Rapport Annuel 2022
02

Violences policières

Ces dernières années, on a assisté à une augmentation constante et généralisée de l'usage disproportionné de la force par la police dans le monde entier.

Alors que les mouvements sociaux se mobilisent de plus en plus et que les protestations non-violentes prennent de l’ampleur, les forces de police n'ont jamais été aussi lourdement armées et équipées technologiquement, un cocktail explosif pour le mouvement anti-torture. En 2022, l'OMCT a répondu conjointement avec ses partenaires à de nombreuses situations de violence policière, par exemple en Tunisie, au Tchad, en Turquie, au Kazakhstan, au Tadjikistan et en Ouzbékistan.

En Tunisie, l'OMCT a documenté des dizaines de cas d'usage excessif de la force par des policiers, souvent à des fins punitives. Ces actes de violence font souvent suite à des disputes entre des civils et des policiers en service ou dans un contexte privé. Ces dernières années, ces violences sont devenues monnaie courante à l'encontre des militant.e.s LGBTQI+, des défenseur.e.s des droits humains et des militant.e.s soupçonné.e.s de s'opposer au coup d'État constitutionnel du président Kaïs Saïed le 25 juillet 2021. Alors que la grande majorité des plaintes restent lettre morte, l'OMCT a obtenu plusieurs condamnations de policiers cette année, mais aucune pour torture, malgré le fait que de nombreux cas atteignaient le seuil requis. Les juges étant soumis à d'énormes pressions et menaces, ce faible taux de condamnations mineures pourrait même diminuer.

En 2021, un régime militaire brutal a pris le pouvoir au Tchad de manière inconstitutionnelle après la mort du président Idriss Déby. Son fils, le Général Mahamat Déby Itno, qui l'a remplacé pour une première période de transition de deux ans, a installé un climat de terreur pour les organisations de la société civile et les leaders de l'opposition, en utilisant la torture, les exécutions extrajudiciaires et la détention arbitraire. La crise des droits humains s'est intensifiée en 2022, lors du « Jeudi Noir », lorsque les manifestations pacifiques organisées le 20 octobre dans le pays ont été violemment réprimées.

Les enquêtes de l'OMCT et de son organisation membre la Ligue tchadienne des droits de l'homme (LTDH) indiquent qu'environ 218 personnes ont été tuées, des dizaines torturées et plus de 1 300 détenues.

L'OMCT a soutenu étroitement ses membres du réseau tchadien – la LTDH et l'Association tchadienne pour la promotion des droits humains (ATPDH) –, et a intensifié son plaidoyer international sur la responsabilité pour les crimes de torture et sur la protection des défenseurs des droits humains attaqués. L'OMCT et la LTDH ont adressé un Appel Urgent à quatre Rapporteurs spéciaux des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d'association ; sur les défenseurs des droits de l'homme ; sur les exécutions sommaires ; et sur la torture et autres formes de mauvais traitements. Nous avons également soumis un rapport alternatif au Comité des Nations unies contre la torture en novembre 2022, et invité cinq organisations de la société civile à assister à la session et à plaider pour davantage de mesures de protection.

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En Turquie, nous avons observé ces dernières années une augmentation de l'usage excessif de la force par la police lors de manifestations pacifiques. Cette violence vise clairement à empêcher ou à réduire la participation aux mouvements de contestation sociale. La police cible régulièrement des groupes tels que les manifestants contre les décrets d'urgence, les activistes kurdes, les travailleurs, les femmes, les LGBTQI+, les journalistes, les avocats, les politiciens, les étudiants et les écologistes. Les autorités empêchent non seulement les victimes de demander justice, mais les soumettent à des contre-accusations qui criminalisent davantage leurs actions de contestation sociale non-violente (voir le récent rapport de l'OMCT sur le sujet).

Au Tadjikistan, les manifestations qui ont débuté en novembre 2021 dans la région autonome de Gorno-Badakhshan (GBAO) ont repris en mai 2022. L'armée et les forces spéciales ont violemment dispersé les manifestations dans le cadre d'une « opération antiterroriste » annoncée, qui aurait entraîné la mort d'au moins 40 personnes. Des centaines de personnes ont été arrêtées, y compris des militant.e.s de la société civile, des avocat.e.s et des journalistes couvrant les événements ou dénonçant des actes de torture et de procès inéquitables. Aucune enquête indépendante n'a été ouverte sur ces événements.

Des manifestations ont éclaté au début de l'année 2022 dans l'ouest du Kazakhstan et se sont rapidement étendues à l'ensemble du pays. La police a fait un usage excessif de la force et de la violence pour réprimer les manifestations, même lorsqu'elles étaient non violentes. Selon les sources officielles, cela a entraîné la mort d'au moins 238 personnes, exécutions qui ne doivent pas rester impunies. Malgré les efforts du gouvernement, un an plus tard, les enquêtes n’avancent pas et un climat d’impunité généralisée règne.

En juillet, des manifestations de masse ont éclaté dans la région du Karakalpakstan, en Ouzbékistan, en réaction à des propositions d'amendements constitutionnels visant à réduire l'autonomie de la région. Les autorités auraient fait usage de canons à eau, de balles en caoutchouc, de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants non violents. Selon les chiffres officiels, 18 personnes ont été tuées, 243 blessées et plus de 500 détenues (y compris des défenseur.e.s des droits humains), mais les militant.e.s de la société civile affirment que les chiffres réels sont plus élevés et que la torture a été utilisée de manière systématique.

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