Inde
04.07.23

Inde : Un universitaire en cage, ses pensées persistent, toujours libres et invaincues

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Je refuse toujours obstinément de mourir
Le plus triste étant
Qu’ils ne savent pas comment me tuer
Car j’aime trop
Le bruit de l’herbe qui pousse

Voici les mots de Gokarakonda Naga, « G.N. » Saibaba, écrits depuis sa cellule de la prison de Nagpur Central, dans l’état indien du Maharashtra. Depuis sa chaise roulante, Sai, défenseur des droits humains et ancien professeur d’anglais à l’université, a enduré des années de confinement solitaire cruel et inhumain. Sa ténacité irrépressible continue néanmoins à briller. Et la poésie de Sai vient compléter une anthologie publiée récemment. Mais il ne l’a pas écrite en vers. Pour s’évader de la censure carcérale punitive, et pour travestir ses messages en faveur de l’égalité, de la positivité et de l’amour, Sai a écrit des lettres à ses amis et à sa partenaire depuis 30 ans. Ses lettres ont été transcrites et rassemblées dans ce qui est devenu son livre Pourquoi avez-vous si peur de ce que je suis?

Conditions de détention

Actuellement, G.N. Saibaba a beaucoup plus de difficultés à écrire. Depuis sa condamnation infondée pour crimes liés à des activités terroristes en 2017, et une peine de prison à perpétuité, la santé de Sai s’est progressivement dégradée. Atteint d'une maladie cardiaque, d’un kyste au cerveau, d’une grosseur dans l’abdomen et de difficultés respiratoires, ses multiples problèmes de santé nécessitent un traitement spécialisé uniquement disponible à New Delhi. Et son handicap dérivé d’une polio lorsqu’il était enfant s’est aggravé à cause de dommages nerveux non soignés à son bras gauche, qui se sont étendus à son bras droit, ce qui lui a ôté toute sa force dans les membres supérieurs. Sai a besoin d’aide pour accomplir certaines fonctions humaines essentielles, comme s’asseoir, manger, boire ou aller aux toilettes, tâche confiée à deux codétenus. La surveillance constante de sa cellule a souligné sa dépendance. Ce n’est que récemment, après une autre grève de la faim de Sai, que les autorités carcérales ont accepté de modifier l’orientation des caméras, pour lui donner une semblant de vie privée. Avant cela, son lit et ses toilettes étaient filmés 24h/24. C’était une petite victoire. Malgré l’insistant plaidoyer mené par l’ONU et plusieurs groupes de défense des droits humains au nom de G.N. Saibaba, Sai est contraint de vivre dans une petite cellule en forme d’œuf, exposée à des conditions météorologiques extrêmes, ne disposant que de peu d’espace pour bouger, surtout pour une personne en chaise roulante comme lui. Vu son handicap, certains observateurs estiment que ses conditions de détention peuvent être assimilées à de la torture.

Arrestation à New Delhi

C’était le 9 mai 2014, alors que G.N. Saibaba rentrait déjeuner chez lui après avoir donné cours à l’Université de New Delhi. Sans préavis, une fourgonnette a barré la route du véhicule dans lequel il voyageait, le forçant à s’arrêter. Le chauffeur de Sai a été expulsé du véhicule et un homme en civil a pris sa place. Deux autres hommes se sont assis de chaque côté du captif à l’arrière de la voiture. G.N. Saibaba a été emmené directement à l’aéroport. On ne lui a jamais montré de mandat d’arrêt et aucun membre de sa famille n’a été informé de son arrestation. On lui a fait prendre place dans un vol pour Nagpur, dans l’État du Maharashtra. A son arrivée, il a été pris en charge dans un véhicule blindé, entouré d'un convoi de commandos armés d’armes automatiques. L’armée souhaitait clairement envoyer un message disant qu’elle avait arrêté un important terroriste, et pas un militant engagé qui s’était battu toute sa vie contre la discrimination et l'oppression de caste, ainsi que pour les droits des femmes et des indiens autochtones.

Militantisme

G.N. Saibaba a grandi dans un petit village rural du sud de l’Inde. Handicapé après avoir contracté la polio étant enfant, il a très vite compris les répercussions de l’injustice et des préjugés. Très bon élève, Sai a étudié à l’université où il a commencé à s’intéresser à la vie politique estudiantine. Sa nomination en tant que professeur d’anglais n’a pas affaibli ses critiques contre l’injustice.

Il est notamment devenu un fervent détracteur de ladite « Opération Chasse verte » (Operation Green Hunt), une campagne militaire menée dans le centre de l’Inde, terre de nombreuses communautés autochtones (connues sous le nom d’Adivasis) dans le but d'éliminer les Maoïstes, également appelés les Naxalites. Dans la région centrale de l’Inde, de nombreux mouvements de peuples autochtones se sont opposés à l’occupation illégitime des terres autochtones et l’exploitation d’anciennes forêts et d’importantes ressources minérales. La campagne militaire contre les Naxalites avait pour but d’étouffer ces mouvements et fait état de nombreuses violations de droits humains perpétrées à l’encontre de civils.

Dans cette région, le conflit remonte aux années 1960. « L’Opération Chasse verte » a débuté en 2009: il s’agissait d'une offensive générale menée par l’armée indienne. Elle est toujours en cours et vise à éliminer les Naxalites de la région. G. N. Saibaba était à la tête du Forum Against War on the People (Forum contre la guerre faite au peuple) – une organisation de solidarité visant à faire la lumière sur les abus de droits humains perpétrés dans la région. Ces atrocités, commises pour la plupart par l’armée et par des paramilitaires, ont été bien documentées. On compte notamment des exécutions extrajudiciaires, de nombreux viols et la profanation extrêmement perturbante de nombreux cadavres de civils. Il est estimé que plus de 2.000 personnes ont perdu la vie depuis 2009.

Condamnation

Les efforts de plaidoyer de G.N. Saibaba ont clairement contraint les grandes entreprises minières nationales et internationales à repenser leurs velléités d’investissement dans la région. Aussi, il était peut-être inévitable qu’il ne devienne une cible. La persécution dont il est victime a commencé avec le gouvernement du Congrès (son domicile à New Delhi avait été fouillé à maintes reprises), puis s’est poursuivie sous le parti BJP et sous le gouvernement du premier ministre Narendra Modi.

Lors du procès de G.N. Saibaba en 2017, dans un tribunal entouré de centaines d’officiers de police afin de donner l’impression qu'il s’agissait d’un dangereux extrémiste, Sai a été jugé au titre de la législation anti-terroriste, la Unlawful Activities (Prevention) Act (Loi de prévention des activité illégales). Avec cinq autres détenus, Sai a été condamné en raison de ses supposés liens avec l'organisation maoïste interdite.

Montagnes russes judiciaires

En octobre 2022, la juridiction de Nagpur de la Haute Cour de Bombay a déclaré que le procès de G.N. Saibaba avait été entaché d’irrégularités. Les poursuites à son encontre ont été annulées. Mais la joie ressentie par sa famille, ses défenseurs et lui-même a rapidement viré à l’incrédulité. Le gouvernement, évidemment furieux face à la décision de la Cour de libérer un « Naxalite urbain », terme régulièrement utilisé pour stigmatiser les défenseurs de droits humains, a demandé à la Cour suprême de tenir une séance extraordinaire. Le lendemain, alors qu’il s’agissait d’un jour non ouvrable, la juridiction spéciale de la Cour suprême a suspendu la décision de la Haute Cour de Bombay. G.N Saibaba est donc toujours en cellule d’isolement hautement surveillée, où il se bat pour se déplacer en fauteuil roulant entre des murs incurvés.

L’amour avant tout

L’espoir de libération de G.N. Saibaba est à nouveau anéanti. Malgré cela, son esprit reste déterminé. A cause des infections non traitées à sa main et de ses douleurs, Sai n’écrit plus que deux ou trois pages par mois. Mais les lettres envoyées par les siens, surtout par sa partenaire, l’aident à tenir.

Je tiens en échec le but
du confinement solitaire
en me noyant
dans vos lettres d’amour.

Vous aussi, demandez la libération de G.N. Saibaba !

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