Maroc et Sahara occidental
28.01.16
Interventions urgentes

Harcèlement judiciaire contre MM. Maâti Monjib, Hisham Almiraat, Hicham Mansouri, Mohamed Essabr, Abdessamad Ait Aicha, Rachid Tarik et Mme Maria Moukrim

Nouvellesinformations

MAR 003 /1015 / OBS 088.4

Harcèlementjudiciaire

Maroc

28janvier 2016


L’Observatoire pour laprotection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de laFédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et del’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a reçu de nouvellesinformations et vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situationsuivante au Maroc.

Nouvellesinformations :

L'Observatoire a été informépar des sources fiables du report du procès de M. Maâti Monjib, historien, journaliste etprésident de l’Association « Freedom Now » pour la liberté d’expression auMaroc et ancien président du Centre Ibn Rochd d’études et de communication, M. HishamAlmiraat, président de l’Association des droits numériques (ADN), M. HichamMansouri, chargé de projet à l’Association marocaine pour le journalismed’investigation (AMJI), M. Mohamed Essabr, président de l’Associationmarocaine d’éducation de la jeunesse (AMEJ), M. Abdessamad Ait Aicha,ancien coordinateur du projet de formation du Centre Ibn Rochd, journaliste etmembre de l’AMJI, M. Rachid Tarik et Mme Maria Moukrim,respectivement président et ancienne présidente de l’AMJI.

Selon les informations reçues,le 27 janvier 2016, la Cour de première instance de Rabat a reporté au 23 mars2016 le procès contre les sept défenseurs marocains. Parmi les sept accusés,seuls quatre étaient présents lors de l'audience. L'Observatoire avait mandatéMe Pierre-Philippe Boutron-Marmion, avocat au Barreau de Paris, pour observerle déroulement de l'audience et rencontrer les différents acteurs de laprocédure.

Cinq de ces sept défenseurs, àsavoir MM. Maâti Monjib, Hicham Mansouri, Hisham Almiraat, Mohamed Essabr etAbdessamad Ait Aicha, sont poursuivis pour « atteinte à la sécurité de l’État »en raison de leurs activités de défense des droits humains menées au sein del'ADN, de l'AMJI, de l'AMEJ et du Centre Ibn Rochd d'études et decommunication. Ils risquent entre un et cinq ans d'emprisonnement, sur la basede l'article 206 du Code pénal marocain. Parmi ces défenseurs, certains sontnotamment poursuivis pour avoir animé des formations portant sur l’utilisationde l’application « Story Maker »[1]dispensées par le Centre Ibn Rochd et l’AMEJ - en partenariat avec l’ONGnéerlandaise « Free Press Unlimited ».

Les deux autres défenseurs, M.Rachid Tarik et Mme Maria Moukrim, sont tous deux accusés d’avoirreçu un financement de l’étranger pour le compte de l'AMJI, sans en avoirnotifié la réception au secrétariat général du gouvernement. Si les chargessont confirmées, ils risquent une amende pouvant aller jusqu'à 10 000 dirhams(environ 1,000 euros), sur la base de l'article 8 de la Loi de 1958réglementant le droit d'association.

L’Observatoirecraint que les sept défenseurs ne soient visés par de telles poursuites qu'enraison de leurs activités de défense des droits de l'Homme, lesquelles sontconsacrées et protégées par les instruments internationaux relatifs aux droitsde l'Homme, ratifiés par le Maroc .

Rappel des faits :

Endécembre 2014, le Centre Ibn Rochd d'études et de communication a étéfermé, suite à la décision des autorités d’interdire ses activités.

Le 24septembre 2014, M. Hicham Mansouri a été attaqué de nuit par deux hommesinconnus dans la rue, quelques minutes après une réunion avec son collègue etdéfenseur des droits de l’homme, M. Maâti Monjib.

Le 17 mars2015, au moins dix policiers en tenues civiles ont forcé la porte d’entrée dela résidence de M. Hicham Mansouridans le quartier Adgal à Rabat. Aucunmandat d’arrêt n’a été présenté au moment de l’arrestation. M. Mansouri a étépassé à tabac, déshabillé de force, filmé puis arrêté avant d’être placé endétention dans un poste de police de la ville. Lors de son interrogatoire, M.Mansouri a été interrogé sur ses relations avec M. Maâti Monjib. Le 30mars 2015, le Tribunal de première instance de Rabat a condamné M. Mansouri àune peine ferme de dix mois de prison et à une peine d’amende de 40 000 dirhams(env. 3 800 euros) pour « complicité d’adultère » aux termes desarticles 490 et 491 du Code pénal marocain. Les avocats de M. Mansouri ontinterjeté appel de la décision, estimant que les éléments constitutifs del’infraction n’étaient pas réunis en l’espèce. Le 27 mai 2015, la chambred'appel du Tribunal de première instance de Rabat a cependant confirmé cettecondamnation. De nombreuses irrégularités ont été constatées tout au long duprocès, en ce que les témoins appelés à comparaître par la défense n’auraientpas été entendus par la cour et les éléments de preuve fournis par le ministèrepublic auraient été insuffisants pour établir l’infraction.

Le 13 août2015, M.Abdessamad Ait Aicha a été interrogé par la Brigade nationale de la policejudiciaire (BNPJ) de Casablanca sur ses relations avec M. Maâti Monjib.

Parailleurs, le 8 septembre 2015, M. Hisham Almiraatet Mme Karima Nadir,vice-présidente de l’ADN, ont été convoqués au siège de la Brigadenationale de la BNPJ à Casablanca, où ils ont subi un interrogatoire à proposdes activités de l’ADN et de leur relation avec Privacy International (PI), uneONG britannique et partenaire de l’ADN. Cet interrogatoire faisait suite à uneplainte déposée par le ministère de l’Intérieur contre un rapport de PI publiéle 1er avril 2015, intitulé « Les yeux du pouvoir », portant sur lasurveillance électronique au Maroc[2].Lors de cet interrogatoire, M. Almiraat et Mme Nadir ont été accusés de «dénonciation calomnieuse », « dénigrement des efforts de l’Etat » et « outrageà corps constitué ». Tous deux ont ensuite été interdits de sortie deterritoire sans en être formellement informés, apprenant l’existence de lamesure lors de déplacements à l’aéroport.

Le 19octobre 2015 au matin, M. Maâti Monjib a été interrogé par la BNPJ dans lecadre d’une enquête préliminaire sur les activités du Centre Ibn Rochd d’étudeset de communication – dont il était président avant sa fermeture en décembre2014. Le 7 octobre au matin, ce dernier avait été empêché d’embarquer à bordd’un avion à l’aéroport de Rabat-Salé, alors qu’il devait se rendre à Oslo pourun colloque universitaire. La police aux frontières lui a ainsi signifié qu’il étaitinterdit de quitter le territoire depuis le 10 août 2015, sans plusd’explications. Le 29 octobre 2015, son interdiction de quitter le territoire aété finalement levée suite à une grève de la faim de 24 jours. Précédemment, le16 septembre 2015, M. Monjib avait été arrêté à l’aéroport Mohamed V deCasablanca alors qu’il devait se rendre à Barcelone pour une conférence sur lethème des médias et de la transition politique, et interdit de sortie duterritoire en vertu d’une interdiction de voyager émise par le parquet[3].L'avant-veille, M. Monjib avait avait subi un interrogatoire de trois heures ausiège de la BNPJ à propos des formations portant sur l’utilisation del’application « Story Maker ». Cet interrogatoire s’était tenu dans le cadre del’enquête préliminaire susmentionnée. M. Monjib avait dû faire face à desquestions accusatrices liées notamment à un prétendu « ébranlement del’allégeance des citoyens à l’État et aux institutions ».

De la mêmemanière, au cours du mois d’août, M. Abdessamad Ait Aicha a également étéinterdit de sortie de territoire sans justification officielle, alors qu’ils’apprêtait à embarquer à l’aéroport Mohamed V à destination de la Tunisie.Quelques jours auparavant, il avait subi un interrogatoire similaire dans le cadrede la même enquête préliminaire.

Le 19 novembre 2015, la Cour de première instance de Rabatreportait au 27 janvier 2016 le procès des sept défenseurs. MM. Monjibet Ait Aicha n’étaient pas présents lors de l'audience du 19 novembre. Letribunal n’a pas non plus donné l’ordre à la police de présenter à la cour M.Hicham Mansouri, qui purgeait une peine de prison de dix mois à la prison Zakide Salé.

Le 17 janvier 2016 à 6h dumatin, M. Hicham Mansouri a été libéré de la prison Zaki de Salé au terme de sapeine.

Actionsrequises :

L’Observatoirevous prie de bien vouloir écrire aux autorités marocaines en leurdemandant de :

i. Garantir en toutes circonstancesl’intégrité physique et psychologique de MM. Maâti Monjib, HichamMansouri, Hisham Almiraat, Mohamed Essabr, Abdessamad Ait Aicha, Rachid Tariket Mme Maria Moukrim, ainsi quede l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme au Maroc ;

ii. Abandonner toutes les charges àl'encontre de MM.Maâti Monjib, Hicham Mansouri, Hisham Almiraat, Mohamed Essabr, Abdessamad AitAicha, Rachid Tarik et Mme MariaMoukrim en ce qu'elles ne visent qu'à sanctionner ces derniers en raison deleurs activités de défense des droits de l'Homme ;

iii. Mettre un terme aux actes deharcèlement à l'encontre de MM. Maâti Monjib, Hicham Mansouri, HishamAlmiraat, Mohamed Essabr, Abdessamad Ait Aicha, Rachid Tarik et Mme Maria Moukrim, ainsique l'ensemble des défenseurs des droits de l'Homme au Maroc;

iv. Seconformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits del’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998,et plus particulièrement :

- son article 1 qui stipule que “chacun a le droit,individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protectionet la réalisation de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertésfondamentales aux niveaux national et international” ;

- son article 6 qui stipule que “chacun a ledroit, individuellement ou en association avec d’autres: a) De détenir,rechercher, obtenir, recevoir et conserver des informations sur tous les droitsde l’homme et toutes les libertés fondamentales en ayant notamment accès àl’information quant à la manière dont il est donné effet à ces droits etlibertés dans le système législatif, judiciaire ou administratif national ; b)Conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme etautres instruments internationaux applicables, de publier, communiquer à autruiou diffuser librement des idées, informations et connaissances sur tous lesdroits de l’homme et toutes les libertés fondamentales ; c) D’étudier,discuter, apprécier et évaluer le respect, tant en droit qu’en pratique, detous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales et, par cesmoyens et autres moyens appropriés, d’appeler l’attention du public sur laquestion” ;

- et son article 12.2 qui prévoit que “l’Etatprend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentesprotègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, detoute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure,pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime desdroits visés dans la présente Déclaration”.

v. Plusgénéralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle desdroits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs auxdroits de l’Homme ratifiés par le Maroc.

Adresses:

· Son Excellence Abdel-IlahBenkiran, Premier Ministre du Maroc. Fax : +212 37 76 99 95/37 76 86 56

· Son Excellence SalaheddineMezouar, Ministre des affaires étrangères et de la co-opération. Fax : +212 -37-76-55-08 / 37-76-46-79. Email : ministere@maec.gov.ma

· Son Excellence El Mustafa Ramid,Ministre de la justice - Place El Mamounia, Rabat, Morocco. Fax : +212 37 72 6856. Email : ccdh@ccdh.org.ma

· Représentant Permanent du Royaumedu Maroc auprès de l’Office des Nations Unies à Genève et des autres OrganisationsInternationales en Suisse - 18a Chemin François Lehmann, 1218 Grand Saconnex.Téléphone :+ (41) 022 791 81 81. Fax : + (41) 022 791 81 80. Email : mission.maroc@ties.itu.int

· S. E.M. ALEM Menouar, Ambassadeur, Mission du Royaume du Maroc auprès de l’Unioneuropéenne. Avenue Franklin Roosevelt 2, 1050 Bruxelles, Belgique. Téléphone:+32 26263410 / 26263414. Email : mission.maroc@skynet.be

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques du Maroc dans vos pays respectifs.

[1] L’application« Story Maker » permet la réalisation de reportages photo, audio etvidéo, à partir d’un Smartphone Android.

[2] Lerapport présente des témoignages de journalistes, de militants des droits del’Homme dont M. Almiraat, et d’activistes sur les réseaux sociaux qui sedisent « victimes d’espionnage numérique » de la part des autoritésmarocaines.

[3] Le 31 août, la policedes frontières du même aéroport lui avait signifié qu’il était « recherché pouratteinte à la sécurité de l’État ».