France
02.12.20
Déclarations

Proposition de loi relative à la sécurité globale, une menace à la lutte contre l’impunité

Déclaration, 2 décembre 2020

L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) exprime sa plus vive préoccupation face à la restriction de la diffusion d’images permettant l’identification des forces de l’ordre, dans un contexte général d’aggravation des violences policières en France.

Le 26 novembre 2020, des images d’une violence inouïe ont été diffusées par le site d’information Loopsider, témoignant d’une nouvelle agression raciste de la part d’agents de police. Quelques jours plus tôt, le 21 novembre, un homme a été victime d’un passage à tabac et d’injures racistes par trois policiers qui l’avaient suivi jusqu’à son lieu de travail. Les images obtenues grâce aux caméras de vidéosurveillance démentent les allégations des agents de police qui font état dans leur rapport d’intervention de violence et de rébellion de la part de la victime, ayant conduit à son arrestation arbitraire. Les trois policiers ont été mis en examen pour « violence volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique » et « faux en écriture publique » dans la nuit du 29 au 30 novembre.

Ces évènements interviennent dans un contexte déjà marqué par une vive tension suite à l’évacuation brutale par les forces de l’ordre, dans la soirée du 23 novembre 2020, de migrants alors rassemblés place de la République à Paris. Des tentes y avaient été installées par des associations, afin d’occuper la place de la République sous la forme d’un campement éphémère en réaction à l’évacuation, intervenue quelques jours plus tôt, d’un campement situé à Saint Denis. Face à cette action de revendication qui avait pour but d’appeler les autorités préfectorales à reloger dignement les migrants chassés de leur campement, les forces de l’ordre ont procédé à la dispersion du rassemblement par l’usage excessif de la force. Les tentes ont ainsi été arrachées, de nombreux migrants frappés à coups de matraque, la foule dispersée à l’aide de gaz lacrymogènes.

Le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé avoir saisi l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) suite à la publication sur les réseaux sociaux de vidéos montrant les images des actes de violence extrême commis par la police, procédure excluant toutefois la responsabilité de la préfecture de police ayant ordonné l’intervention. Or, si des enquêtes vont pouvoir être menées sur la base de ces vidéos documentant les abus commis par les forces de l’ordre, l’identification des agents responsables de ces abus a vocation à devenir particulièrement difficile.

Ainsi, malgré la mise en garde du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies et la vaste opposition exprimée par la société civile, la proposition de loi relative à la sécurité globale présentée par la majorité présidentielle a été adoptée le mardi 24 novembre après son examen en première lecture par l’Assemblée nationale. Or, plusieurs de ses dispositions reflètent une dérive autoritaire particulièrement alarmante des politiques françaises. L’article 24 du texte prévoit en effet de pénaliser la diffusion d’images “du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police”.

Ce texte, qui vise à protéger les forces de l’ordre, vient non seulement porter une atteinte disproportionnée au droit à la liberté d’expression et à la protection de la liberté de la presse, mais risque également d’entériner une véritable politique de l’impunité des forces de l’ordre.

Bien qu’un critère d’intentionnalité ait été ajouté à la disposition afin d’en faciliter son adoption - il faudra établir que l’image a été diffusée « dans le but qu’il soit porté atteinte à [l’]intégrité physique ou psychique » du policier - celui-ci n’ayant pas été explicité, il laisse craindre une forme d’autocensure de la part des témoins de violences policières et en particulier des journalistes dont le travail de documentation des abus commis par les forces de l’ordre, notamment au cours des manifestations, est essentiel au contrôle démocratique légitime des institutions publiques et s’inscrit dans le droit de défendre les droits humains.

Or, plusieurs journalistes ayant filmé les évènements du 23 novembre ont également été victimes de violences de la part des agents de police. Le journaliste Rémy Buisine a ainsi rapporté sur les réseaux sociaux avoir été victime de trois agressions ce soir-là, par le même policier. Le 17 novembre 2020, à l’occasion d’un rassemblement contre la loi dite de « sécurité globale », le journaliste avait déjà été violenté, de même que cinq autres journalistes dont une photographe qui a été placée en garde à vue.

L’OMCT appelle les autorités françaises à garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique ainsi que le droit à la liberté d’expression de tous les journalistes et défenseurs des droits humains et à mettre un terme à toute forme d’intimidation et de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à leur encontre.

Six mois après le décès par asphyxie de George Floyd aux États-Unis, révélé par une vidéo montrant un policier maintenir son genou sur la gorge de M. Floyd durant plus de huit minutes, l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale semble ignorer les revendications de transparence largement exprimées depuis par la population. L’OMCT s’inquiète particulièrement des conséquences de ce texte en ce que la restriction du contrôle des activités de la police risque d'aggraver leurs violations et faire obstacle aux sanctions des agents de police qui se rendraient responsables d’actes de violence.

Ainsi, l’OMCT demande aux autorités françaises de retirer l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, en ce qu’elle n’apparait pas conforme aux droit et libertés garantis par la Constitution et par les normes internationales relatives au droit à la liberté d’expression.

L’OMCT rappelle par ailleurs que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a déclaré, le 22 juillet 2020, la violation par la France de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants) en raison des conditions d’existence dégradantes de demandeurs d’asile contraints de vivre dans la rue à défaut de « prise en charge matérielle et financière prévue par le droit national » et exhorte les autorités françaises à prendre les mesures nécessaires à la protection de la dignité des personnes migrantes se trouvant sur son territoire.

L'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) est la principale coalition mondiale d'ONG luttant contre la torture et les mauvais traitements. Elle compte plus de 200 membres dans plus de 90 pays. Son secrétariat international est basé à Genève, en Suisse.

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