Burkina Faso
02.12.25
Interventions urgentes

Burkina Faso : Condamnation et poursuite de la détention arbitraire de l’avocate et défenseure Ini Benjamine Esther Doli

© Ini Benjamine Esther Doli

APPEL URGENT - L’OBSERVATOIRE

BFA 003 / 0925 / OBS 054.1
Condamnation / Détention arbitraire /
Restriction à la liberté d’expression
Burkina Faso
2 décembre 2025

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, un partenariat de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a reçu de nouvelles informations et vous prie d’intervenir sur la situation suivante au Burkina Faso.

Description de la situation :

L'Observatoire a été informé de la condamnation et de la poursuite de la détention arbitraire de Maître Ini Benjamine Esther Doli, avocate et défenseure des droits humains. Ex-substitute du Procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Bobo-Dioulasso, ex-Commissaire du gouvernement du Tribunal administratif de Ouagadougou nommée en mai 2019, elle est inscrite au Tableau de l'Ordre des avocats du Burkina Faso depuis juillet 2024.

Le 10 novembre 2025, lors d’une audience à huis clos, le tribunal de grande instance de Ouagadougou a reconnu Benjamine Esther Ini Doli coupable d’« outrage au chef de l’État » (article 352-2 du Code pénal) et « entreprise de démoralisation des forces armées » (article 312-11 du Code pénal) pour des propos diffusés sur son compte Facebook, et l’a condamnée à un an de prison ferme, assortie d’une amende de 1 000 000 F.CFA (approximativement 1525 Euros). Maître Doli a fait appel de cette décision. Elle a également été relaxée de la charge de « trahison » (article 311-2 du Code pénal) qui pesait également contre elle, le procureur estimant l’infraction non constituée sur ce point. A l’heure de publication de cet appel urgent, elle reste détenue au quartier féminin de la prison civile de Ouagadougou, où elle a accès à ses avocats, à sa famille, et aux soins nécessaires.

L’Observatoire rappelle que Maître Ini Benjamine Esther Doli a été enlevée à son domicile à Ouagadougou, dans la nuit du 31 août au 1er septembre 2025, vers 1h30, par des individus armés « se présentant comme étant de la gendarmerie nationale », peu après son retour au pays suite à un voyage dans un pays étranger. Lors de son arrivée, elle avait fait une publication sur Facebook dans laquelle on peut lire : « Brussel Airlines vient précisément d’atterrir à l'aéroport de Ouagadougou [...]. Feu Thomas SANKARA a fait sa révolution mais nous n'avions rien vu de tout ce qui se passe horriblement aujourd'hui ! Lui au moins, il avait créé des tribunaux populaires pour juger les personnes soupçonnées d'avoir commis des infractions mais ne se substituait pas à la justice pour faire du n'importe quoi et brutaliser son peuple ». Cette publication fut sa dernière avant son enlèvement.

À travers les réseaux sociaux, Me Ini Benjamine Esther Doli dénonçait régulièrement les atteintes au droit fondamental à la liberté d’expression, en mettant en lumière l’intimidation, la séquestration et l’enlèvement de citoyen·es, notamment ceux et celles qui défendent la justice et les droits humains, et apportait son soutien aux victimes de violences et de violations des droits fondamentaux. Elle dénonçait aussi les dysfonctionnements du système judiciaire burkinabè en pointant la violation des droits à la sécurité, à la liberté personnelle, et au recours effectif à la justice. Elle expliquait notamment que le système judiciaire burkinabè souffrait de lenteurs et d’entraves constantes à l’indépendance de la magistrature et qu’il était crucial de renforcer son intégrité et son autonomie, ainsi que de protéger ceux et celles qui œuvrent à défendre les droits humains. Sur sa page Facebook, on peut aussi lire, « C’est trop lâche et même trop, trop lâche pour ne pas dire immensément lâche, de se servir des armes achetées par l’argent du contribuable pour intimider un peuple, le museler totalement, l’enlever, le séquestrer et par-dessus tout, d’empêcher la justice de faire librement son travail. Quelle terreur inouïe ! »

Le 4 septembre 2025, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Burkina Faso avait été informé de l’ouverture imminente d’une procédure à l’encontre de Maître Doli. Et le 6 septembre, le procureur du Faso près le tribunal de grande instance de Ouagadougou avait, dans un communiqué, informé de l’ouverture d’une enquête dès le 4 septembre, contre Maître Doli en raison des publications sur son profil Facebook pour des faits présumés de « trahison » (article 311-2 du Code pénal), « outrage au chef de l’État » (article 352-2 du Code pénal) et « entreprise de démoralisation des forces armées » (article 312-11 du Code pénal).

L’Observatoire rappelle que Me Guy Hervé Kam, avocat et défenseur des droits humains, cofondateur du Balai citoyen, a été poursuivi dans les mêmes conditions suite à son arrestation le 24 janvier 2024 à l’aéroport international de Ouagadougou par la Sûreté nationale, alors qu’il rentrait d’un voyage professionnel. Relâché puis arrêté de nouveau à deux reprises, il est, à la date de publication de cet appel urgent, toujours inculpé et détenu arbitrairement pour « complot et association de malfaiteurs ».

L’Observatoire rappelle que ces enlèvements et détentions arbitraires s’inscrivent dans un contexte de musellement de la société civile et de répression des défenseur·es des droits humains et des journalistes au Burkina Faso, en particulier celles et ceux qui dénoncent les manquements des autorités militaires au pouvoir dans le pays. Au cours des derniers mois, plusieurs défenseur·es des droits humains et journalistes ont été victimes d’enlèvements ou de disparitions forcées au Burkina Faso. Ainsi, Amadou Sawadogo, cadre du mouvement citoyen Balai citoyen, porté disparu le 21 mars 2025, a été libéré le 26 mai 2025. Miphal Ousmane Lankoandé, secrétaire exécutif du même mouvement, enlevé le 30 mars 2025 est toujours porté disparu. Les journalistes Boukary Ouoba, Luc Pagbeguem et Guezouma Sanogo ont été enlevés le 24 mars 2025 ; Boukary Ouoba et Luc Pagbeguem ont été libérés le 17 juillet 2025 et Guezouma Sanogo a été libéré le 21 juillet 2025. En revanche, Atiana Serge Oulon, journaliste d’investigation et directeur de publication du bimensuel l’Événement, journal d’investigation de référence au Burkina Faso, et enlevé le 24 juin 2024 est toujours porté disparu.

L’Observatoire condamne la condamnation et la poursuite de la détention arbitraire de Me Ini Benjamine Esther Doli, qui ne semblent viser qu’à la punir pour l’exercice de sa liberté d’expression et ses activités légitimes de défense des droits humains.

L’Observatoire demande aux autorités militaires au pouvoir au Burkina Faso de procéder à la libération immédiate et inconditionnelle de Maître Ini Benjamine Esther Doli, et de mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris judiciaire, à son encontre et celle de l’ensemble des défenseur·es des droits humains dans le pays.

L’Observatoire appelle également les autorités militaires au pouvoir au Burkina Faso à garantir les droits à la liberté d’expression et d’association, tels que consacrés par les standards internationaux relatifs aux droits humains, et particulièrement aux Articles 19 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) des Nations unies, et aux Articles 9 et 10 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, ainsi que la Constitution et la Charte de la transition du Burkina Faso.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux membres des autorités militaires actuellement au pouvoir au Burkina Faso en leur demandant de :

  1. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique de Me Ini Benjamine Esther Doli, et de l’ensemble des défenseur·es des droits humains au Burkina Faso ;
  2. Libérer immédiatement et sans conditions Me Ini Benjamine Esther Doli et l’ensemble des défenseur·es des droits humains arbitrairement détenu·es dans le pays;
  3. Ouvrir immédiatement une enquête pour déterminer les circonstances et l’identité des auteurs de l’enlèvement et de la disparition forcée de Me Ini Benjamine Esther Doli, et de l’ensemble des défenseur·es des droits humains ayant fait l’objet de disparition forcée ; et
  4. Assurer le strict respect des libertés fondamentales et en particulier garantir en toutes circonstances le respect du droit à la liberté d’expression et d’association, tels que garantis par le droit international des droits humains, en particulier par les Articles 19 et 22 du PIDCP et les Articles 9 et 10 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples auxquels le Burkina Faso est partie.

Adresses :

• Capitaine Ibrahim Traore, Président du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration II (MPSR II), X : @CapitaineIb22
• SEM. Jean-Emmanuel Ouédraogo, Premier Ministre du Burkina Faso, X : @J_E_Ouedraogo
• Me Edasso Rodrigue Bayala, Ministre de la Justice, des Droits humains, chargé des Relations avec les institutions, Garde des Sceaux du Burkina Faso, Email : info@justice.gov.bf
• SEM. Jean Marie Karamoko Traore, Ministère des Affaires Étrangères, de la Coopération Régionale et des Burkinabè de l’Extérieur ; Email : mae@diplomatie.gov.bf ; X : @JeanMarieTraore
• Commission nationale des droits humains du Burkina Faso, Email : cndh@cndhburkina.bf , X : @BurkinaCndhX
• S.E. Mme Sabine Bakyono Kanzie, Mission permanente du Burkina Faso auprès de l’Office des Nations unies et des autres organisations internationales à Genève, Email : secretariat@missionburkinafaso-ch.org / info@ambaburkinafaso-ch.org
• M. Oumarou Ganou, Conseiller des affaires étrangères, Ambassadeur, Représentant permanent du Burkina Faso auprès de l’Organisation des Nations unies à New York (États-Unis d’Amérique), Mission permanente du Burkina, Email : bfapm@un.int
• Mission Permanente du Burkina Faso auprès de l’Union africaine à Addis Abeba, Éthiopie / Email : ambaburkina.addis@diplomatie.gov.bf / Ambaburkina.addis@gmail.com

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques du Burkina Faso dans vos pays respectifs.

***
Paris-Genève, le 2 décembre 2025

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire partenariat de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseur·es des droits humains victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseur·es des droits humains mis en œuvre par la société civile internationale.

Pour contacter l’Observatoire, appeler La Ligne d’Urgence :
· E-mail : alert@observatoryfordefenders.org
· Tel FIDH : +33 1 43 55 25 18
· Tel OMCT : + 41 22 809 49 39