République démocratique du Congo
14.07.14
Interventions urgentes

Tentative d'assassinat de l'épouse d'un policier en fuite poursuivi dans l'affaire Chebeya-Bazana

Paris-Genève, le 14 juillet 2014. Alors quetoute tentative de faire la lumière sur le double assassinat de défenseurs desdroits de l'Homme en 2010 semble bloquée en RDC et qu'une plainte a été déposéepar la FIDH et les familles des victimes au Sénégal dans le cadre de la mêmeaffaire, l'épouse d’un policier accusé et témoin du crime a fait l'objet d'une tentative d'enlèvement et d'assassinat àLumbumbashi. L’Observatoire pour la protection desdéfenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la FIDH et de l’OMCT,appelle vivement la justice congolaise à faire toute la lumière sur cettetentative d'intimidation visant à empêcher les témoins de parler.


Le 5 juillet 2014, l'épouse de Paul Mwilambwe, ancien policier, a étéagressée, selon son témoignage, par deux autres anciens policiers, qui, aveclui, ont été condamnés à mort par contumace en juin 2011 par un tribunalmilitaire pour l'assassinat de MM. Floribert Chebeya, directeur exécutifde la Voix des sans voix (VSV) et membre de l’Assemblée générale de l’OMCT, et FidèleBazana, membre de la VSV.

Floribert Chebeya

(c) OMCT

Selon Me Timothée Mbuya de l’ONG Justicia asbl, peu avant, la victimeavait été contactée au téléphone par Jacques Mugabo et Christian Ngoy KengaKenga, deux proches du général John Numbi. Les deux anciens policiers luidemandaient de convaincre Paul Mwilambwe de revenir au pays. MM. Mwilambwe,Mugabo et Ngoy sont tous les trois en fuite depuis le double assassinat. Au vude ces informations, ces deux derniers se trouvent manifestement en RDC etcirculent en toute liberté bien que condamnés lors du procès en premièreinstance sur le double assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana en2011.

Alors sur le chemin de retour du marché, l'épouse de Paul Mwilambwe aété agressée par Jacques Mugabo qui l'a renversée d'un coup de pied, luiarrachant son sac et l'a menacée de mort si elle ne se rendait pas. Celle-cis'est alors mise à crier au secours attirant l'attention du public alentour. M.Mugabo aurait alors essayé de dégainer sans succès son arme et, finalement, ila lâché prise pour courir avec le sac et s'engouffrer dans le véhicule d'unepersonne identifiée par la victime comme le major Thierry Mande, secrétaireparticulier du général Numbi.

L’ONG Justicia a confirmé laprésence de MM. Mugabo et Ngoy à Lubumbashi depuis quelque temps. Selon lesinformations recueillies, au lendemain de l'annonce de l'action menée auSénégal dans le cadre de l'affaire Chebeya/Bazana, l'épouse de Paul Mwilambwe aindiqué avoir reçu deux coups de téléphone de John Numbi et Christian Ngoy enpersonne et, depuis, elle fait l'objet de filatures et de surveillance discrètejour et nuit.

En fuite au Sénégal, Paul Mwilambwe avait témoigné devant la caméra de France 24 et dénoncé, outre saparticipation, le rôle et l’implication de hauts gradés de la policecongolaise, dont le général John Numbi, dans l’assassinat et la disparitionforcée des deux défenseurs et fait l'objet d'une plainte déposée par les famillesdes deux défenseurs au Sénégal sur la base de la compétence universelle.

L'Observatoire craint que cette tentative d'agression ne vise qu'àintimider Paul Mwilambwe pour qu'il ne témoigne pas du rôle et de l’implicationdu général John Numbi dans l'assassinat des deux défenseurs et appelle lesautorités à :

- garantir la sécurité des témoins et de leurs familles ;

- diligenter une enquête impartiale et indépendante sur cette tentatived'agression et

- procéder à l'arrestation immédiate de Jacques Mugabo et Christian NgoyKenga Kenga.

Rappel des faits :

Dans la nuit du 1er au 2 juin 2010, le corps de M. Chebeyaétait retrouvé dans sa voiture à la sortie de Kinshasa. Le corps de M. Bazana,qui l'accompagnait, n’a jamais été retrouvé.

Le 23 juin 2011, la Cour militaire de Kinshasa-Gombereconnaissait la responsabilité civile de l'Etat congolais dans l'assassinat M.Chebeya, ainsi que dans l'enlèvement et la détention illégale de M. Bazana parplusieurs de ses agents. Elle condamnait cinq des huit policiers prévenus, dontquatre à la peine capitale et un à la prison à perpétuité.

Une mission d’observation judiciaire de l’Observatoire surle procès mené devant la Cour militaire avait révélé de nombreuxdysfonctionnements qui empêchaient la justice d’établir les responsabilités dece double assassinat. En effet, des hauts responsables de la police, dont legénéral John Numbi, suspecté d’être le commanditaire des crimes, ne figuraientpas sur la liste des prévenus. Cette situation d’impunité avait jeté de sérieuxdoutes sur la pleine indépendance de la justice dans cette affaire. Le rapportde la mission a notamment appelé les autorités à ré-ouvrir l’enquête,assurer l’indépendance, l’exhaustivité et l’impartialité de la procédurejudiciaire, et à traduire en justice tous les responsables devant un tribunalcompétent, indépendant et impartial. Trois des condamnés à mort étaient alorsen fuite, et trois policiers, dont l'instruction avait pourtant révélé le rôledans la disparition d'éléments de preuve, ont été acquittés.

Le 7 mai 2013, la Haute cour militaire, saisie en tant quejuridiction d'appel, s'est déclarée incompétente pour statuer surdeux questions préjudicielles soulevées par les parties civiles et adécidé de saisir la Cour suprême de justice qui fait office de Courconstitutionnelle, suspendant l'examen de l'appel sans fixer de nouvelleaudience.

Pour plusd'informations, voir le rapportd'observation judiciaire de l'Observatoire du 24 juin 2011.