Burundi
05.04.18
Interventions urgentes

Prison à perpétuité requise pour M. Germain Rukuki détenu arbitrairement

APPEL URGENT -L'OBSERVATOIRE



Nouvelles informations

BUR001 / 0717 / OBS 081.7

Détentionarbitraire /

Harcèlementjudiciaire

Burundi

5 avril2018

L’Observatoire pour la protection desdéfenseurs des droits de l’Homme, un partenariat de l’Organisation mondialecontre la torture (OMCT) et de la FIDH, a reçu de nouvelles informations etvous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante au Burundi.

Nouvelles informations :

L’Observatoirea été informé de sources fiables de la poursuite du harcèlement judiciaire et dela mise en délibéré du procès à l’encontre de M. Germain Rukuki, employé de l’Associationdes juristes catholiques du Burundi (AJCB), président de « Njabutsa Tujane »[1], et ancien employé de l’Action des chrétiens pour l'abolition dela torture Burundi (ACAT-Burundi) arbitrairement détenu depuis le 13 juillet2017 et qui encourt une peine de prison à perpétuité.


Selon les informations reçues, le 3 avril 2018, la chambrecriminelle du Tribunal de grande instance deNtahangwa a siégé à la prison de Ngozi, où M. Rukuki est détenu, pour examinerau fond l’affaire qui oppose M. Germain Rukuki au Ministère public après deuxreports successifs.

Lesavocats de la défense ont soulevé les irrégularités de forme concernant lesnouvelles infractions d’« assassinat de militaires,policiers et civils »[2],« dégradation des édifices publics et privés »[3],et « volonté dechanger le régime élu démocratiquement »[4] retenues par leMinistère public, et prononcées lors de la dernière audience publique du 13février 2018, sans qu’elles n’aient fait l’objet d’instruction. Ces chargess’étaient ajoutées à celles « d’atteinte à la sûretéintérieure de l’État »[5]et de « rébellion »[6]pour avoir collaboré avec l’ACAT-Burundi, pesant déjà contre le défenseur (voirle rappel des faits ci-dessous).

La défense a également soulevé desirrégularités concernant les procès-verbaux d’interrogatoire élaborés par leService national de renseignement (SNR), à savoir le fait qu’il ait étéinterrogé sans l’assistance d’un avocat et que les officiers de police quil’ont interrogé ne dépendent pas du procureur général de la République[7].

La défense a demandé que cesirrégularités soient examinées et sanctionnées par une nullité avant toutedéfense au fond[8].Le tribunal a répondu qu’elles seraient examinées en même temps que le fond del’affaire et a invité le Ministère public à présenter ses arguments quant aufond de l’affaire.

Le Ministère public a accusé M.Rukuki d’être l’auteur intellectuel des infractions « d’assassinat despoliciers et des civils », « dégradations des édifices publics etprivés », « renversement d’un régime constitutionnel », et de« rébellion », sans présenter d’éléments de preuves, à l’exception dedocuments trouvés dans son ordinateur, qu’il a été contraint de signer sousmenace lors de sa détention dans le cachot du SNR.

Le Ministère public a basé son argumentation sur le fait que M.Rukuki a été employé de l’ACAT-Burundi, organisation radiée par le gouvernementet accusée d’être liée au « mouvement insurrectionnel » et au coup d’Étatmanqué du 13 mai 2015[9].

Le Ministère public a requis la prison à perpétuité contre M.Germain Rukuki. Le tribunal a mis l’affaire en délibéré et devrait se prononcerdans un délai d’un mois sur la peine de M. Germain Rukuki.

L’Observatoirerappelle que depuis le début de sa détention arbitraire et de l’acharnementjudiciaire à son encontre, M. Rukuki a été victime de nombreuses violations deson droit à un procès équitable. L’Observatoire exprime sa plus vive préoccupationquant à l’introduction récente de graves accusations à l’encontre de M. Rukukiet l’instruction expresse de son dossier, empêchant les avocats de la défensede pouvoir prendre connaissance du dossier pour le défendre.

L’Observatoirecondamne fermement les violations flagrantes des garanties prévues par le Code deprocédure pénale burundais dans le dossier de M. GermainRukuki, tout en exprimant sa grande préoccupation quant à l’intensification du harcèlementjudiciaire à son encontre et son maintien en détention arbitraire, en ce qu’ilsne visent qu’à sanctionner ses activités de défense des droits humains.Particulièrement, l’Observatoire s’inquiète de la peine de prison à perpétuitérequise par le Ministère public à l’encontre du défenseur dans un contexte derépression généralisée des défenseurs des droits humains, qui s’exercenotamment par les détentions arbitraires et le harcèlement judiciaire d’anciensemployés d’organisations de défense des droits humains burundaises radiées parle gouvernement et faisant l’objet de lourdes condamnations pénales[10].

L'Observatoire appelle lesautorités à procéder à la libération immédiate et inconditionnelle deM. Germain Rukuki, et à garantir le respect de son droit à un procèséquitable au cours de l’ensemble des procédures engagées à sonencontre.

Rappel des faits :

Le 13 juillet 2017 vers 6h dumatin, des membres de la police municipale de Bujumbura se sontrendus au domicile de M. Germain Rukuki et ont procédé à une perquisition avantde réquisitionner l’ordinateur de son épouse et de l’arrêter sans mandat.Escorté par quatre pick-up de la police, il aurait ensuite été conduit à l’AJCBpour réquisitionner son ordinateur et des documents. L’opération aurait étéconduite par l’officier de police judiciaire M. Jean Pierre Nitunga, encoopération avec le SNR, qui l’aurait commandée.

Le jour même, le SNR aconfirmé l’arrestation de M. Rukuki auprès de la Commission nationaleindépendante des droits de l’Homme (CNIDH).

Au cours de sa détention au seindes locaux du SNR, M. Rukuki n’a purecevoir aucune visite de ses proches, ni être en contact avec son avocat et aété interrogé de nombreuses fois, en l’absence de son avocat, ce qui constitueune violation du droit à un procès équitable garanti en outre par l’article 38de la Constitution de la République du Burundi.

Après 14 jours de détention, le 26 juillet 2017, M. Rukuki a ététransféré à la prison de Ngozi[11], sans avoir été auditionné auparavant par le magistrat du parquetqui l’a placé sous mandat d’arrêt, en violation de l’article 111 de la loi n°1/10 du 3 avril 2013 portant révision du Code de procédure pénale.

Lapremière audition de M. Rukuki par un magistrat représentant le Ministèrepublic depuis son arrestation n’a eu lieu que le 1er août 2017. Il aété entendu par le substitut du procureur général de la République, M. AdolpheManirakiza, qui représente le Ministère public dans les dossiers relatifs auputsch manqué du 13 mai 2015.

Durantcette audition, M. Rukuki a été accusé formellement d'« atteinte à lasûreté intérieure de l’Etat » et de « rébellion » pour avoircollaboré avec l’ACAT-Burundi, organisation de défense des droits humainsradiée en octobre 2016[12].Selon les autorités, l’ACAT-Burundi aurait organisé des manifestations en avril2015 pour contester la troisième candidature de Pierre Nkurunziza à laprésidence de la République, et participé au coup d’État de 2015 et à laproduction de rapports qui iraient à l’encontre des institutions burundaises.De plus, elle aurait désavoué la décision du ministère de l’Intérieur del’avoir radiée.

Le14 août 2017, la Chambre de conseil a tenu uneaudience à la prison de Ngozi, afin de statuer sur la régularité duplacement en détention préventive de M. Rukuki[13].

Durant l’audience, le Ministère public a notamment accusé M.Germain Rukuki de représenter l’ACAT au Burundi, mais sans fournird’« indices sérieux de culpabilité » comme l’exige l’article 110 duCode de procédure pénale pour maintenir une personne en détention préventive.Il a fondé ces accusations sur des éléments de preuve, qui auraient été trouvésdans les affaires de son épouse, ce qui constitue une violation de l’article 18du Code de procédure pénale qui prévoit la personnalité de la responsabilitépénale.

La défense a ainsi demandé la libération de M. Rukuki, alors quele Ministère public a requis son maintien en détention en attendant laconclusion de l’enquête dans cette affaire.

Le 17 août, la Chambre de conseil du Tribunal de grande instancede Ntahangwa a rendu publique sa décision de confirmer le placement endétention préventive de M. Germain Rukuki.

Le 25 août 2017, le greffe du Tribunal de grandeinstance de Ntahangwa a notifié à M. Germain Rukukil’ordonnance de maintien en détention, prise par la Chambre de conseil le 17août 2017. Le même jour, l’équipe de défensede M. Rukuki avait interjeté appel contre cette même ordonnance devantla Cour d’appel de Bujumbura[14].

Le27 octobre 2017, la Cour d’appel de Bujumbura a entendu les parties durant uneaudience à la prison de Ngozi, avant de mettre l’affaire en délibéré.

Durantl’audience, la parole a été accordée à M. Rukuki et ses avocats, qui ontexpliqué que son appel était fondé sur l’absence d’indices sérieux deculpabilité, puisque l’échange d'e- mails sur lequel se base l’accusation duMinistère public date de la période où l'ACAT-Burundi exerçait légalement sesactivités au Burundi. Ils ont ainsi demandé la mise en liberté de M. Rukuki eninvoquant l’article 110 du Code de procédure pénale. Les avocats de la défenseont également souligné que plusieurs violations flagrantes des règles deprocédure pénale avaient été commises depuis l’arrestation arbitraire de M.Rukuki, incluant l’absence de présentation d’un mandat d’amener lors de sonarrestation, son interrogatoire dans les locaux du SNR en l’absence de sesavocats et la mise sous mandat d’arrêt sans instruction préalable, ni présencede ses avocats.

Le Ministère public s’est quant àlui opposé à la libération de M. Germain Rukuki en arguant qu’il « risquaitde rejoindre les autres personnes exilées à l’étranger qui seraient impliquéesdans ce dossier ».

Le 31 octobre 2017, la Cour d’appel deBujumbura a confirmé le maintien en détention de M. Germain Rukuki.

Le 13 février 2018, le Tribunal de grande instance deNtahangwa a rappelé au fond le dossier de M. Germain Rukuki. Pour cetteoccasion, la chambre criminelle du Tribunal de grande instance de Ntahangwas’était déplacée pour siéger à la prison de Ngozi, enaudience publique, en lieu et place de la chambre pénale ordinaire qui avaitassigné M. Rukuki à comparaître jusqu’alors[15].

Durant l’audience, de nouvelles charges ont étéprononcées à l’encontre de M. Rukuki, à savoir « assassinat de militaires,policiers et civils », « dégradation des édifices publics etprivés », et « volontéde changer le régime élu démocratiquement ».

Lorsde l’audience publique du 13 février 2018, la défense a argué qu’il existaitencore des irrégularités de procédure dans le dossier de M. Rukuki, et ademandé au tribunal de statuer en premier lieu sur ces irrégularités avant destatuer au fond. En effet, jusqu’alors, la défense de M. Rukuki n’a eu accèsqu’a trois pièces de son dossier, qui en contient 174, en violation de l’article175 du Code de procédure pénale burundais. De plus, M. Rukuki a été assigné àcomparaître à l’audience le jour-même où il a comparu, en violation du délai dehuit jours imposé par la loi entre la date d’assignation et celle decomparution. Enfin, l’introduction des trois nouveaux chefs d’accusations n’apas été précédée d’une période d’instruction. La défense a donc ainsi faitvaloir que l’assignation de M. Rukuki à cette audience était irrégulière.

Letribunal n’a donc pas statué au fond, a autorisé la défense à se procurer unecopie du dossier répressif complet et a renvoyé le dossier au 27 février 2018,permettant ainsi de respecter le délai légal entre la date d’assignation et lacomparution de M. Rukuki lors de la prochaine audience.

Lesaudiences prévues les 27 février et 27 mars 2018 ont été reportées.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire auxautorités burundaises en leur demandant de :

i. Garantir en toutes circonstances l’intégritéphysique et psychologique de M. Germain Rukuki et del’ensemble des défenseurs des droits humains au Burundi ;

ii. Procéder à la libération immédiate etinconditionnelle de M. Germain Rukuki et de l’ensemble des défenseurs desdroits humains détenus au Burundi ;

iii. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, ycompris au niveau judiciaire, à l’encontre de M. GermainRukuki ainsi que de l’ensemble des défenseurs des droitshumains au Burundi ;

iv. S'assurer que l'ensemble des procédures engagéesà l’encontre de M. Germain Rukuki soient conduites dans le respectdu droit à un procès équitable ;

v. Se conformer aux dispositionsde la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée parl’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998, et plusparticulièrement à ses articles 1, 5(b) et 12.2 ;

vi. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclarationuniverselle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationauxrelatifs aux droits de humains ratifiés par le Burundi.

Adresses :

·S.E. Pierre Nkurunziza, Président de la République du Burundi.Fax : +257 22 22 74 90

·M. Emmanuel NTAHOMVUKIYE, Ministre de la Défense nationale et desanciens combattants, Fax : +257 22253215 / 22253218, Email : mdnac@yahoo.fr

·M. Alain Guillaume BUNYONI, Ministre de la sécurité publique, Burundi. Fax : + 257 2224 53 51, Email : mininter@yahoo.fr

·S.E M. Rénovat Tabu, Ambassadeur,Mission permanente de la République du Burundi auprès des Nations unies àGenève, Suisse. Fax : +41 22 732 77 34. Email : mission.burundi217@gmail.com

·Ambassadedu Burundi à Bruxelles, Belgique. Fax : +32 2 230 78 83, Email : ambassade.burundi@gmail.com

Prière d’écrire également aux représentationsdiplomatiques du Burundi dans vos pays respectifs.

***

Genève-Paris,le 5 avril 2018

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toute actionentreprise en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire partenariat de l’OMCT et de la FIDH, a vocation àprotéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leurapporter une aide aussi concrète que possible. L’OMCT et la FIDH sont membresde ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européennepour les défenseurs des droits de l’Homme mis en œuvre par la société civileinternationale.

Pour contacter l’Observatoire, appeler la ligne d’urgence :

· E-mail: Appeals@fidh-omct.org

· Telet fax OMCT : + 41 22 809 49 39 / 41 22 809 49 29

· Telet fax FIDH : 33 1 43 55 25 18 / 33 1 43 55 18 80

[1] Niabutsa Tujane est une association communautaire quivise à lutter contre la pauvreté et la faim à travers la productionagro-sylvo-pastorale et à l’amélioration de la santé de la population.

[2] Articles 37.1 et 213 du Code pénal burundais.

[3] Articles 37.1 et 322 du Code pénal burundais.

[4] Articles 37.1 et 586 du Code pénal burundais.