Tunisie
06.05.05
Interventions urgentes

Tunisie: campagne d'intimidation contre les avocats

COMMUNIQUE

Tunisie : campagne d’intimidation contre les avocats
Les avocats de M. Mohammed Abbou pris pour cible


Genève - Paris, le 6 mai 2005 – L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), exprime son inquiétude face à la campagne d’intimidation dont sont victimes les avocats tunisiens.

Le 29 avril 2005, Me Mohammed Abbou, membre de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISSP), ancien dirigeant de l’Association des jeunes avocats et membre du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), a été condamné à 3 ans et demi de prison, à la suite d’un procès entaché de nombreuses irrégularités. Il a été condamné dans deux affaires distinctes pour avoir critiqué sur Internet les conditions de détention dans les prisons tunisiennes et pour “violences à l’encontre d’une avocate” (cf. communiqué de l’OMCT du 29 avril 2005). De plus, depuis le 3 mai 2005, Me Abbou observe une “grève de la faim illimitée” à la prison du Kef (nord-ouest de la Tunisie), afin de protester contre sa détention, la façon dont son procès s’est déroulé et les entraves que ses avocats rencontrent lorsqu’ils veulent lui rendre visite.

En effet, le 29 avril 2005, les avocats Me Najib Hosni, Me Sonia Ben Amor et Me Ousama Bou Thalja se sont rendus à la prison du Kef pour effectuer une visite à leur client Me Mohammed Abbou, après avoir obtenu des autorisations de visite des autorités judiciaires compétentes. A leur arrivée, les responsables de la prison du Kef ont empêché M. Hosni de rendre visite à son client. Mme Sonia Ben Amor a quant à elle été autorisée à entrer, et a pu s’entretenir avec Me Abbou pendant quelques minutes. Puis la visite à été soudainement interrompue par les gardiens, qui ont brutalement emmené M. Abbou, sans donner la moindre explication et demandant à Mme Ben Amor d’attendre. Alors qu’elle réclamait qu’on lui ramène son client afin de pouvoir se concerter avec lui sur les suites de son procès, les gardiens de la prison lui ont demandé de quitter immédiatement les lieux. L’un d’eux l’a alors renversée de son siège, deux autres gardiens l’ont soulevée chacun par un bras, l’ont entraînée dehors alors que le directeur de la prison lui donnait des coups de pieds. A la suite de ces évènements, le directeur de la prison ainsi qu’un gardien de prison auraient déposé deux plaintes à l’encontre de Mme Ben Amor, l’accusant d’avoir détruit certains biens matériels de la prison et d’avoir cassé le bras du-dit gardien. Mme Ben Amor devrait passer devant le juge d’instruction, et serait susceptible de faire l’objet d’un mandat d’amener.

Le 29 avril 2005, Mme Abbou, qui effectuait sa visite hebdomadaire, n’a pas pu rencontrer son mari ni lui faire parvenir les provisions qu’elle lui avait apportées.

Par ailleurs, dans le cadre du bras de fer qui oppose actuellement les autorités aux avocats, le Conseil suprême de la magistrature (CSM) présidé par le chef de l’Etat, M. Zine El Abidine Ben Ali, a lancé le 3 mai 2005 une mise en garde aux avocats. Il a fustigé les “abus, dépassements et dérives” de certains d’entre eux et demandé aux magistrats de “prendre toutes les mesures qui s’imposent pour maintenir l’ordre” dans les tribunaux. Le Conseil a insisté sur “la nécessité de préserver la dignité de la magistrature et de défendre l’intégrité des tribunaux”. En réponse, le Bâtonnier du Conseil de l’Ordre des avocats tunisiens, M. Abdelsattar Ben Moussa, a accusé, mercredi 4 mai 2005, le pouvoir d’utiliser la justice et la presse pour mater les avocats, selon lui, “en danger”.

En outre, le 5 mai 2005, les avocats de M. Abbou, Mme Sonia Ben Amor, Mme Radhia Nasraoui, présidente de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT), M. Ayachi Hammami, et M. Raouf Ayadi, ont été informés de leur prochaine parution devant le conseil de discipline sur la demande de l’avocat général, M. Habib Ben Youssef. Ces quatre avocats risquent d’être radiés du Barreau.

Le 5 mai 2005, les avocats membres du “Comité de soutien à Me Abbou” coordonné par M. Ayachi Hammami, en sit-in devant la Maison du Barreau, face au Palais de Justice de Tunis, depuis le 4 avril 2005, se sont également mis en grève de la faim pour 24 heures en solidarité avec Me Abbou. Ils entendent “réclamer la fin de la campagne de dénigrement qui vise à les discréditer aux yeux de l’opinion publique nationale et internationale, et exiger la libération de leurs deux collègues Mohamed Abbou et Faouzi Ben M’rad” (Me Ben M’rad, avocat à la Cour de cassation tunisienne, a été condamné par le Tribunal de Première Instance de Grombalia le 3 mai 2005 à quatre mois de prison pour “outrage à magistrat”).

Enfin, le 6 mai 2005, alors que ces avocats s’étaient rassemblés dans la cour du Palais de Justice, ils ont été encerclés par la police et violemment obligés de quitter les lieux. La police a encerclé l’ensemble du quartier, et a ensuite conduit les avocats à la Maison du Barreau. Certains avocats, violemment malmenés, ont vu leurs vêtements déchirés, leurs lunettes arrachées, et certains sont même tombés. Le Bâtonnier du Conseil de l’Ordre des avocats tunisiens lui-même, qui avait organisé la réunion des avocats, n’a pas été épargné.

L’Observatoire dénonce ces actes de violences, de harcèlement et d’intimidation à l’égard des avocats tunisiens, et rappelle que ces mesures sont en contradiction avec les principes de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998, qui stipule dans son article premier que “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international”, et dans son article 9 que “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de disposer d’un recours effectif et de bénéficier d’une protection en cas de violation de ces droits” et “d’offrir et prêter une assistance juridique professionnelle qualifiée ou tout autre conseil et appui pertinents pour la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales”.

Par conséquent, l’Observatoire demande aux autorités tunisiennes de mettre un terme à tout acte de harcèlement ou entrave au travail des avocats tunisiens et des défenseurs des droits de l’homme dans le pays. L’Observatoire demande également aux autorités tunisiennes de libérer dans les plus brefs délais Me Abbou, maintenu en détention arbitrairement, et appelle au respect de la liberté d’expression et du droit à un procès équitable en Tunisie, conformément aux dispositions des instruments internationaux applicables en la matière.


Contact presse : FIDH : +33 1 43 55 25 18 / OMCT : +41 22 809 49 39