Éthiopie
15.05.23

Éthiopie : Impunité des actes de torture pendant la guerre au Tigré

Lors de sa 76e session, les 3 et 4 mai 2023, le CAT a examiné le deuxième rapport périodique de l’Éthiopie. Les rapporteurs sur le pays étaient MM. Sébastien Touzé et Todd Buchwald.

La délégation du pays était menée par M. Alemante Agidew, ministre d’État à la Division juridique du ministère de la Justice.

Le Comité a salué les efforts d’auto-critique de l’Éthiopie dans son rapport.

Voici les principaux points évoqués.

Le CAT a fait part de ses craintes quant aux termes juridiques utilisés dans les rapports des ONG, tels que « crimes contre l’humanité » et « nettoyage ethnique », qui témoignent de la gravité des violences commises par l’armée nationale éthiopienne dans la région du Tigré. Le Comité s’est aussi dit préoccupé par l’exploitation sexuelle des filles et le recrutement des garçons dans les groupes armés lors de ce confit. Il a en outre été surpris par le refus des autorités éthiopiennes de coopérer avec la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie, formée en 2021 par le Conseil des droits de l’homme pour enquêter sur les allégations de violations des droits humains perpétrées depuis que le conflit a commencé dans le nord du pays en novembre 2020.

Le processus en cours de justice transitionnelle a aussi suscité des questions par rapport à la participation limitée de la société civile et au manque d’inclusion des victimes de torture dans le dialogue national. Les experts du CAT ont souligné que ce processus devait exclure toute amnistie, assurer la reddition de comptes, l’octroi de réparations aux victimes, le soulagement des souffrances et la guérison, et comprendre des garanties de non-répétition. Cependant, la réconciliation nationale n’est pas possible si les ONG et la Commission internationale d’enquête continuent de faire face à des difficultés pour accéder aux centres de détention.

Le Comité a exprimé son inquiétude quant à l’imprescriptibilité des actes de torture. En vertu de la législation nationale, ces actes ne font pas l’objet d’un délai de prescription uniquement lorsqu’ils sont constitutifs d’un crime contre l’humanité. Le CAT a également évoqué ses craintes quant au recours à la torture pour obtenir des aveux, pourtant contraire à la Constitution. L’article 31 du Code de procédure pénale demeure ambigu à ce sujet, en interdisant toute « incitation, menace, promesse ou autre méthode inappropriée » par la police, dans mentionner explicitement la torture.

Enfin, le CAT s’est inquiété de la persécution par le gouvernement de défenseurs des droits humains, de journalistes et d’autres voix dissidentes, en particulier les acteurs de la société civile qui ont participé à l’examen de l’Éthiopie lors de la 76e session du Comité.

Les recommandations du CAT sont disponibles ici.

Recommandations de suivi

L’État partie devrait fournir avant le 12 mai 2024 des informations sur la mise en œuvre des recommandations portant sur :

  • les allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le contexte du conflit armé ;
  • la mise en œuvre de la justice transitionnelle, qui doit impliquer sérieusement les populations touchées par le conflit, en particulier les victimes et leurs familles ;
  • les statistiques compilées, ventilées et analysées concernant le suivi de la mise en œuvre de la Convention d’une façon mieux ciblées et coordonnée ;

Activités liées à l’OMCT : Mission préparatoire du CAT en Éthiopie

Quatre ans après la dernière visite d’un délégué de l’OMCT en Éthiopie en février 2019, Isidore Ngueuleu, conseiller principal en droits humains pour l’Afrique, a réalisé une mission préparatoire en Éthiopie du 20 au 26 février 2023, afin d’aider les OSC à rédiger leur rapport alternatif en vue du deuxième examen du pays lors de la 76e session du CAT.

À cette fin, un atelier préparatoire s’est tenu les 23 et 24 février à Addis-Abeba. Il a rassemblé une dizaine d’OSC éthiopiennes venant de toutes les régions du pays et œuvrant dans divers domaines de défense des droits humains, y compris la lutte contre la torture, la violence faite aux femmes, et la protection des enfants et des personnes présentant un handicap. Ce travail a été réalisé en présence et avec la contribution d’un représentant de la Commission éthiopienne des droits humains. Pendant l’atelier, les discussions ont surtout porté sur l’analyse du cadre législatif et institutionnel pour combattre la torture, et sur la situation réelle de sa mise en œuvre à l’heure actuelle.

En plus de participer à cet atelier, le délégué de l’OMCT s’est entretenu avec le commissaire chargé des droits civils et politiques au sein de la Commission éthiopienne des droits humains et avec des OSC. Tous ont fait part de leurs craintes quant à la situation précaire des défenseurs des droits humains et à l’espace civique qui se réduit.

Lire le rapport alternatif des ONG adressé au CAT.