Burundi
05.08.20
Interventions urgentes

Annulation de la condamnation et poursuite du harcèlement judiciaire à l’encontre de M. Germain Rukuki

Nouvellesinformations

BUR 001 / 0717 / OBS 081.10

Détention arbitraire /

Harcèlement judiciaire

Burundi

5 août 2020

L’Observatoire pour la protection desdéfenseurs des droits de l’Homme, un partenariat de l’Organisation mondialecontre la torture (OMCT) et de la FIDH, a reçu de nouvelles informations etvous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante au Burundi.

Nouvelles informations :

L’Observatoire a été informé de sourcesfiables de l’annulation de la condamnation et de la poursuite du harcèlementjudiciaire à l’encontre du défenseur des droits humains Germain Rukuki, employéde l’Association des juristes catholiques du Burundi (AJCB), président de «Njabutsa Tujane »[1], et ancien employé de l’Action deschrétiens pour l'abolition de la torture Burundi (ACAT-Burundi).

Selon les informations reçues, le 30 juillet 2020 la Cour suprême duBurundi a cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel de Ntahangwa le 17 juillet2019 condamnant Germain Rukuki à 32 ans d’emprisonnement pour « mouvementinsurrectionnel », « atteinte à la sûreté intérieure de l’État »[2]et « rébellion »[3](voir rappel des faits ci-dessous).

La Cour suprême a justifié sa décision par lesirrégularités procédurales qui ont caractérisé la condamnation prononcée par lacour d’appel dans son arrêt rendu en l’absence de M. Rukuki et de sa défense,qui n’ont été notifiés que six jours après le verdict. La Cour suprême a ainsirenvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Ntahanga autrement constituée. Ladate du nouveau procès n’a pas encore été fixée.

L’Observatoire salue la décision renduepar la Cour suprême et appelle à ce que la date du nouveau procès soit fixéedans les plus brefs délais et à ce que celui-ci se tienne dans le strictrespect du droit à un procès équitable.

M. Rukuki est détenu arbitrairement depuis juillet 2017 pour avoircollaboré avec l’ACAT-Burundi, organisation qui documente les actes de tortureet autres crimes commis dans le pays, principalement par le régime de l’ancienprésident Pierre Nkurunziza. L’Observatoire condamne fermement lesviolations flagrantes des garanties prévues par le Code de procédure pénaleburundais dans le dossier de M. Germain Rukuki, appelle les autorités à mettrefin à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à sonencontre, et à libérer ce dernier de manière immédiate et inconditionnelle, sadétention arbitraire ne visant qu’à sanctionner ses activités pacifiques etlégitimes de défense des droits humains.

L’Observatoireappelle plus généralement la nouvelle administration du Burundi à cesser touteforme de harcèlement contre les défenseurs des droits humains, et à libérertoutes celles et ceux qui restent actuellement arbitrairement détenus.

Rappel des faits :

Le 13 juillet 2017 vers 6 heures du matin, desmembres de la police municipale de Bujumbura se sont rendus audomicile de M. Germain Rukuki et ont procédé à une perquisition avant deréquisitionner l’ordinateur de son épouse et de l’arrêter sans mandat. Escortépar quatre pick-ups de la police, il a ensuite été conduit à l’AJCB pourréquisitionner son ordinateur et des documents. L’opération a été conduite parl’officier de police judiciaire M. Jean Pierre Nitunga, en coopérationavec le Service National de Renseignement (SNR), qui l’a commandée. M. Rukuki estalors conduit dans les locaux du Service National de Renseignement (SNR) où ilest détenu et interrogé sans la présence de son avocat.

Après 14 jours de détention,le 26 juillet 2017, M. Rukuki a été transféré à la prison de Ngozi[4], sansavoir été auditionné auparavant par le magistrat du parquet qui l’a placé sousmandat d’arrêt[5].

La premièreaudition de M. Rukuki par un magistrat représentant le Ministère public depuisson arrestation n’a eu lieu que le 1er août 2017. Il a été entendu par le substitut du procureur général dela République, M. Adolphe Manirakiza, qui représente le Ministère public dansles dossiers relatifs au putsch manqué du 13 mai 2015[6].

Durant cette audition, M.Rukuki a été accusé formellement d'« atteinte à la sûreté intérieure del’Etat » et de « rébellion » pour avoir collaboré avecl’ACAT-Burundi. Selon les autorités, l’ACAT-Burundiaurait organisé des manifestations en avril 2015 pour contester la troisièmecandidature de Pierre Nkurunziza à la présidence de la République, et participéau coup d’État de 2015 ainsi qu’à la production de rapports qui iraient àl’encontre des institutions burundaises. De plus, elle aurait désavoué ladécision du ministère de l’Intérieur de l’avoir radiée en octobre 2016.

Le 17 Août 2017, la Chambre de conseil du Tribunal deGrande Instance de Ntahangwa rend publique sa décision de confirmer leplacement en détention préventive de M. Germain Rukuki, après avoir tenu uneaudience à la prison de Ngozi le 14 Août 2017 afin de statuer sur la régularitédudit placement.

L’ordonnance de maintien endétention prise par la Chambre de conseil est notifiée à M. Rukuki le 25 août2017 par le greffe du Tribunal de grande instance de Ntahangwa. Le mêmejour, l’équipe de défense de M. Rukuki a interjeté appel contre cetteordonnance devant la Cour d’appel de Bujumbura.

Le 27 octobre 2017, la Courd’appel de Bujumbura a entendu les parties durant une audience à la prison deNgozi, avant de mettre l’affaire en délibéré. Durant l’audience, la parolea été accordée à M. Rukuki et ses avocats, qui ont expliqué que l’appel étaitfondé sur l’absence d’indices sérieux de culpabilité, puisque l’échanged'e-mails sur lequel se base l’accusation du Ministère public date de lapériode où l'ACAT-Burundi exerçait légalement ses activités au Burundi. Ils ontainsi demandé la mise en liberté de M. Rukuki, soulignant par ailleurs queplusieurs violations flagrantes des règles de procédure pénale avaient étécommises depuis l’arrestation arbitraire de M. Rukuki. Le Ministère public s’est quant à lui opposé à la libération de M. GermainRukuki en arguant qu’il « risquait de rejoindre les autres personnesexilées à l’étranger qui seraient impliquées dans ce dossier ».

Le 31 octobre2017, la Cour d’appel de Bujumbura a confirmé le maintien en détention deM. Germain Rukuki.

Le 13 février 2018, leTribunal de grande instance de Ntahangwa a prononcé de nouvelles charges àl’encontre de M. Rukuki, à savoir « assassinat de militaires, policiers etcivils », « dégradation des édifices publics et privés », et «volonté de changer le régime élu démocratiquement ».

Lors de l’audience publique du 13 février 2018, ladéfense a argué qu’il existait encore des irrégularités de procédure dans ledossier de M. Rukuki, et a demandé au tribunal de statuer en premier lieu surces irrégularités avant de statuer au fond. En effet, jusqu’alors, la défensede M. Rukuki n’a eu accès qu’à trois pièces de son dossier, qui en contient174. De plus, M. Rukuki a été assigné à comparaître à l’audience le jour-mêmeoù il a comparu, en violation du délai de huit jours imposé par la loi, entrela date d’assignation et celle de comparution. Enfin, l’introduction des troisnouveaux chefs d’accusations n’a pas été précédée d’une période d’instruction.La défense a donc ainsi fait valoir que l’assignation de M. Rukuki à cetteaudience était irrégulière. Le tribunal n’a donc pas statué au fond, a autoriséla défense à se procurer une copie du dossier répressif complet et a renvoyé ledossier au 27 février 2018. Les audiences prévues les 27 février et 27 mars2018 ont été reportées.

Le 26 avril 2018, le Tribunal de grande instance deNtahangwa a condamné M. Rukuki à 32 ans d’emprisonnement pour « mouvementinsurrectionnel », « atteinte à la sûreté intérieure de l’État » et « rébellion». Ni M. Germain Rukuki ni ses avocats n’étaient présents à la lecture de lasentence. M. Rukuki a fait appel de sa condamnation le 29 Mai 2018.

Le 11 juin 2018, M. GermainRukuki a été opéré à l’hôpital de Ngozi après s’être fracturé une cheville etblessé à une épaule en prison le 7 juin 2018. Le 18 juin 2018, M. GermainRukuki a de nouveau été transféré à la prison de Ngozi, alors que son état desanté était encore critique et malgré le fait qu’il ait demandé à rester àl’hôpital pour continuer de recevoir des soins de santé.

Le 17 juillet 2019, la Cour d'appel burundaise de Ntahangwa a confirméla condamnation de M. Germain Rukuki. La décision a été rendue dans le cadred'une audience publique sans que M. Rukuki et sa défense n’aient été notifiés.Ils en ont finalement été informés le 22 juillet, soit six jours après que ladécision ait été rendue. S’ajoutant aux nombreuses autres irrégularitésprocédurales qui ont affecté l'affaire, la décision en appel a été rendue plusde six mois après le délai légal[7].

Actions requises :

L’Observatoirevous prie de bien vouloir écrire aux autorités burundaises en leur demandantde :

i. Procéder àla libération immédiate et inconditionnelle de M. Germain Rukuki etde l’ensemble des défenseurs des droits humains arbitrairement détenus auBurundi ;

ii. Mettre un terme àtoute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontrede M. Germain Rukuki ainsi que de l’ensemble des défenseurs desdroits humains au Burundi ;

iii. Garantiren toutes circonstances l’intégrité physique et psychologiquede M. Germain Rukuki et de l’ensemble des défenseurs des droitshumains au Burundi ;

iv. S'assurerque l'ensemble des procédures engagées à l’encontre de M. GermainRukuki soient conduites dans le respect du droit à un procès équitable;

v. Seconformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits del’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998,et plus particulièrement à ses articles 1, 5(b) et 12.2 ;

vi. Plusgénéralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle desdroits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs auxdroits de humains ratifiés par le Burundi.

Adresses :

· S.E. Évariste Ndayishimiye, Président de la République du Burundi,Fax : +257 22 22 74 90, Twitter : @GeneralNeva

· M. Ir Alain Tribert Mutabazi, Ministre de la Défense Nationale et desAnciens Combattants, Fax : +257 22253215

· M. Gervais Ndirakobuca, Ministre de la Sécurité Publique, Burundi.Fax : + 257 22 22 90 90 / + 257 22 24 53 51,Email : infos@securitepublique.gov.bi

· S.E M. Rénovat Tabu, Ambassadeur, Mission permanente de la Républiquedu Burundi auprès des Nations unies à Genève, Suisse. Fax : +41 22 732 7734. Email : mission.burundi217@gmail.com

· S.E M. Thérence Ntahiraja, Ambassadeur, Ambassade du Burundi àBruxelles, Belgique. Fax : +32 2 230 78 83, Email : ambassade.burundi@gmail.com

Prière d’écrire également aux représentationsdiplomatiques du Burundi dans vos pays respectifs.

***
Paris-Genève, le 5 août 2020

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de touteaction entreprise en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoirepartenariat de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs desdroits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussiconcrète que possible. La FIDH et l’’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu,le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseurs des droits de l’Hommemis en œuvre par la société civile internationale.

Pour contacter l’Observatoire, appeler la ligned’urgence :

· E-mail : Appeals@fidh-omct.org

· Telet fax FIDH : + 33 1 43 55 25 18 / 33 1 43 55 18 80

· Tel et fax OMCT : + 41 79 539 41 06 / 4122 809 49 29


[1] Niabutsa Tujane est une association communautaire quivise à lutter contre la pauvreté et la faim à travers la productionagro-sylvo-pastorale et à l’amélioration de la santé de la population.

[2] Article 601 du Code pénalburundais

[3] Articles 372 et 374 duCode pénal burundais.

[4] Ngozi est situé à environ deuxheures de route de Bujumbura.

[5] En violation del’article 111 de la loi n° 1/10 du 3 avril 2013 portant révision du Code deprocédure pénale.

[6] Une tentative de coup d’Étatdirigée par le général Godefroid Niyombare a été perpétrée au Burundi le 13 mai2015. Elle a fait suite à une vague de contestation populaire débutée le 26avril 2015 après l’annonce de la candidature du président Pierre Nkurunziza àun troisième mandat, candidature jugée anticonstitutionnelle par une partie de lapopulation, de la société civile et de l’opposition politique.

[7] VoirDéclarationconjointe : Une coalition d’ONGlocales et internationales condamne fermement la confirmation en appel de lacondamnation du défenseur des droits humains Germain Rukuki et demande salibération immédiate et inconditionnelle,publiée le 25 Juillet 2019.