plusieurs villes du pays, suspectés d’avoir des liens avec le groupe responsable des confrontations armées avec les forces de l’ordre qui ont eu lieu dans la banlieue sud de Tunis fin décembre 2006 et qui se sont soldées par la mort de 12 d’entre eux et de membres de l’armée. Selon les informations, leurs avocats ont affirmé qu’ils ont été systématiquement torturés dans les locaux du Ministère de l’Intérieur et que les procès verbaux (PV) de garde à vue ont été falsifiés. Ils auraient été transférés en prison après plus d’un mois de détention et y auraient été à nouveau torturés ainsi que soumis à des traitements dégradants. Ils auraient été cagoulés et passés à tabac et obligés de dormir à même le sol, privés de couvertures, en plein hiver. Par ailleurs, leurs avocats se sont plaints qu’ils arrivaient au parloir pour la visite les yeux bandés et les mains et les jambes entravées.

Actions requises

Merci d’écrire aux autorités de la Tunisie, afin de leur demander de:

  1. Garantir, en toutes circonstances, la sécurité et l’intégrité physique et psychologique de tous les individus mentionnés ci-dessous, mettant à leur disposition des soins médicaux appropriés si nécessaire;
  2. Garantir l’accès inconditionnel à leurs avocats et à leur famille;
  3. Annuler la condamnation à mort et déclarer la nullité des jugements fondés sur des éléments de preuve obtenus par la torture ou d’autres contraintes;
  4. Garantir une réparation adéquate;
  5. Garantir une enquête exhaustive, indépendante et impartiale sur ces évènements, en particulier sur les allégations de torture et mauvais traitements, et ce afin d’identifier les responsables, de les traduire devant un tribunal civil indépendant, compétent et impartial et d’appliquer les sanctions pénales, civiles et/ou administratives prévues par la loi;
  6. Instituer un moratoire sur les exécutions en vue de l’abolition de la peine de mort (tel que prévu par la Résolution de l’AG A/C.3/62/L.29 intitulée ‘Moratoire sur la peine de mort’);
  7. Garantir le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales à travers le pays selon les lois nationales et les instruments internationaux des droits de l’homme.

Adresses

  • M. Zine el-Abidine Ben Ali, Président de la République, Palais de Carthage, 2016 Carthage, Tunisie, Fax: +216 71 744 721 ou +216 71 731 009
  • M. Mohamed Ghannouchi, Premier Ministre, Secrétariat Général du Gouvernement, Rue de la Kasbah, 1008 Tunis, Tunisie, Fax: +216 71 562 378
  • M. Rafik Belhaj Kacem, Ministère de l’Intérieur et du Développement local, Avenue Habib Bourguiba, 1001 Tunis, Tunisie, Fax: ++ 216 71 340 888; Email : mint@ministeres.tn
  • M. Kamel Morjane, Ministère de la Défense Nationale, Avenue Bab Mnara, La Kasbah, 1008 Tunis, Tunisie, Fax: +216 71 561 804
  • M. Bechir Tekkari, Ministère de la Justice et des Droits de l’homme, 57, Boulevard Bab Benat, 1006 Tunis, Tunisie, Fax : +216 71 568 106 ; Email : mju@ministeres.tn
  • Ambassadeur, S.E M. Samir Labidi, Mission permanente de la Tunisie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, 58 Rue Moillebeau, Case postale 272, 1211 Genève 19, Suisse, Fax : +41 22 734 06 63 ; Email : mission.tunisia@ties.itu.int
  • Ambassade de la Tunisie à Bruxelles, 278 avenue de Tervueren, 1150 Woluwe-Saint-Pierre, Belgique, Fax : + 32 2 771 94 33; Email : amb.detenusie@brutele.be

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la Tunisie dans vos pays respectifs

Genève, le 25 février 2008

Veuillez nous informer de toute action entreprise en citant le code de cet appel dans votre réponse.

Annexe

Verdict des 30 condamnés prononcé le 20 février 2008

  1. Ahmed Mrabet (23 ans) condamné à 20 ans (au lieu de 30 ans)
  2. Ali Arfaoui (43 ans) condamné à perpétuité
  3. Ali Sassi (22 ans) condamné à 30 ans
  4. Amine Dhiab (29 ans) (handicapé mental) condamné à 20 ans
  5. Amine Jaziri (28 ans) condamné à 30 ans
  6. Badreddine Ksouri (25 ans) condamné à 30 ans
  7. Fethi Salhi (24 ans) condamné à perpétuité
  8. Hatem Ryabi (29 ans) condamné à 10 ans
  9. Imed Ben Amer (34 ans) condamné à perpétuité
  10. Jamal Mellakh (24 ans) condamné à 10 ans
  11. Jawhar Kassar (30 ans) condamné à 15 ans
  12. Jawhar Slama (29 ans) condamné à 20 ans
  13. Kamel Omhani (24 ans) condamné à 15 ans
  14. Khalifa Garraoui (26 ans) condamné à 7 ans
  15. Khelil Zendah (22 ans) condamné à 3 ans (au lieu de 5 ans)
  16. Marouane Khelif (30 ans) condamné à 8 ans
  17. Mehdi Haj Ali (27 ans) condamné à 8 ans (au lieu de 12 ans)
  18. Mejdi Latrach (24 ans) condamné à 30 ans
  19. Mohamed Bekhiti (22 ans) (non voyant) condamné à 12 ans
  20. Mohamed Ben Latifa (24 ans) condamné à perpétuité
  21. Mokhless Ammar (26 ans) condamné à perpétuité
  22. Nafti Bennani (31 ans) condamné à 4 ans (au lieu de 6 ans)
  23. Osama Abadi (25 ans) condamné à 30 ans (au lieu de perpétuité)
  24. Ramzi Aifi (25 ans) condamné à perpétuité
  25. Saber Rakoubi (24 ans) condamné à mort
  26. Sahbi Nasri (26 ans) condamné à perpétuité
  27. Taoufik Houimdi (29 ans) condamné à 30 ans
  28. Wael Ammami (22 ans) condamné à perpétuité
  29. Zied Esid (26 ans) condamné à 30 ans
  30. Zouhayr Jrid (27 ans) condamné à 3 ans (au lieu de 5 ans)

[1]

  • L’acte d’accusation aurait été lu avant même que les avocats constitués n’aient eu connaissance du dossier et en l’absence des accusés, contrairement aux règles de procédure.
  • Refus systématique de la cour d’examiner les requêtes préalables formulées par les avocats de la défense, notamment les demandes d’examen médical (particulièrement pour un accusé handicapé mental), et refus systématique de permettre à la défense de poser des questions aux accusés par l’intermédiaire du tribunal.
  • Des accusés risquant la peine de mort auraient eu droit en moyenne à 6 minutes chacun pour répondre aux 9 accusations pesant sur eux devant la Cour.
  • Les PV de police auraient été falsifiés et les avocats auraient produits des rapports établissant la falsification (témoignages de 14 témoins qui ont assisté à l’arrestation, alertes d’ONG sur ces arrestations antécédentes à la date figurant sur les PV).
  • Les pièces saisies n’auraient pas été exposées à l’audience. Face aux réclamations de la défense, le président aurait produit des photos, l’une d’elle montrant des boites en métal.
  • La torture aurait été pratiquée systématiquement sur les prévenus qui ont montré à la cour les traces encore visibles de leurs tortures après 12 mois de détention. L’un d’eux aurait affirmé avoir subi le supplice du bâton dans l’anus en présence du Ministre de l’Intérieur en personne, Rafik Bel Haj Kacem. La cour aurait refusé systématiquement de consigner ces déclarations, interrompant les accusés afin qu’ils n’achèvent pas leurs phrases.