Tunisie
06.11.25
Interventions urgentes

Tunisie : Suspension de l’OMCT Tunisie, de l’ATFD et du FTDES, trois ONG de droits humains

APPEL URGENT - L'OBSERVATOIRE

TUN 004 / 1125 / OBS 0XX
Suspension /
Restriction au droit à la liberté d’association
Tunisie
6 novembre 2025

L’Observatoire pour la protection des défenseur.es des droits humains, un partenariat de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), vous prie d’intervenir dans la situation suivante en Tunisie.

Description de la situation :

L’Observatoire a été informé de la suspension du bureau de l’OMCT en Tunisie et de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) et du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), deux organisations de défense des droits humains membres de la FIDH. Depuis 2011, l’OMCT Tunisie met en œuvre SANAD, un programme d’assistance directe juridique, psychologique, sociale et médicale aux victimes de torture en Tunisie. Fondée en 1989, l’ATFD est une organisation féministe pionnière, acteur historique du mouvement des femmes et de la défense des libertés publiques. Elle accompagne chaque année des centaines de femmes victimes de violences, milite pour l’égalité et la justice, et a contribué à inscrire les droits des femmes au cœur du débat public tunisien. Le FTDES, créé en 2011, est un acteur central de la justice sociale en Tunisie. Ses travaux documentent les inégalités, la pauvreté, les mouvements sociaux, les migrations et les impacts environnementaux. Il est reconnu pour son expertise rigoureuse, son engagement pacifique et son rôle de porte-voix des populations marginalisées.

Le 5 novembre 2025, les autorités tunisiennes ont notifié au bureau de l’OMCT en Tunisie une ordonnance sur requête de suspension de ses activités durant 30 jours.

Le 24 octobre 2025, les autorités tunisiennes ont suspendu les activités de l’ATFD pour une durée d’un mois.

De même, le 27 octobre 2025, les autorités ont également suspendu pour un mois les activités du FTDES.

Ces décisions sont entachées de plusieurs vices de procédures et ont été notifiées aux associations concernées avec des motivations vagues et générales, ce qui révèle d’une volonté délibérée de mettre fin au travail des associations indépendantes alors que les associations ont fourni toute la documentation demandée. Ces décisions contreviennent à l’article 40 de la Constitution tunisienne, qui garantit la liberté d’association. Aucune justification légale dûment motivée n’a été rendue publique à date de publication de cet appel urgent. Conformément à l’article 45 du décret-loi n°2011-88 régissant les associations, l’ATFD a intenté un recours en référé, dont l’audience, initialement prévue le 5 novembre 2025, a été reportée au 19 novembre 2025.

    L’Observatoire constate que ces mesures arbitraires et disproportionnées révèlent une stratégie délibérée de mise au pas du tissu associatif par les autorités, et de criminalisation de la société civile tunisienne dans son ensemble. Elles s’inscrivent dans un climat de répression généralisée, marqué par des poursuites judiciaires contre des militant·es et défenseur·es des droits, des campagnes de dénigrement orchestrées dans les médias, et des pressions croissantes sur les syndicats et les journalistes.

    L’Observatoire rappelle également que ces suspensions se produisent dans un contexte de crise du droit d’association en Tunisie, marquée par un recours accru à des mesures administratives de restriction, des audits systématiques, et des décisions appliquées sans procédure contradictoire ni contrôle judiciaire véritable. Notamment, le décret-loi n°2011-88, adopté après la révolution pour protéger la liberté, l’autonomie et la transparence des associations, est aujourd’hui détourné de son objectif initial : les autorités l’utilisent pour faire taire les organisations de la société civile dérangeantes, sous prétexte de « manquements administratifs » ou de « financements étrangers ». Or, le financement étranger est légalement autorisé dans le pays, et constitue un levier essentiel pour le travail de terrain des ONG tunisiennes.

    Comme l’a documenté la FIDH dans son rapport « Du coup d’État à l’étouffement des droits : le mode opératoire de la répression en Tunisie (2021-2025) », cette utilisation abusive des textes juridiques constitue l’un des piliers du régime actuel. Le droit, conçu pour protéger les libertés, est détourné pour les restreindre : lois antiterroristes, dispositions pénales d’un autre âge, décret-loi n° 54 sur la cybercriminalité ou encore décret-loi n°2011-88 sur les associations. Tous servent aujourd’hui à criminaliser la dissidence et neutraliser les contre-pouvoirs.

    L’Observatoire exprime sa vive inquiétude face à la suspension de l’OMCT Tunisie, de l’ATFD et du FTDES, qui ne semble viser qu’à entraver l’exercice légitime de leur travail de défense des droits humains.

    L’Observatoire appelle les autorités tunisiennes à lever immédiatement la suspension de l’OMCT Tunisie, de l’ATFD et du FTDES et à garantir en toutes circonstances le droit à la liberté d’association dans le pays, tel que reconnu par l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

    Actions requises :

    L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités tunisiennes en leur demandant de :

    1. Lever immédiatement les suspensions décidées à l’encontre de l’OMCT Tunisie, de l’ATFD, et du FTDES, et de toutes les organisations de la société civile suspendues arbitrairement ;
    2. Mettre fin à l’utilisation du décret-loi n°2011-88 à des fins de répression politique ;
    3. Garantir en toutes circonstances les droits à la liberté d’association, d’expression et de manifestation pacifique dans le pays, tels que consacrés par le droit international des droits humains, en particulier les articles 22, 19 et 21 -respectivement- du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel la Tunisie est partie.

    Adresses :

    • M. Kaïs Saïed, Président de la République, Email : contact@carthage.tn ; X : @TnPresidency
    • Mme Sarra Zaafrani Zanzri, Cheffe de gouvernement, Email : boc@pm.gov.tn ; X : @TunisiaPM
    • Mme Leila Jaffel, Ministre de la Justice, Email : info@e-justice.tn
    • M. Khaled Nouri , Ministre de l’Intérieur, Email : boc@interieur.gov.tn
    • M. Sabri Bachtobji, Ambassadeur, Représentant permanent de la Tunisie auprès des Nations unies à Genève, Suisse, Email : at.geneve@diplomatie.gov.tn
    • M. Sahbi Khalfallah, Ambassadeur, Ambassade de la Tunisie à Bruxelles, Belgique, Email : at.belgique@diplomatie.gov.tn

    Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la Tunisie dans vos pays respectifs.

    ***
    Paris-Genève, le 6 novembre 2025

    Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toute action entreprise en indiquant le code de cet appel.

    L’Observatoire partenariat de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits humains victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseurs des droits humains mis en œuvre par la société civile internationale.

    Pour contacter l’Observatoire, appeler la ligne d’urgence :

    • E-mail : alert@observatoryfordefenders.org
    • Tel FIDH : +33 1 43 55 25 18
    • Tel OMCT : + 41 79 539 41 06