Burundi
25.06.18
Interventions urgentes

Sortie de l’hôpital et transfert en prison du défenseur des droits humains Germain Rukuki

APPEL URGENT - L'OBSERVATOIRE

Nouvellesinformations

BUR 001 / 0717 / OBS 081.8

Détention arbitraire /

Harcèlement judiciaire /

Privation des soins desanté

Burundi

25 juin 2018

L’Observatoire pour laprotection des défenseurs des droits de l’Homme, un partenariat del’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la FIDH, a reçu denouvelles informations et vous prie d’intervenir de toute urgence sur lasituation suivante au Burundi.

Nouvelles informations :

L’Observatoire a étéinformé de sources fiables de la sortie de l’hôpital et du transfert en prisondu défenseur des droits humains Germain Rukuki, employé del’Association des juristes catholiques du Burundi (AJCB), président de «Njabutsa Tujane »[1], et ancien employé de l’Action des chrétienspour l'abolition de la torture Burundi (ACAT-Burundi).

Selon les informationsreçues, le 11 juin 2018, M. Germain Rukuki a été opéré à l’hôpital de Ngoziaprès s’être fracturé une cheville et blessé à une épaule en prison le 7 juin 2018.Le 18 juin 2018, M. Germain Rukuki a de nouveau été transféré à la prison deNgozi, alors que son état de santé était encore critique et malgré le faitqu’il ait sollicité de rester à l’hôpital pour continuer de recevoir des soinsde santé.

L’Observatoire rappelle queM. Rukuki est détenu arbitrairement depuis juillet 2017 pour avoir collaboréavec l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture au Burundi(ACAT-Burundi), qui documente les actes de torture et autres crimes commis dansle pays, principalement par le régime du président Pierre Nkurunziza. Le 26avril 2018, à l’issue d’un procès entaché d’irrégularités, le Tribunal degrande instance de Ntahangwa a condamné M. Rukuki à 32 ans d’emprisonnementpour « mouvement insurrectionnel », « atteinte à la sûreté intérieure de l’État»[2] et « rébellion »[3] (voir rappel des faitsci-dessous).

L’Observatoires’inquiète des menaces pesant sur l’intégrité physique et psychologique de M.Rukuki et notamment de son transfert en prison alors que celui-ci venait desubir une intervention chirurgicale et était en période de convalescence.

L’Observatoireappelle les autorités à libérer immédiatement et inconditionnellement M. Rukukidont la détention arbitraire ne vise qu’à sanctionner ses activités pacifiqueset légitimes de défense des droits humains. Dans l’attente l’Observatoiredemande aux autorités burundaises de garantir l’accès inconditionnel de M.Rukuki à des soins de santé adéquats.

Rappel des faits :

Le 13 juillet 2017 vers 6 heuresdu matin, des membres de la police municipale de Bujumbura se sontrendus au domicile de M. Germain Rukuki et ont procédé à une perquisition avantde réquisitionner l’ordinateur de son épouse et de l’arrêter sans mandat.Escorté par quatre pick-up de la police, il a ensuite été conduit à l’AJCB pourréquisitionner son ordinateur et des documents. L’opération a été conduite parl’officier de police judiciaire M. Jean Pierre Nitunga, en coopérationavec le Service National de Renseignement (SNR), qui l’a commandée.

Le jour même, le SNR aconfirmé l’arrestation de M. Rukuki auprès de la Commission nationaleindépendante des droits de l’Homme (CNIDH) burundaise.

Au cours de sa détention ausein des locaux du SNR, M. Rukuki n’a pu recevoir aucune visite de sesproches, ni être en contact avec son avocat et a été interrogé de nombreusesfois, en l’absence de son avocat.

Après 14 jours dedétention, le 26 juillet 2017, M. Rukuki a été transféré à la prison de Ngozi[4], sans avoir été auditionné auparavantpar le magistrat du parquet qui l’a placé sous mandat d’arrêt[5]..

La première audition de M.Rukuki par un magistrat représentant le Ministère public depuis son arrestationn’a eu lieu que le 1er août 2017. Il a été entendu par lesubstitut du procureur général de la République, M. Adolphe Manirakiza, quireprésente le Ministère public dans les dossiers relatifs au putsch manqué du13 mai 2015[6].

Durant cette audition, M.Rukuki a été accusé formellement d'« atteinte à la sûreté intérieure del’Etat » et de « rébellion » pour avoir collaboré avecl’ACAT-Burundi, organisation de défense des droits humains radiée en octobre2016[7]. Selon les autorités, l’ACAT-Burundi auraitorganisé des manifestations en avril 2015 pour contester la troisièmecandidature de Pierre Nkurunziza à la présidence de la République, et participéau coup d’État de 2015 ainsi qu’à la production de rapports qui iraient àl’encontre des institutions burundaises. De plus, elle aurait désavoué ladécision du ministère de l’Intérieur de l’avoir radiée.

Le 14 août 2017, laChambre de conseil a tenu une audience à la prison de Ngozi, afin de statuersur la régularité du placement en détention préventive de M. Rukuki.Durant l’audience, le Ministère public a notamment accusé M. Germain Rukuki dereprésenter l’ACAT au Burundi, mais sans fournir d’« indices sérieux deculpabilité »[8].

La défense a ainsi demandéla libération de M. Rukuki, alors que le Ministère public a requis son maintienen détention en attendant la conclusion de l’enquête dans cette affaire.

Le 17 août 2017, la Chambrede conseil du Tribunal de grande instance de Ntahangwa a rendu publique sadécision de confirmer le placement en détention préventive de M. GermainRukuki.

Le 25 août 2017, legreffe du Tribunal de grande instance de Ntahangwa a notifié à M. GermainRukuki l’ordonnance de maintien en détention, prise par la Chambre de conseille 17 août 2017. Le même jour, l’équipe de défense de M. Rukuki ainterjeté appel contre cette ordonnance devant la Cour d’appel deBujumbura.

Le 27 octobre 2017, la Courd’appel de Bujumbura a entendu les parties durant une audience à la prison deNgozi, avant de mettre l’affaire en délibéré.

Durant l’audience, laparole a été accordée à M. Rukuki et ses avocats, qui ont expliqué que l’appelétait fondé sur l’absence d’indices sérieux de culpabilité, puisque l’échanged'e-mails sur lequel se base l’accusation du Ministère public date de lapériode où l'ACAT-Burundi exerçait légalement ses activités au Burundi. Ils ontainsi demandé la mise en liberté de M. Rukuki. Les avocats de la défense ontégalement souligné que plusieurs violations flagrantes des règles de procédurepénale avaient été commises depuis l’arrestation arbitraire de M. Rukuki,incluant l’absence de présentation d’un mandat d’amener lors de sonarrestation, son interrogatoire dans les locaux du SNR en l’absence de sesavocats et la mise sous mandat d’arrêt sans instruction préalable, ni présencede ses avocats.

Le Ministère public s’estquant à lui opposé à la libération de M. Germain Rukuki en arguant qu’il« risquait de rejoindre les autres personnes exilées à l’étranger quiseraient impliquées dans ce dossier ».

Le 31 octobre 2017, la Courd’appel de Bujumbura a confirmé le maintien en détention de M. GermainRukuki.

Le 13 février2018, le Tribunal de grande instance de Ntahangwa

a prononcé denouvelles charges à l’encontre de M. Rukuki, à savoir « assassinat demilitaires, policiers et civils », « dégradation des édificespublics et privés », et « volonté de

changer lerégime élu démocratiquement ».
Lors de l’audience publique du 13 février 2018, la défense a argué qu’ilexistait encore des irrégularités de procédure dans le dossier de M. Rukuki, eta demandé au tribunal de statuer en premier lieu sur ces irrégularités avant destatuer au fond. En effet, jusqu’alors, la défense de M. Rukuki n’a eu accèsqu’a trois pièces de son dossier, qui en contient 174. De plus, M. Rukuki a étéassigné à comparaître à l’audience le jour-même où il a comparu, en violationdu délai de huit jours imposé par la loi, entre la date d’assignation et cellede comparution. Enfin, l’introduction des trois nouveaux chefs d’accusationsn’a pas été précédée d’une période d’instruction. La défense a donc ainsi faitvaloir que l’assignation de M. Rukuki à cette audience était irrégulière.

Le tribunal n’adonc pas statué au fond, a autorisé la défense à se procurer une copie dudossier répressif complet et a renvoyé le dossier au 27 février 2018.

Les audiences prévues les 27 février et 27 mars 2018 ont été reportées.

Le 26 avril 2018, le Tribunal de grande instance de Ntahangwa a condamné M.Rukuki à 32 ans d’emprisonnement pour « mouvement insurrectionnel », « atteinteà la sûreté intérieure de l’État » et « rébellion ». Ni Germain Rukuki ni sesavocats n’étaient présents à la lecture de la sentence.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie debien vouloir écrire aux autorités burundaises en leur demandant de :

i. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologiquede M. Germain Rukuki et de l’ensemble des défenseurs des droitshumains au Burundi, notamment en lui fournissant immédiatement les soins desanté dont il a besoin ;

ii. Procéder à la libération immédiate et inconditionnellede M. Germain Rukuki et de l’ensemble des défenseurs des droitshumains arbitrairement détenus au Burundi ;

iii. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris au niveaujudiciaire, à l’encontre de M. Germain Rukuki ainsi que del’ensemble des défenseurs des droits humains au Burundi ;

iv. S'assurer que l'ensemble des procédures engagées à l’encontre deM. Germain Rukuki soient conduites dans le respect du droit à unprocès équitable ;

v. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs desdroits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9décembre 1998, et plus particulièrement à ses articles 1, 5(b) et 12.2 ;

vi. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclarationuniverselle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationauxrelatifs aux droits de humains ratifiés par le Burundi.

Adresses :

· S.E. PierreNkurunziza, Président de la République du Burundi. Fax : +257 22 22 74 90

· M. EmmanuelNTAHOMVUKIYE, Ministre de la Défense nationale et des anciens combattants,Fax : +257 22253215 / 22253218, Email : mdnac@yahoo.fr

· M. AlainGuillaume BUNYONI, Ministre de la sécurité publique, Burundi. Fax : + 25722 24 53 51, Email : mininter@yahoo.fr

· S.E M. RénovatTabu, Ambassadeur, Mission permanente de la République du Burundi auprèsdes Nations unies à Genève, Suisse. Fax : +41 22 732 77 34.Email : mission.burundi217@gmail.com

· Ambassade duBurundi à Bruxelles, Belgique. Fax : +32 2 230 78 83,Email : ambassade.burundi@gmail.com

Prière d’écrire égalementaux représentations diplomatiques du Burundi dans vos pays respectifs.

***

Genève-Paris, le 25 juin 2018

Merci de bien vouloir informer lObservatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, partenariat de laFIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Hommevictimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible.La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Unioneuropéenne pour les défenseurs des droits de l’Homme mis en œuvre par lasociété civile internationale.

Pour contacter lObservatoire, appeler La Ligne dUrgence :

· E-mail : Appeals@fidh-omct.org

· Tel et fax FIDH : 33 1 43 55 25 18 / 33 1 43 55 18 80

Tel et fax OMCT : + 41 22 809 49 39 / 41 22 809 49 29


[1] Niabutsa Tujane est une associationcommunautaire qui vise à lutter contre la pauvreté et la faim à travers laproduction agro-sylvo-pastorale et à l’amélioration de la santé de lapopulation.

[2] Article 601 du Codepénal burundais.

[3] Articles 372 et 374 duCode pénal burundais.

[4] Ngozi est situé à environ deux heures de route de Bujumbura.

[5] En violation de l’article111 de la loi n° 1/10 du 3 avril 2013 portant révision du Code de procédurepénale.

[6] Une tentative de coupd’État dirigée par le général Godefroid Niyombare a été perpétrée au Burundi le13 mai 2015. Elle a fait suite à une vague de contestation populaire débutée le26 avril 2015 après l’annonce de la candidature du président Pierre Nkurunzizaà un troisième mandat, candidature jugée anticonstitutionnelle par une partiede la population, de la société civile et de l’opposition politique.

[7]