Niger
21.08.25
Déclarations

Niger : dissolution et répression des syndicats du secteur de la justice

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L'Observatoire pour la protection des défenseur·es des droits humains, un partenariat de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT), condamne fermement la dissolution de cinq syndicats du secteur de la justice au Niger par arrêtés du ministre de l'Intérieur, de la sécurité publique et de l'administration du territoire le 7 août 2025, suivi de la radiation de deux magistrats dirigeants du Syndicat autonome des magistrats du Niger (SAMAN)ayant critiqué ces dissolutions. L’Observatoire appelle les autorités du Niger à révoquer immédiatement ces décisions et à garantir le respect des libertés fondamentales, parmi lesquelles la liberté d’association et syndicale, conformément à ses engagements nationaux et internationaux.

Paris-Genève – 21 août 2025 - Le 7 août 2025, le général Mohamed Toumba, ministre de l'Intérieur du Niger, a signé cinq arrêtés portant dissolution du SAMAN, de l'Union des magistrats du Niger (UMAN), du Syndicat national des agents de justice (SNAJ), du Syndicat des cadres et des agents techniques du ministère de la Justice (SYNCAT) et du Syndicat indépendant des magistrats du Niger (SIMAN). Les arrêtés ministériels ne comportaient aucune motivation.

Le lendemain, 8 août 2025, le ministre de la Justice, Alio Daouda, a déclaré dans un point de presse que ces mesures gouvernementales avaient été prises en raison de « dérives répétées nuisant au bon fonctionnement du service public ». Il arguait que les syndicats avaient « dévié » de leurs rôles en privilégiant des « intérêts personnels ». Le même jour, le SAMAN et l'Ordre des avocats du Niger ont annoncé une grève symbolique pour les 14 et 15 août 2025, pour dénoncer ces arrêtés.

Le gouvernement aurait fondé la dissolution des syndicats sur une ordonnance inadaptée, violant ainsi le Code du travail et la liberté syndicale reconnue au Niger. En effet, selon un communiqué diffusé le samedi 9 août 2025 par l'Union des syndicats des travailleurs du Niger (USTN), l'ordonnance N°84-06 du 1er mars 1984 portant régime des associations au Niger sur laquelle se fondent les arrêtés ministériels ne concerne que les associations à but non lucratif et ne s’applique nullement aux syndicats, lesquels relèvent d’un régime juridique distinct et spécifiquement du Code du travail de la République du Niger, Loi2012-45 du 25 septembre 2012 et par des conventions internationales de l'Organisation internationale du travail (OIT) ratifiées par le Niger. Dépourvues de base légale, ces dissolutions sont donc nulles et inopposables aux syndicats.

Les magistrats syndicalistes qui osé dénoncer ces dissolutions illégales ont par la suite été lourdement sanctionnés par l’exécutif. Le 14 août 2025, le président du Niger, Abdourahamane Tiani, a pris un décret présidentiel pour radier et exclure M. Abdoul-Nasser Bagna Abdourahamane, secrétaire général du SAMAN, du corps de la magistrature. Cette sanction fait suite aux critiques prononcées par Abdoul-Nasser Bagna Abdourahamane sur la dissolution des syndicats judiciaires décidée le 7 août 2025, et à sa demande d’un droit de réponse suite au point de presse du 8 août du ministre de la Justice. Le 15 août 2025, le président Tiani a pris un autre décret présidentiel pour radier et exclure M. Moussa Mahamadou, secrétaire général adjoint du SAMAN, du corps de la magistrature, moins de 24 heures après son supérieur. Cette radiation fait suite à un communiqué du syndicat signé par Moussa Mahamadou, dénonçant la sanction contre son secrétaire général et appelant à une grève générale -qualifiée d’illégale par les autorités nigériennes- jusqu'à la réintégration de celui-ci.

La dissolution des syndicats du secteur de la justice soulève des inquiétudes au sujet de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance du pouvoir judiciaire, clefs de voûte de la démocratie. Ces dissolutions, prises par décisions administratives, constituent une atteinte grave aux libertés fondamentales, au premier rang desquelles la liberté d’association, reconnue par l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) auquel le Niger est partie, et l’article 36 de la Charte de la refondation du Niger du 26 mars 2025. L'Ordre des avocats du Niger a quant à lui dénoncé « la compromission de la liberté syndicale, l'indépendance de la justice, la liberté d'expression et même le droit à la défense dans une certaine mesure ».

Ces mesures violent également le droit à la liberté syndicale, protégé par plusieurs engagements internationaux du Niger, comme les articles 10 et suivants de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, les articles 21 et 22 du PIDCP, la Convention n°87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical ratifiée en 1961 par le Niger, la Convention n°98 de l’OIT sur le droit d'organisation et de négociation collective ratifiée en 1962 par le Niger, et l‘article 38 de la Charte de la refondation du Niger du 26 mars 2025. Ces textes garantissent le droit des travailleurs et des employeurs à constituer des organisations pour la défense de leurs intérêts professionnels.

L'Observatoire note avec inquiétude que ces décisions de dissolution et de radiation font partie d'une tentative d'intimidation et de musellement du pouvoir judiciaire. Ces mesures interviennent dans un contexte caractérisé par le rétrécissement de l'espace civique et des atteintes répétées aux droits fondamentaux de toutes voix dissidentes. À maintes reprises, les droits à la liberté d'expression, d'opinion, d'association, de réunion et de manifestation ont été violés, notamment à travers des arrestations et détentions arbitraires de défenseurs des droits humains, dont M. Moussa Tchangari, détenu arbitrairement depuis près de neuf mois, notamment après avoir participé à une réunion du Comité international de la croix-rouge (CICR) à Abidjan, en Côte d’Ivoire, et critiqué la décision du ministre de l’Intérieur du Niger de retirer leur licence à deux organisations humanitaires.

L'Observatoire rappelle que la protection des droits syndicaux et l'indépendance du pouvoir judiciaire constituent des piliers fondamentaux de l'État de droit et de la démocratie. L'Observatoire appelle les autorités nigériennes à révoquer sans délai les arrêtés de dissolution des cinq syndicats du secteur de la justice et réintégrer immédiatement Abdoul-Nasser Bagna Abdourahamane et Moussa Mahamadou dans le corps de la magistrature. L’Observatoire dénonce toute forme de harcèlement, d'intimidation ou de sanctions à l'encontre des syndicats et des défenseur·es des droits humains et exige le plein respect de la liberté d'association et syndicale, conformément aux engagements nationaux et internationaux du Niger.