“Les prisonniers sont bien plus souvent atteints de problèmes de santé chroniques”
Quelle est la situation actuelle en matière de soins de santé dans les prisons?
Plus de 10 millions de personnes sont détenues dans des établissements pénitentiaires à travers le monde. C’est aux États-Unis que l’on trouve le taux d’incarcération le plus élevé. Plusieurs rapports font état de négligences, d’abus, d’exploitation et de violations de droits humains dans les prisons au niveau international.
Les droits humains, y compris le droit à la santé, sont souvent ignorés. Les conditions de vie déplorables, la négligence et les mauvais soins de santé sont monnaie courante. En prison, les services de santé sont souvent de mauvaise qualité ou difficiles d’accès. Il n’est pas rare qu'aucun soin de base, dépistage des maladies ou immunisation ne soit proposé, même en cas de risque de maladie et de décès plus élevé parmi les détenu·e·s. Plusieurs cas de soins de courte durée médiocres ont aussi été signalés dans de nombreux pays, et les difficultés sont nombreuses pour bénéficier d’un suivi adéquat et régulier et d’une recommandation auprès d’un·e spécialiste ou d’un service de santé externe.
Les personnes qui se trouvent en prison ont tendance à être plus souvent malades que le reste de la population. La probabilité est beaucoup plus élevée qu’elles soient atteintes de problèmes de santé chroniques (pression artérielle élevée, diabète, VIH, tuberculose, problèmes de santé mentale).
Bien que l’emprisonnement soit difficile, il pourrait aussi être l’occasion de proposer une éducation à la santé, des soins de santé, des services de santé préventive et des traitements contre l’addiction aux drogues à des groupes marginalisés qu’il est généralement difficile d’atteindre au sein des communautés.
Quels sont les obstacles à des soins de santé de qualité en prison?
En prison, les services de santé sont souvent inadaptés et ne sont pas à la hauteur des normes de la société. Il existe également des difficultés en lien avec le personnel, les pénuries et la qualité médiocre des soins de base et de courte durée. Ces graves manquements ont des causes multiples: problèmes de financement, vides politiques, manque de protocoles explicites, ou encore marginalisation des populations carcérales.
Les difficultés associées au personnel et à l’absence de politiques et de protocoles adéquats impliquent que le personnel pénitentiaire soit souvent amené à prendre des décisions médicales, alors qu’il n’est ni équipé, ni formé pour cela.
Les personnes en détention ressentent une méfiance compréhensible vis-à-vis du système de santé.
De nombreux·ses professionnel·le·s de la santé qui travaillent dans les milieux carcéraux sont confrontés à un risque de « loyauté double» – en cas de conflit entre leurs devoirs en tant que professionnel·le·s de la santé vis-à-vis de leurs patient·e·s et leurs obligations vis-à-vis de leurs employeurs (par exemple les autorités pénitentiaires). Cette situation peut pousser certains professionnels de la santé à ignorer consciemment, voire même à pratiquer, des actes de torture, d’alimentation forcée, de contention physique, de prescription de médicaments psychiatriques inappropriés, d’isolement cellulaire, de divulgation de données de santé à des tiers sans consentement, de fouilles corporelles ou encore de peine capitale. Le personnel de soins doit être conscient de ces risques et s’assurer qu’il dispose de la même indépendance professionnelle que les collègues professionnels qui travaillent au sein de la communauté.
Quel est le rapport entre l’état de santé des détenu·e·s et la population carcérale?
Les maladies contagieuses (comme le Covid-19 et la tuberculose) se propagent facilement dans les prisons, en raison de la surpopulation et de la nature même des lieux de détention qui constituent des « contextes de collectivité rapprochée ». Cet environnement peut impacter à la fois ceux·celles qui sont derrière des barreaux, mais aussi le personnel. Il convient donc d’examiner simultanément les besoins du personnel et des détenu·e·s en matière de santé, surtout face au risque de maladies transmissibles.
Ranit Mishori est professeure de médecine familiale à l'Université de Georgetown et conseillère médicale principale à Physicians for Human Rights, États-Unis.