Espagne
30.06.22
Déclarations

Maroc : les autorités doivent enquêter sur la mort de plus de 23 migrants à la frontière de l’Espagne

Déclaration conjointe

Genève, 30 juin 2022 - La mort d’au moins 23 migrants subsahariens et les dizaines de blessés à Melilla le 24 juin dernier constituent une tragédie sans précédent, ont déclaré aujourd’hui les membres du Groupe de travail migration et torture en Afrique, créé à l’initiative de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). Cette situation exige des enquêtes approfondies, notamment sur le recours excessif à la force contre les migrants et l’adoption immédiate de mesures correctives en y associant les organisations de la société civile et les membres des familles des survivants.

Le 24 juin 2022, alors qu’environ 2000 migrants subsahariens en transit au Maroc tentaient d'entrer en Espagne en escaladant l’immense clôture du poste frontière « Barrio Chino » de la presqu’ile de Melilla, ils ont été confrontés aux forces de sécurité marocaines qui ont déployé un important dispositif anti-intrusion et utilisé du matériel anti-émeute pour les repousser.

« Nous sommes directement en contact avec de nombreux survivants qui nous ont fait part de la gravité et l’ampleur de ces violences », a déclaré à l’OMCT une plateforme d’associations de migrants subsahariens vivant au Maroc. « Elles ne sont malheureusement pas isolées et ne sont en rien l’œuvre de trafiquants ou de mafias. De nombreux migrants essaient chaque jour de rejoindre l’Europe à la recherche d’une vie digne, mais la répression a rarement été aussi violente. Les autorités marocaines nous empêchent de documenter ces événements et tout le monde a peur d’en parler. Le bilan exact s’est alourdi en quelques jours et pourrait atteindre une cinquantaine de morts et plusieurs centaines de blessés. Si une enquête approfondie n’est pas faite, ce drame sera très vite oublié, d’autant que certaines victimes ont été enterrées à l’insu de leur famille et des missions diplomatiques de leur pays d’origine ».

Ecrasés contre la clôture par les forces de sécurité marocaines

Les témoignages des survivants, ainsi que des vidéos amateur vérifiées par des associations de défense des droits humains partenaires de l’OMCT au Maroc et en Espagne, montrent des dizaines de migrants couchés au sol en train de subir des actes de violence et autres formes de traitements inhumains et dégradants perpétrés par les forces de sécurité marocaines. Selon les organisations locales, ce drame est l’aboutissement d’une situation qui prévaut depuis plusieurs semaines à travers des campagnes d’arrestations, de ratissages des campements et de déplacements forcés visant les migrants dans la ville marocaine côtière de Nador et sa région.

S’il est vrai que plusieurs migrants sont morts ou ont été blessés lors des bousculades qui ont suivi l’escalade de la clôture, d’autres ont succombé à leurs blessures après avoir été frappés, bloqués et écrasés contre la clôture par les forces de sécurité marocaines. Des dizaines de décès pourraient être donc la conséquence d’actes de torture, de traitements cruels, inhumains et dégradants et d’exécutions extrajudiciaires de la part des forces de l'ordre. Celles-ci auraient appliqué différentes méthodes de répression, dont la bastonnade et la technique de d’encerclement, connue pour provoquer des bousculades et violences, et auraient laissé les victimes sans assistance pendant des heures.

De nombreux blessés ont été admis dans les hôpitaux des villes marocaines de Berkane et Nador. Les autorités marocaines les empêchent de recevoir la visite de leurs proches ou de membres d’organisations de migrants. Plusieurs associations et témoins à Nador nous ont déclaré que les autorités, après avoir démantelé les camps de migrants, leur ont également interdit d’apporter toute aide humanitaire. Cela qui constitue une violation du droit de défendre les droits humains, comme détaillé par l'OMCT dans son rapport de novembre 2021 Europe: la chasse à la solidarité est ouverte.

L'Europe et l’externalisation des frontières

Environ 65 migrants rescapés ont été arrêtés et inculpés. Un groupe a été présenté près le tribunal de première instance de Nador le 28 juin pour différents délits, dont "entrée illégale sur le sol marocain", "violence contre agents de la force publique", "attroupement armé" et "refus d'obtempérer". Un autre groupe a été déféré devant la Cour d'appel de Nador pour des délits beaucoup plus graves, y compris "participation à une bande criminelle en vue d'organiser et faciliter l'immigration clandestine à l'étranger". Ces personnes pourraient encourir des peines de prison, même si tous les chefs d'inculpation et les procès-verbaux d’audience ne sont pas encore connus.

Ces pratiques sont une conséquence directe des politiques d’externalisation des frontières de l’Union Européenne (UE) visant à endiguer la migration irrégulière. Un rapport publié en décembre 2021 par le Groupe de travail migration et torture montre comment les accords de migration signés par l'UE et plusieurs de ses États membres avec un certain nombre de pays africains, dont le Maroc, ont contribué à une augmentation de l'exposition des migrants à de nombreux d'abus. Ces politiques portent atteinte à la dignité de milliers de personnes qui tentent d’échapper à la violence, à la pauvreté ou qui cherchent une vie meilleure et digne.

Les organisations signataires de cette déclaration expriment leur vive inquiétude face au recours à des mesures violentes de sécurisation des frontières. Elles demandent aux différentes parties prenantes d’agir conformément à leurs obligations de traiter tous les migrants avec dignité, en vertu du droit international.

Le groupe de travail migration et torture saisira les organes spécialisés de l’Union africaine et des Nations unies, demandant l’ouverture d’enquêtes et la prise d’actions réparatrices.

Signataires :

  • Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (réseau) /Tchad
  • Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES) /Tunisie
  • Independent Medico-Legal Unit (IMLU) /Kenya
  • Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO)/Sénégal
  • African Centre for Treatment and Rehabilitation of Torture Victims (ACTV) / Ouganda
  • Association Malienne pour la Survie au Sahel (AMSS) /Mali
  • Alternative Espaces Citoyens/ Niger
  • Réseau Migration développement (REMIDEV) / Sénégal
  • African Centre for Justice and Peace Studies (ACJPS) /Soudan
  • Collectif des associations contre l’impunité́ au Togo (CACIT)/Togo
  • Asociación Pro Derechos Humanos de España (APDHE)/Espagn
  • Centro Sir[a]/Espagne
  • Antigone/Italie
  • Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)

Le groupe de travail sur la migration et la torture en Afrique est composé de 10 experts issus du Réseau SOS-Torture de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dont le but est d’analyser des informations de première main afin de produire de la recherche et des recommandations faisant autorité dans le domaine de la protection des migrants contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le groupe est parrainé par l’OMCT et par le Collectif des Associations Contre l’Impunité au Togo (CACIT).

L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) constitue la principale coalition internationale d’ONG luttant contre la torture et les mauvais traitements. Elle compte plus de 200 membres dans plus de 90 pays. Son Secrétariat international est basé à Genève, en Suisse.