Nicaragua
03.11.21
Déclarations

Nicaragua: Cinq raisons pour lesquelles les élections au Nicaragua ne garantissent pas les droits humains

Des élections générales auront lieu le 7 novembre 2021 au Nicaragua sur fond d’aggravation de la crise des droits humains qui a commencé après les opérations de répression du mois d’avril 2018. Nous, organisations cosignataires du présent document, souhaitons exprimer notre profonde inquiétude face aux violations graves et persistantes des droits fondamentaux dans le pays et à leur escalade récente. Nous présentons ci-après cinq raisons expliquant pourquoi les prochaines élections générales auront lieu dans un contexte de graves restrictions des libertés civiles et politiques.

Tandis que le président Daniel Ortega brigue son quatrième mandat consécutif, la répression gouvernementale contre l’opposition s’est accentuée dans le contexte pré-électoral. La détérioration de la situation, de plus en plus alarmante, a pris la forme d’atteintes aux libertés personnelles, à l’intégrité physique, à la liberté d’expression et d’association, à la liberté de la presse, ainsi que d’autres restrictions de l’exercice des droits civils et politiques. Ces violations des droits humains ont affecté divers groupes en situation de vulnérabilité - notamment les femmes -, pour lesquels un impact différencié a été observé.

Depuis la fin mai, le gouvernement nicaraguayen a arrêté 39 personnes considérées comme des opposant·e·s au gouvernement, notamment sept candidat·e·s à l’élection présidentielle. Certaines de ces personnes ont été soumises à des disparitions forcées, pendant des semaines, voire des mois. Ces abus représentent le début d’une nouvelle étape dans la campagne de répression et de criminalisation des voix critiques, des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains, qui a été favorisée par le manque d’indépendance de la justice. Cela a également été rendu possible par le contrôle exercé par le pouvoir exécutif sur l’Assemblée nationale, qui a promulgué des lois portant atteinte aux droits à la liberté d'expression, de réunion et d’association, ainsi qu’au droit de vote et au droit de se présenter à des élections libres et régulières.

Il est manifeste que les conditions nécessaires ne sont pas réunies au Nicaragua pour que se déroulent des élections garantissant l’exercice des droits. C’est pour cela que nous demandons à la communauté internationale, aux organisations multilatérales et aux organisations internationales de défense des droits humains de redoubler d’efforts afin de mettre un terme à la crise de ces droits.

1. DÉTENTIONS ARBITRAIRES ET DISPARITIONS FORCÉES

    Depuis le 28 mai 2021, le gouvernement de Daniel Ortega a placé en détention 39 personnes considérées comme des opposant·e·s au gouvernement, notamment des candidat·e·s à la présidentielle, des figures de la vie politique du pays, des dirigeant·e·s étudiants, des militant·e·s, des avocat·e·s de la défense, des représentant·e·s des paysans et des journalistes. Certaines de ces personnes ont été soumises à une disparition forcée pendant des semaines voire des mois, avant que les autorités ne fournissent des informations sur le lieu où elles se trouvaient. Un grand nombre d’entre elles ont subi des interrogatoires répétés et des conditions de détention abusives, notamment des placements prolongés en détention à l'isolement ou de la nourriture en quantité insuffisante, ce qui peut constituer des actes de torture et/ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants en vertu du droit international. Ces détenus s’ajoutent à la centaine d’individus perçus comme des détracteurs se trouvant toujours en détention arbitraire après leur arrestation dans le cadre de la crise actuelle des droits humains à travers le pays.

    L’État nicaraguayen doit cesser de recourir aux détentions arbitraires et aux disparitions forcées, et libérer, immédiatement et sans condition, les personnes détenues de manière injustifiée après avoir exercé leurs droits. Cela est indispensable pour qu’elles puissent recommencer à bénéficier pleinement de tous leurs droits fondamentaux, notamment le droit de voter, le droit de se présenter à des élections et le droit d’avoir accès, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de leur pays.

    2. MANQUE D’INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE ET VIOLATIONS DU DROIT DE FAIRE APPEL À LA JUSTICE

      Les autorités continuent à utiliser le système pénal, en profitant du manque d’indépendance de la justice afin d’emprisonner, au terme de procédures arbitraires, des personnes perçues comme des opposant·e·s. Parmi les violations les plus fréquentes des garanties d’une procédure régulière et d’équité des procès figurent : les atteintes à la présomption d’innocence, à l’obligation qu’un mandat d’arrêt ou de détention soit présenté, au droit d’être jugé par un·e magistrat·e indépendant et impartial, au droit d’accéder à des informations détaillées sur l’accusation formulée, aux droit de la défense et à des communications libres et privées avec un·e avocat·e de son choix. Le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire au Nicaragua signifie par ailleurs que les personnes menacées ne peuvent se tourner vers aucune autorité impartiale afin de porter plainte ou demander une protection.

      De même, les autorités n’ont pas respecté les recommandations des mécanismes internationaux des droits humains, en entravant l’exercice des droits fondamentaux.

      L’État nicaraguayen doit garantir à la population un accès à la justice, la vérité et des réparations pour les crimes de droit international et autres graves violations des droits humains (comme la disparition forcée, la torture ou la détention arbitraire) commis avant et pendant les élections.

      3. ATTEINTES À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE LA PRESSE

        Les autorités s’en prennent à des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes et des opposant·e·s avérés ou présumés pour la seule raison qu’ils ont exercé leur droit à la liberté d’expression. Dans le cadre de cette tactique répressive, l’Assemblée nationale a approuvé la « Loi de réglementation relative aux agents étrangers » et la « Loi spéciale sur les délits en ligne » en octobre 2020, qui limitent fortement la liberté d’association et d’expression.

        Entre juillet et août 2021, les autorités ont ordonné la fermeture de 45 organisations non gouvernementales, notamment des associations de femmes, des organisations humanitaires internationales, et diverses associations médicales. Dix autres ont été fermées depuis 2018.

        Par ailleurs, le gouvernement continue à encourager des attaques et des restrictions indues contre des médias indépendants et des professionnel·le·s de la communication, ainsi que contre des organisations dédiées à la défense de la liberté de la presse. Ces attaques et restrictions incluent des enquêtes administratives et pénales, l’arrestation de journalistes, et des descentes dans les locaux de certains médias ainsi que la saisie de leurs biens. Dans ce contexte préoccupant, non seulement les professionnel·le·s et médias pris pour cible ont vu leurs droits bafoués, mais l’accès du public à l’information s’en trouve limité, alors qu’il s’agit d’une composante essentielle du plein exercice des droits politiques.

        L’État nicaraguayen doit protéger et respecter le droit à la liberté d’expression, y compris le droit à la liberté de la presse, qui est essentiel à l’accès à l’information et à la pluralité des débats dans un contexte électoral. Il doit par ailleurs mettre fin au harcèlement, à la stigmatisation et à la criminalisation des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes et des personnes dissidentes ou perçues comme des opposant·e·s pour avoir simplement exprimé des critiques sur la politique des autorités.

        4. VIOLATIONS DES DROITS POLITIQUES

          Le gouvernement a essayé d’éliminer et de décourager les adversaires électoraux, en plaçant en détention de manière arbitraire et en poursuivant des opposant·e·s et des candidat·e·s à la présidentielle, puis en les privant de leurs droits politiques. Il a aussi révoqué la personnalité juridique des principaux partis d’opposition, les empêchant ainsi de participer aux élections.

          En décembre 2020, l’Assemblée nationale a approuvé la « Loi de défense des droits du peuple à l’indépendance, la souveraineté, et l’autodétermination dans une optique de paix », qui a été invoquée afin d’ouvrir des enquêtes sur un grand nombre des personnes arrêtées depuis la fin du mois de mai. Cette loi contient des dispositions trop générales et vagues, qui restreignent le droit de se présenter à des élections.

          Des organisations locales ont déjà déploré le fait que dans les conditions actuelles, le processus électoral ne garantirait pas le plein exercice des droits politiques.

          Toutes les personnes doivent pouvoir exercer librement leur droit de vote, sans subir de menaces, ainsi que le droit d’éligibilité et d’avoir accès, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de leur pays. Pour que l'exercice de ces droits soit plein et effectif, il est essentiel que la liberté d’expression, de réunion et d’association soit garanti.

          L’État nicaraguayen doit veiller à ce que toutes les conditions nécessaires soient réunies pour que les citoyen·ne·s puissent exercer de manière satisfaisante leur droit de participer à la direction des affaires publiques.

          5. ABSENCE DE GARANTIES POUR L’EXERCICE DU DROIT DE RÉUNION PACIFIQUE

            En réaction aux manifestations de 2018, des représentants de l’État ont recouru de manière excessive, disproportionnée et souvent injustifiée à la force, contre des personnes qui manifestaient afin de revendiquer leurs droits. Selon un groupe d’experts indépendants nommés par la Commission interaméricaine des droits de l'homme, la police nationale et des groupes armés pro-gouvernementaux ont commis, avec l’appui du gouvernement nicaraguayen, des violations de grande ampleur, notamment des exécutions extrajudiciaires, contre des manifestant·e·s dont la plupart n’étaient pas armés. L’impunité pour les graves abus commis durant les manifestations de 2018 reste la norme.

            Malgré l’attention internationale suscitée par la situation, la répression visant les personnes qui manifestent et défendent le respect des droits humains se poursuit.

            La récente intensification de la répression et du harcèlement contre les voix discordantes suggère fortement que l’État ne garantira pas le droit à la liberté de réunion pacifique si de nouvelles manifestations devaient se dérouler avant l’élection.

            L’État nicaraguayen doit garantir la liberté de réunion pacifique avant, pendant et après le processus électoral.

            Amnesty International

            Center for Justice and International Law (CEJIL)

            CIVICUS

            Human Rights Watch

            International Institute on Race, Equality and Human Rights

            Bureau de Washington sur l'Amérique latine

            Organisation mondiale contre la torture

            People in Need

            Réseau international des droits humains

            Women’s Link Worldwide