Libye
05.12.15

Rencontre avec Salah : Garder l’espoir d’obtenir réparation en l’absence d’un État et en pleine guerre civile


5 décembre, Tripoli (Libye) - « La torture estcertainement pratiquée dans toutes les sociétés, mais c’est sa fréquence quiconstitue un problème en Libye, » déclare Salah Abu Khazam, fondateur etdirecteur du Réseau libyen d’assistance juridique. « En effet, leGouvernement ne se préoccupe que de sa propre sécurité. »

Ses conditions de travail nesont pas faciles. Salah réside dans un pays marquépar la coexistence de deux gouvernements, l’absence d’un État de droit, deforces de police et la disparition de son système judiciaire. C’est un pays oùles défenseurs des droits de l’homme comme lui, cibles privilégiées d’unemultitude de groupes armés, sont systématiquement enlevés ou tués. Deux avocats spécialistes des droits de l’homme,bénévoles dans son organisation, ont d’ailleurs fait l’objet de menacesdirectes. Il est lui-même très certainement sur la liste noire de ceux quipromeuvent des idéaux de démocratie, d’égalité entre les sexes ou à toutevaleur contraire à celle défendue par les groupes d’islamistes armés. Pourtant, il se lève tous les matins en pensant quela situation va s’améliorer en Libye.

« Un jour, tous lescoupables rendront compte de leurs crimes et les victimes seront indemnisées,»dit-il.

Si la plupart de ses pairs sonten exil, Salah Abu Khazam, 31 ans, reste dans son pays.Il déclare avec fierté avoir sauvé deux personnes de la mort sous latorture et sauvé une troisième d’une condamnation à mort pour avoir volé unvéhicule militaire. Il est persuadé que personnene peut vivre sa vie et goûter au bien-être tant que le système social etpolitique tolère de telles violations et que les valeurs universelles desdroits de l’homme ne sont pas appliquées en Libye. Il faut cependant reconnaîtrequ’aujourd’hui la lumière au bout du tunnel semble encore très lointaine.

À la suite des attaques de2011 et du soulèvement qui a conduit à la chute du régime Kadhafi après 24 ansde dictature, de nombreux intellectuels et avocats libyens se sont eux aussi engagésdans la défense des Droits de l’Homme. Avecl’appui d’organisations non gouvernementales internationales, y compris l’OMCT,Amnesty International et la Croix rouge, plusieurs réseaux locaux et organisationsde la société civile se sont constitués afin de mieux protéger les Libyens desviolations des droits de l’homme quotidiennes.

Cette période marquée parl’espoir de mettre en place des institutions démocratiques et de rétablir lesdroits civils a été de courte durée. De nombreux belligérants ont attisé desconflits politiques, raciaux, ethniques, religieux et interrégionaux répandantune vague de violence dans le pays dont les réserves pétrolières sont les 10eplus importantes au monde.

Rejetant le résultat desélections législatives de 2014 et la mise en place d’un nouveau parlement,plusieurs factions ont provoqué la scission de la Libye qui se retrouvedésormais avec deux gouvernements : le premier,reconnu par la communauté internationale, siège à Al-Bayda, tandis que lesecond, resté loyal à l’ancien Congrès national général s’est établi à Tripoli.Qui plus est, plusieurs régions ont tissé des liens avec des groupes islamistesalors que d'autres sont autonomes, sans oublier les groupes armés rivaux qui sesont répandus sur l’ensemble du territoire provoquant de nouvelles lignes defracture.

Le résultat est un chaostotal avec l'effondrement des institutions de l’État associé à la dégradationdes conditions économiques, sociales et de santé. L’Union européenne et laMission d’appui des Nations Unies en Libye ont ainsi été contraintes à quitterle pays. Déclenchée lorsque des milices islamistes se sont emparées de Tripoliet de son aéroport civil, l’escalade de la violence a été telle depuis août 2014que le Conseil de sécurité des Nations Unies a demandé l’application desanctions contre les auteurs des violations du droit humanitaire et du droitinternational des droits de l’Homme. Cetteviolence a également donné lieu à au déplacement d’au moins 400 000 libyensau sein de leur pays et au départ de plusieurs centaines de milliers detravailleurs migrants.

C’est dans ce contexteproblématique que l’organisation de Salah, créée en 2014 avec le soutien del’OMCT, a établi l'existence de 90 cas de tortures, d'exactions, dedisparitions forcées et de détentions arbitraires. Ellea présenté devant les tribunaux locaux 15 plaintes pour torture, détention arbitraireet exécutions extrajudiciaires. Elle travailleavec d'autres partenaires sur les modalités d'utilisation des mécanismesinternationaux afin que les victimes de torture obtiennent réparation en dépitde l'incompétence du système judiciaire national.

« La société doit selibérer de la passivité et de la dépendance ; elle doit se s’engagercollectivement pour exiger le respect de ses droits,»conclut Salah.

-Par Lori Brumat à Genève, traduction Nicole Choisi

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