Guinée
21.07.20
Interventions urgentes

Poursuite du harcèlement judiciaire à l’encontre de M. Ibrahima Diallo

Nouvelles informations

GIN 001 / 0320 / OBS 024.2
Harcèlement judiciaire

République de Guinée

21 juillet 2020

L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un partenariat de la FIDH et de lOrganisation mondiale contre la torture (OMCT), a reçu de nouvelles informations et vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante en République de Guinée.

Nouvelles informations :

L’Observatoire a été informé de sources fiables de la poursuite du harcèlement judiciaire à l’encontre de M. Ibrahima Diallo, coordinateur de Tournons la page (TLP) en Guinée[1] et responsable des opérations du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC)[2].

Selon les informations reçues, le 17 juillet 2020, deux pick-up dans lesquels se trouvaient des policiers cagoulés et lourdement armés se sont présentés au domicile de M. Ibrahima Diallo dans le but de l’arrêter. Ce dernier étant absent, ils ont déposé auprès de son épouse une convocation lui intimant de se présenter à la Direction centrale de la police judiciaire de Conakry dès réception de ladite convocation pour « trouble à l’Etat » en vertu de l’article 561 du Code pénal guinéen, une incrimination qui en elle-même ne constitue pas une infraction, au regard de l’article 82 du Code de procédure pénale[3]. L’Observatoire craint que M. Diallo ne soit arrêté à tout moment.

Cette descente de police est intervenue trois jours avant une manifestation prévue le 20 juillet 2020 et organisée par le FNDC pour s’opposer au maintien au pouvoir du Président Alpha Condé pour un troisième mandat consécutif. Le 19 juillet 2020, le gouvernement guinéen a interdit cette manifestation, en invoquant l’état d’urgence sanitaire dû à la pandémie de COVID-19 et le fait que ce rassemblement n’ait été autorisé par aucune autorité administrative habilitée. Le gouvernement a par ailleurs annoncé la réquisition des forces de l’ordre afin de disperser les manifestants.

L’Observatoire dénonce la poursuite du harcèlement judiciaire à l’encontre de M. Ibrahima Diallo, qui ne vise qu’à l’intimider et à sanctionner ses activités légitimes de défense des droits humains. L’Observatoire appelle les autorités guinéennes à mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontre de M. Ibrahima Diallo ainsi qu’à celle de l’ensemble des défenseurs des droits humains dans le pays.

Rappel des faits :

Le 6 mars 2020, MM. Ibrahima Diallo et Sékou Koundouno, coordinateur du Balai citoyen Guinée[4] et responsable de la planification du FNDC, ont été arrêtés à leur domicile de Conakry par des agents des forces de sécurité portant des cagoules, avant d’être conduits à la Direction centrale de la police judiciaire de Conakry. Les deux défenseurs n’ont eu accès à leurs avocats qu’après 48 heures de détention provisoire, et ont donc été entendus dans les locaux de la police en l’absence de leurs avocats.

Le 9 mars 2020, MM. Ibrahima Diallo et Sékou Koundouno ont été déférés devant le tribunal de la commune de Dixinn, et inculpés par un juge d’instruction d’« outrage à agent », « violence et voies de faits » et « production, diffusion et mise à disposition d’autrui de données de nature à troubler la sécurité publique ou à porter atteinte à la dignité humaine ».

Le même jour, MM. Ibrahima Diallo et Sékou Koudouno ont porté plainte contre le directeur central de la police judiciaire et le commandant la brigade de répression et d’intervention, responsables de leur arrestation à domicile, pour « violences volontaires », « atteintes à la vie privée », « atteinte aux libertés individuelles », « violation de domicile » et « destruction d’édifice et de biens privés et complicité » (articles 240, 358, 643, 644, 647, et 523 du Code pénal). Les deux agents de police ont été cités à comparaître le 19 mars 2020 devant le Tribunal de première instance de Dixinn, Conakry. Ils ont cependant refusé de se présenter à l’ouverture du procès et, depuis, leur dossier n’a pas été reprogrammé.

Le 12 mars 2020, la première chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’appel de Conakry a ordonné la relaxe et remise en liberté de MM. Ibrahima Diallo et Sékou Koundouno, infirmant la décision du juge d’instruction du 6ème cabinet du Tribunal de première instance de Mafanco. Les deux défenseurs ont été effectivement libérés le lendemain, le 13 mars 2020, mais restent depuis sous contrôle judiciaire : ils doivent se présenter une fois par semaine au cabinet du juge d’instruction en charge de l’affaire.

Peu de temps avant leur arrestation, MM. Ibrahima Diallo et Sékou Koundouno avaient animé une conférence de presse à Conakry pour dénoncer les arrestations arbitraires dont sont victimes les membres du FNDC depuis octobre 2019[5].

Le 12 octobre 2019, MM. Ibrahima Diallo et Sékou Koundouno avaient été arrêtés une première fois, aux côtés de MM. Abdourahamane Sanoh, Mamadou Baïlo Barry, Alpha Soumah, Abdoulaye Oumou Sow et Mamadou Bobo Bah, alors qu’ils avaient appelé à manifester à compter du 14 octobre, pour protester contre la réforme constitutionnelle censée ouvrir la voie à un troisième mandat consécutif du Président Alpha Condé, à l’approche des élections présidentielles d’octobre 2020. Condamnés à six mois de prison ferme le 22 octobre, ils ont été placés en libération conditionnelle le 28 novembre 2019, dans l’attente de la suite de leur procès[6].

Par ailleurs, le 30 mars 2020 aux alentours de midi, quatre pick-up dans lesquels se trouvaient des agents de la police cagoulés ont encerclé le domicile de M. Ibrahima Diallo à Conakry, alors que celui-ci se trouvait devant le juge d'instruction du Tribunal de Mafanco, Conakry, dans le cadre de son contrôle judiciaire.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités guinéennes en leur demandant de :

i. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique de M. Ibrahima Diallo et de l’ensemble des défenseurs des droits humains en République de Guinée ;

ii. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontre de M. Ibrahima Diallo et de l’ensemble des défenseurs des droits humains en République de Guinée ;

iii. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement aux articles 1 et 12.2 ;

iv. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la République de Guinée.

Adresses :

· M. Alpha Condé, Président de la République de Guinée, Twitter : @President_GN @Sekhoutoureya

· M. Ibrahima Kassory Fofana, Premier Ministre, chef du Gouvernement, Twitter : @IbrahimaKFofana @PrimatureGN

· M. Mamadou Lamine Fofana, Ministre de la Justice par intérim, Garde des sceaux, Email : contact@justice.gov.gn

· M. Mouctar Diallo, Ministre de la Jeunesse et de l’emploi jeune, Mail : info@jeunesse.gouv.gn

· M. N’Famara Camara, Secrétaire général du Ministère de l’Unité nationale et de la citoyenneté, Email : jpfamara@gmail.com

· M. Ousmane Sylla, Ambassadeur de la République de Guinée à Bruxelles, Email : ambaguibruxelles@mae.gov.gn / ambaguinee.bruxelles@yahoo.fr

· Représentation permanente de la République de Guinée auprès des Nations unies à Genève, Suisse, Mail : consulat.guineegeneve@gmail.com / mission.guinea@ties.itu.int



Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la République de Guinée dans vos pays respectifs.

***

Paris-Genève, le 21 juillet 2020

Merci de bien vouloir informer lObservatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, partenariat de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseurs des droits de l’Homme mis en œuvre par la société civile internationale.

[1] Tournons La Page (TLP) est un mouvement réunissant des acteurs des sociétés civiles africaines dont l'objectif est la promotion de l’alternance démocratique en Afrique, en menant des actions pacifiques et non partisanes. Le mouvement est aujourd’hui actif dans 10 pays africains (Burundi, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Niger, RDC, Tchad, Togo).

[2] Le Mouvement FNDC désigne une série de manifestations sporadiques qui ont lieu depuis le 14 octobre 2019 en Guinée pour protester dans un premier temps contre la modification ou l'adoption d'une nouvelle constitution qui pourrait conduire le président Alpha Condé à un troisième mandat, puis contre l'arrestation et la condamnation des leaders du FNDC.

[3] L’article 82 précise en effet que la personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être entendue librement sur ces faits qu’après avoir été informée entre autres de la qualification, de la date et du lieu présumé de l’infraction qu’elle soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre, ce qui en l’espèce n’a pas été le cas.

[4] Le Balai citoyen est animé par des artistes, avocats, journalistes et étudiants pour orchestrer la mobilisation populaire en faveur de la démocratie, de la bonne gouvernance et d’un meilleur vivre-ensemble.

[5] Cf. appel urgent de l’Observatoire GIN 001 / 1019 / OBS 084, publié le 24 octobre 2019.

[6] Cf. appel urgent de l’Observatoire GIN 001 / 1019 / OBS 084.1, publié le 2 décembre 2019.