HSN Palais Wilson CAT68
Rapport annuel 2020
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Le Comité contre la torture

La pandémie du Covid-19 a eu de lourdes conséquences sur les travaux des organes de traités des Nations unies. Les expert.e.s indépendant.e.s qui les composent examinent la façon dont les États appliquent les traités qui protègent nos droits communs les plus essentiels: le droit de ne pas être soumis à la torture, la liberté d’expression et de réunion, les droits des enfants et des femmes, et bien d’autres encore.

La quasi-totalité des sessions des organes de traités prévues pour 2020 ont été reportées, annulées ou raccourcies. Ces mesures ont aussi touché les sessions du Comité des Nations unies contre la torture (CAT), dont les membres n’ont pas pu se réunir à Genève et ont décidé de suspendre une partie de leurs travaux en 2020.


En parallèle, les cas de torture et de mauvais traitements se sont multipliés face à l’effondrement des systèmes de protection provoqué par le Covid-19. Souvent, les tribunaux et les organismes nationaux de lutte contre la torture n’étaient que partiellement opérationnels. Les groupes de défense des droits humains, quant à eux, ont été confrontés à différents obstacles dans le suivi des cas de torture. Le respect de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par les États, déjà faible, s’est dégradé, tout comme les faibles niveaux de reddition de comptes dans les cas de torture. Cette situation touche de façon disproportionnée les groupes les plus vulnérables comme les femmes, les enfants, les migrants, les réfugiés, les sans-abris, les pauvres et les marginalisés.


Dans une intervention lors d’une réunion virtuelle du CAT, l’OMCT a insisté sur le rôle primordial que jouent les expert.e.s contre la torture face à la prolifération de la torture et des mauvais traitements, y compris en détention, face à l’augmentation des brutalités policières lors de l’application du couvre-feu ou des règles de distanciation et à la multiplication des cas de violence domestique pendant les confinements.

Bien que le CAT n’ait examiné aucun pays au cours de l’année 2020, certaines parties du cycle des rapports ont pu se poursuivre. Nous avons travaillé avec nos partenaires afin d’apporter des éléments concrets sur les réalités nationales aux expert.e.s, via la soumission de huit rapports, et avons continué à suivre la mise en œuvre des Observations finales adoptées précédemment par le CAT pour plusieurs pays.

Réponse conjointe des groupes de défense des droits humains

Au mois d’octobre, l’OMCT et TB-Net, une plateforme composée de plusieurs groupes de défense des droits humains, dont l’OMCT, ont rédigé un courrier commun, signé par 523 organisations de la société civile du monde entier, visant à lancer un appel aux organes de traités des Nations unies en charge des droits humains et à la branche du Bureau du Haut-Commissaire aux droits de l’homme en charge des traités des droits humains afin qu’ils continuent à s’acquitter de toutes leurs fonctions, comme l’exigent leurs mandats.

Bien que le système des organes de suivi des traités des Nations unies relatifs aux droits humains se soit retrouvé quasiment à l’arrêt en 2020, cette année devait aussi être l’année de l’examen de ces organes. Ce processus inter-gouvernemental vise à examiner les actions supplémentaires qui pourraient être mises en place pour garantir le bon fonctionnement du système. Après avoir assisté à un recul des droits humains et à un affaiblissement des systèmes multilatéraux de défense des droits humains, l’OMCT et plusieurs autres organisations de la société civile se sont mobilisées afin de protéger et de renforcer le système des organes de traités relatifs aux droits humains, en soumettant deux importantes contributions au mois de juillet:

Proposition de la société civile « Pour un renforcement des organes de suivi des traités des Nations unies »

Courrier des ONG avec 27 autres organisations de la société civile.

Nos voix n’ont pas été entendues lorsque nous en avions le plus besoin

Le Kenya faisait partie des pays que le CAT devait examiner en 2020, puis en 2021. L’examen du pays a finalement été reporté à 2022. Ce témoignage de nos membres de la section kényane de la Commission internationale des juristes (ICJ Kenya) souligne l’impact de ces reports sur la protection des plus vulnérables.

A mesure que le nombre d’infections au Covid-19 augmentait, la réaction des autorités kenyanes entraînait une augmentation de la torture et d’autres mauvais traitements à travers le pays. Nous avons observé:

  • Une augmentation des violences policières ayant causé la mort, y compris d’enfants, et des disparitions forcées. Entre janvier et juillet 2020, 157 personnes ont été tuées par la police ou portées disparues, alors qu’on avait dénombré un total de 144 personnes pour l’ensemble de l’année 2019. La plupart étaient des jeunes hommes qui vivaient dans des logements informels;
  • Une augmentation de 35,8% des cas de violence sexuelle ou de violence fondée sur le genre depuis le début de la pandémie, comme le soulignait déjà le juge en chef de la République du Kenya le 2 avril 2020;
  • L’absence de hiérarchisation des priorités dans l’accès aux soins de santé et aux services appropriés pour les personnes les plus à risque et les plus vulnérables. Cette situation concernait également les personnes privées de liberté ou en détention, un grand nombre de personnes vivant dans des quartiers très denses et pauvres ou dans des camps de réfugié.e.s, de migrant.e.s et de personnes déplacées.

Dans le même temps, les voix des victimes et de la société civile n’ont pas été entendues, aussi bien au niveau national qu’international, en raison des mesures sanitaires et des restrictions de voyage. Le CAT a donc été contraint de reporter l’examen du Kenya à deux reprises. Il s’agit d’un véritable problème, qui vient affaiblir un peu plus l’obligation de rendre des comptes, au détriment de la population kenyane. Ainsi, le Kenya a plus que jamais besoin du CAT pour:

  • Continuer à superviser l’État kenyan via l’envoi régulier d’avis ou de lignes directrices afin d’examiner les violations des droits humains qui s’apparentent à de la torture ou à des traitements cruels et dégradants;
  • Rappeler que l’usage des termes « nécessité », « urgence nationale » ou « ordre public » ne saurait être invoqué dans le but de justifier des actes de torture, des peines ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants;
  • Donner priorité à la voix des victimes et obliger les États à rendre des comptes;
  • Maintenir les canaux de communication avec la société civile, car l’espace de défense des droits dont les organisations disposent au niveau national est sans cesse menacé.