Israël et territoires palestiniens occupés
10.03.10
Interventions urgentes

Restriction de l'espace des défenseurs des droits de l'Homme israélis et des organisations travaillant en Israël et dans les TPO

Bruxelles, 10 mars 2010

OBJET: RESTRICTIONS À LA LIBERTÉ D’ACTION DES DÉFENSEURS ET DES ORGANISATIONS DES DROITS DE L’HOMME TRAVAILLANT EN ISRAËL ET DANS LES TPO

Monsieur le Ministre Moratinos,

Madame la Haute Représentante Ashton,

Aprodev, CIDSE, Front Line, le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH), le Conseil international de réhabilitation pour les victimes de torture (IRCT) et l’Observatoire pour la protection des droits des défenseurs des droits de l’Homme – un programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) – sont vivement préoccupés par les récentes démarches du gouvernement israélien visant à restreindre la liberté d’action des organisations de la société civile israélienne en Israël et dans les territoires palestiniens occupés (TPO). Plus particulièrement, ces démarches visent à délégitimer et à restreindre sévèrement le travail de ces organisations. Elles portent atteinte aux normes démocratiques en Israël et au droit des défenseurs des droits de l’Homme à poursuivre leurs activités sans entraves. Pour ces motifs, nous estimons que l’UE et ses États membres doivent réagir à cette situation de toute urgence.

Projet de loi visant à restreindre les financements en provenance de l’étranger destinés aux ONG israéliennes

Le 14 février 2010, la Knesset a approuvé en première lecture un projet de loi gouvernemental qui aurait pour effet de restreindre sévèrement la liberté d’action des organisations de la société civile israélienne sous le prétexte d’augmenter la transparence du financement des ONG. Le texte indique que toute organisation « cherchant à influencer l’opinion publique en Israël » sera considérée comme « organisation politique » plutôt qu’organisation caritative. Ces organisations devront s’enregistrer auprès du Registrar des partis politiques et ne seront plus exonérées d’imposition. En outre, le projet de loi stipule que, lorsqu’ils s’adressent en public, les porte-parole et représentants d’une telle organisation seront tenus de déclarer que leur organisation reçoit des fonds d’une entité politique étrangère. L’inobservation de cette disposition sera passible d’amendes et de peines d’emprisonnement.

Cette législation vise clairement à délégitimer ces organisations, à intimider leurs membres et à soumettre leurs activités à une surveillance accrue de l’État. Cependant, cette nouvelle loi est superflue dans la mesure où toutes les ONG sont tenues de divulguer le nom de leurs donateurs et la destination des fonds qu’elles reçoivent sur leur site Internet, et de soumettre aux autorités un rapport annuel contenant des renseignements sur les dons provenant de gouvernements étrangers. Dans ce contexte, cette nouvelle loi ne fera que limiter la capacité des ONG à recevoir des fonds de l’étranger.

Le comité de la Knesset chargé des affaires constitutionnelles doit se prononcer sur ce texte législatif le 17 mars 2010 prochain. Compte tenu de la composition actuelle de la Knesset, il y a tout lieu de croire que le projet de loi sera adopté.

Autres formes de harcèlement à l’encontre des organisations de défense des droits de l’Homme

Ce projet de loi n’est que le dernier volet d’une campagne de délégitimisation orchestrée par des groupes d’extrême-droite, laquelle vient s’ajouter à d’autres formes de harcèlement et d’entraves au travail d’organisations de la société civile, telle l’arrestation de militants suite à des manifestations pacifiques contre la campagne militaire à Gaza, l’érection du mur de séparation en Cisjordanie, la pratique de démolition de maisons de Palestiniens et l’expulsion de ces derniers de Jérusalem-Est. Dans le même contexte, une autre source de préoccupation importante est le projet de loi sur la prévention des infiltrations, présentement débattu à la Knesset. En vertu de ce texte, les membres et bénévoles des organisations d’aide israéliennes qui fournissent une assistance aux demandeurs d’asile et migrants qui pénètrent en Israël de façon irrégulière seront passibles de peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à sept ans.

Les initiatives récentes visant à entraver le travail des défenseurs des droits de l’homme israéliens et internationaux s’inscrivent dans une démarche de harcèlement incessant menée par les autorités israéliennes contre les défenseurs des droits de l’Homme Palestiniens. Ce harcèlement comprend des arrestations et détentions arbitraires et l’imposition de restrictions à la liberté de mouvement, y compris l’interdiction de se rendre à l’étranger.

En vertu des Lignes directrices de l’Union européenne sur les défenseurs des droits de l’Homme, qui soulignent « l’importance d’assurer la protection des défenseurs des droits de l’Homme et de leurs droits », et de l’article 2 de l’Accord d’association UE-Israël, qui précise que « les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, se fondent sur le respect des principes démocratiques et des droits de l’Homme fondamentaux qui régissent leur politique intérieure et internationale », nous prions instamment l’Union européenne et ses États membres de recommander avec insistance au gouvernement israélien :

  • de cesser d’entraver et de criminaliser le travail des organisations de la société civile en Israël et de respecter leurs libertés d’association et d’expression.
  • de retirer le projet de loi « sur le financement en provenance de l’étranger » et de s’abstenir de déposer d’autres textes législatifs qui auraient pour objet de redéfinir comme « organisation politique » toute organisation indépendante et/ou de compromettre la capacité de ces organisations à recevoir de fonds de l’étranger.

Les organisations signataires prient instamment l’Union européenne de soulever les questions ci-dessus au plus haut niveau avec le gouvernement israélien, y compris lors de la visite de la Haute représentante Mme Ashton en Israël à la mi-mars, et lors de la réunion du Conseil d’association UE-Israël prévue pour le 23 mars 2010. Il convient de rappeler que lorsque d’autres États méditerranéens ont adopté des mesures visant à restreindre le financement et le travail des organisations de la société civile, l’UE a fait part de ses préoccupations et condamné ces mesures. Par ailleurs, nous invitons également la Haute représentante Ashton à rencontrer des représentants des organisations de la société civile lors de son passage en Israël.

Espérant que vous prendrez en considération nos commentaires et requêtes, nous vous prions de recevoir nos salutations distinguées. Rob Van Drimmelen
Secrétaire général
APRODEV
Brita Sydhoff
Secrétaire général
Conseil international de réhabilitation pour les victimes de torture Bernd Nilles
Secrétaire général
CIDSE Souhayr Belhassen
Président
Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme
Kamel Jendoubi
Président
Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme Eric Sottas
Secrétaire général
Organisation mondiale contre la torture Mary Lawlor
Directrice
Front Line