Tunisie
01.09.05
Interventions urgentes

Tunisie: Fermeture de l'AMT et harcèlement de ses membres

APPEL URGENT - L’OBSERVATOIRE

TUN 003 / 0905 / OBS 077


Fermeture d’une association / Entrave à la liberté d’association
Tunisie

1er septembre 2005

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), vous prie de bien vouloir intervenir de toute urgence à propos de la situation suivante en Tunisie.

Description des faits :

L’Observatoire a été informé par le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) et le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDH Tunisie) de la fermeture des locaux de l’Association des magistrats tunisiens (AMT) et du harcèlement à l’encontre de ses membres.

Selon les informations reçues, le 29 août 2005, M. Ahmed Rahmouni, président de l’AMT, a été convoqué par le procureur auprès du tribunal de 1ère instance de Tunis, qui lui a intimé l’ordre de lui remettre les clés du local de l’association, hébergée au palais de justice depuis 1946.

Le 30 août 2005, l’avocat général près la Cour d’appel de Tunis, mandaté par le ministère de la Justice, a convoqué les responsables de l’AMT pour leur demander oralement de lui remettre les clés du siège de l’AMT. Ces derniers ont contesté la légalité de cette démarche, précisant que seule une procédure judiciaire serait qualifiée pour retirer la jouissance de son local à un bureau démocratiquement élu, ou une décision administrative (susceptible d’être contestée devant le Tribunal administratif) émanant du ministère de l’Intérieur dont relèvent les associations.

Le 31 août 2005, les membres de l’AMT n’ont pas pu accéder à leur local, les serrures ayant été changées, ce qui a été constaté par un huissier notaire.

D’autre part, l’Observatoire note que ces faits s’inscrivent dans le cadre de pressions accrues à l’encontre des magistrats tunisiens indépendants.

Ainsi, une nouvelle loi relative au système judiciaire, au Conseil supérieur de la Magistrature et au statut des magistrats, a été promulguée par le Président Ben Ali le 4 août 2005, après son adoption par la Chambre des députés le 30 juillet. Cette loi restreint de façon considérable les pouvoirs et l’indépendance des magistrats, et témoigne d’une véritable tentative de museler toute expression d’indépendance.

Cette loi, qui amende la loi du 14 juillet 1967, se concentre sur les questions disciplinaires et ignore les revendications des magistrats à faire reconnaître expressément les garanties dues à leur fonction. Notamment, elle nie le droit des juges de contester les décisions de l’administration devant une instance judiciaire et leur droit à interjeter appel des sanctions disciplinaires auprès du Tribunal administratif, en restreignant ce droit à une requête adressée à une “commission des recours” issue du Conseil supérieur de la magistrature (CSM)* (introduction d’un article 60 bis et amendement des articles 55, 60 et 61). De même, la possibilité de contester les mesures de mutation des magistrats arrêtées par le CSM est dorénavant du ressort d’une autre structure dépendant du Conseil (amendement de l’article 14).

Deux jours après l’adoption de cette loi, le 1er août 2005, le ministère de la Justice a effectué une série de mutations disciplinaires qui ont ciblé les membres les plus actifs de l’AMT, notamment les femmes juges membres du bureau (quatre sur cinq selon un communiqué du bureau) : une trentaine de membres de l’AMT ont été affectés dans de nouvelles juridictions, parfois à plus de 400 kilomètres de leur résidence et de leur famille. Ainsi, Mme Kalthoum Kennou, secrétaire générale de l’AMT, a été mutée à Kairouan (160 km de Tunis), Mme Wassila Kaabi, membre du bureau, a été mutée à Gabès (420 km de Tunis), 15 membres de la commission administrative (sur un total de 38) ont été affectés dans de nouvelles juridictions de façon à leur faire perdre leur qualité représentative au sein de l’association, et neuf magistrats membres de la commission administrative de l’AMT ont été mutés dans des provinces éloignées territorialement de leur juridiction d’origine ou ont été délestés de leurs attributions professionnelles.

Ces actes de représailles font suite, notamment, au vote d’une motion générale lors du 10ème congrès de l’AMT en décembre 2004, présentant des revendications institutionnelles visant à garantir une réelle indépendance de la justice par le nouveau bureau de l’AMT élu à ce même congrès. De plus, le 31 mai 2005, l’AMT avait souligné dans un mémorandum l’urgence de réformer profondément le CSM, en vue de l’institution d’un pouvoir judiciaire indépendant, en consacrant le principe du choix de la majorité de ses membres par voie d’élections.

L’Observatoire exprime sa plus vive préoccupation à l’égard de ces faits, qui illustrent une nouvelle fois les graves entraves posées à la liberté d’association en Tunisie et les actes de harcèlement constants dont font l’objet les défenseurs des droits de l’Homme tunisiens, et ce à la veille du Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI), qui se tiendra à Tunis en novembre 2005. De plus, ces faits constituent une violation flagrante des Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, notamment de son article 1 qui dispose qu’il “incombe à toutes les institutions, gouvernementales et autres, de respecter l’indépendance de la magistrature”, son article 8 selon lequel “selon la Déclaration universelle des droits de l’homme, les magistrats jouissent, comme les autres citoyens, de la liberté d’expression, de croyance, d’association et d’assemblée; toutefois, dans l’exercice de ces droits, ils doivent toujours se conduire de manière à préserver la dignité de leur charge et l’impartialité et l’indépendance de la magistrature”, et son article 9, qui dispose que “les juges sont libres de constituer des associations de juges ou d’autres organisations, et de s’y affilier pour défendre leurs intérêts, promouvoir leur formation professionnelle et protéger l’indépendance de la magistrature”.

*Le CSM est présidé par le président de la République et vice-présidé par le ministre de la Justice ; de plus, la majorité de ses membres sont nommés par l’exécutif.

Actions demandées :

Merci d’écrire aux autorités tunisiennes et de leur demander de :

i. Veiller à ce que l’Association des magistrats tunisiens (AMT) puisse rentrer immédiatement en possession des clés de son bureau, et puisse jouir de ses locaux sans aucune forme d’entrave à son fonctionnement;

ii. Mettre un terme à tout acte de harcèlement à l’encontre de l’ensemble de membres de l’AMT, et de tous les défenseurs des droits de l’Homme tunisiens ;

iii. Abroger la loi relative au système judiciaire, au Conseil supérieur de la Magistrature et au statut des magistrats ;

iv. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998, notamment à son article premier qui dispose que “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international”, à son article 5.a selon lequel “afin de promouvoir et protéger les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de se réunir et de se rassembler pacifiquement”, et à son article 12.2, qui dispose que “l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration” ;

v. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et des instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme liant la Tunisie.


Adresses :

  • M. Zine el-Abidine Ben Ali, Président de la République, Palais de Carthage, 2016 Carthage, Tunisie, Fax: +216 71 744 721 ou +216 71 731 009

  • M. Mohamed Ghannouchi, Premier Ministre, Secrétariat Général du Gouvernement, Rue de la Kasbah, 1008 Tunis, Tunisie, Fax: +216 71 562 378

  • M. Rafik Belhaj Kacem, Ministère de l’Intérieur et du Développement local, Avenue Habib Bourguiba, 1001 Tunis, Tunisie, Fax: ++ 216 71 340 888; Email : mint@ministeres.tn

  • M. Kamel Morjane, Ministère de la Défense Nationale, Avenue Bab Mnara, La Kasbah, 1008 Tunis, Tunisie, Fax: +216 71 561 804

  • M. Bechir Tekkari, Ministère de la Justice et des Droits de l’homme, 57, Boulevard Bab Benat, 1006 Tunis, Tunisie, Fax : +216 71 568 106 ; Email : mju@ministeres.tn

  • Ambassadeur, S.E M. Samir Labidi, Mission permanente de la Tunisie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, 58 Rue Moillebeau, Case postale 272, 1211 Genève 19, Suisse, Fax : +41 22 734 06 63 ; Email : mission.tunisia@ties.itu.int



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Genève - Paris, le 1er septembre 2005

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, programme de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible.

L’Observatoire a été lauréat 1998 du prix des Droits de l’Homme de la République Française.

Pour contacter l’Observatoire, appeler La Ligne d’Urgence :
E-mail : observatoire@iprolink.ch
Tel et fax FIDH : 33 (0) 1 43 55 20 11 / (0)1 43 55 18 80
Tel et fax OMCT : + 41 22 809 49 39 / 41 22 809 49 29