« Psychologiquement, je ne suis plus un être humain » - 20 ans dans le couloir de la mort en RDC
Le 16 janvier 2001, Laurent-Désiré Kabila, le président de la République démocratique du Congo, est assassiné. Sous pression pour trouver les coupables, la police arrête des membres de sa garde personnelle. Le lieutenant Richard Yav est l'un d'entre eux. Richard est torturé et condamné à mort pour un crime qu'il n'a jamais commis à la suite d’un procès que la Commission africaine des droits de l'homme considère inéquitable. Après avoir passé 20 ans dans le couloir de la mort, le soldat de 61 ans est libéré en 2021 grâce à des mesures visant à empêcher la propagation du Covid-19. Il nous raconte comment cette expérience traumatisante affecte encore sa vie.
À quoi ressemblait la vie en prison ?
J'étais enfermé dans une cellule sans fenêtre, donc je n'ai pas vu la lumière du jour pendant 20 ans. Si je voulais utiliser les toilettes, je devais le demander et parfois, les gardiens refusaient. On ne me donnait pas de nourriture. Je ne mangeais que grâce à mes amis et à ma famille qui venaient me déposer des repas. La prison ici, ce n'est pas comme en Europe. Ici, les gens meurent en prison.
Qu’est-ce qui vous a permis de tenir ?
Mes camarades et moi espérions que quelqu'un se rendrait compte que nous étions innocents et que l'État nous gracierait. Cela a failli arriver plusieurs fois. Une loi d'amnistie a été signée en 2003. Nous allions être libérés, mais le gouvernement a changé, et nous sommes restés en prison. En 2005, le projet d’amnistie a été débattu au parlement et les députés ont voté à l'unanimité en faveur de notre libération. Mais le ministre de la Justice s'est opposé à leur décision, et nous sommes donc restés en détention.
Nos avocats ont même saisi la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, mais notre gouvernement a refusé de fournir des preuves de notre emprisonnement. L'État a été condamné à nous libérer et à nous accorder une compensation. Mais personne n'a obtempéré et on nous a laissés en prison.
Peu après notre procès, il y a eu un moratoire pour suspendre la peine de mort en RDC. Nous sommes restés en prison mais nous n'étions plus dans le couloir de la mort, du moins pour le moment. Mais le gouvernement pouvait changer d'avis à tout moment et recommencer à exécuter les détenus.
Comment ce temps passé dans le couloir de la mort vous a-t-il affectés, vous et votre famille ?
J'ai perdu mon père alors que j'étais en prison, il est mort de paralysie, et je n'ai pas pu être à ses côtés. Lorsque ma femme était malade, les autorités lui ont dit que son mari ne serait jamais libre. Elle est morte peu de temps après. On a également dit à ma mère que son enfant ne serait pas libéré. En novembre de la même année, le Président nous a graciés. Mais c'était trop tard pour elle. Elle était déjà décédée. Le 8 janvier 2021, j'ai été libéré, mais ma famille n'était plus là. Psychologiquement, je ne suis plus un être humain. Je vis dans le passé.
À quoi ressemble votre vie depuis votre sortie de prison ?
Lorsque mes camarades et moi avons été emprisonnés, nos familles ont été jetées de chez elles, car elles habitaient des logements de fonction payés par l'État. Entre-temps, tous nos biens ont été pillés. Aujourd’hui, les familles sont brisées, les enfants vivent dans différentes villes, et certaines épouses sont parties ou sont décédées.
L'État continue de nous traiter comme si nous étions coupables. Il n'y a aucune compensation, aucune réhabilitation, rien pour nous aider à continuer à vivre.
Quel est votre état de santé ?
J'ai failli mourir il y a un an. J'étais dans la salle d'attente de mon pasteur et je suis tombé dans le coma. À l'hôpital, ils ont découvert que j'avais beaucoup de maladies : un problème cardiaque, du diabète, de l'hypertension et une mauvaise vue. Tout cela est dû à la torture que j'ai subie pendant 20 ans, au stress, aux maladies non soignées et à la mauvaise hygiène.
Maintenant, si je tombe vraiment malade, c’en est fini pour moi. Je ne peux pas me permettre de voir un médecin et je n'ai plus de famille, alors qui s'occupera de moi ?
Qu'en est-il de votre santé mentale ?
À l'époque, j’avais un très bon poste, j'étais responsable d'un service de sécurité. Tous mes amis qui étaient alors moins gradés que moi sont aujourd’hui généraux ou colonels. Désormais, je ne peux plus les approcher ; je ne suis qu'un vagabond. Je me sens inutile et seul.